Thierry Laurion: En captivité provisoire
Il est la révélation de La Cage aux Folles, la pièce-événement de la rentrée. Lumineuse consécration pour cet artiste multiple qui a délaissé les neiges de Montréal pour se réchauffer aux rayons du succès.
Vous l’avez tous, sans doute, repéré un jour quelque part. En ce qui me concerne, ce fut en décembre dernier. Séduit par le scénario et inconditionnel de Valérie Lemercier, je m’étais empressé d’aller voir Agathe Cléry, le film d’Etienne Chatiliez. La comédie ne remplit pas ses promesses mais fut sauvée, in extremis, par l’apparition de cet éphèbe métis qui, une blouse médicale (savamment entrouverte) pour seul costume, réveilla l’héroïne victime d’une intoxication médicamenteuse… et nous sortit par là même du coma dans lequel, il faut le dire, nous étions plongés depuis plus d’une heure !
Or, les dents du bonheur de Thierry comme retour à la vie, c’est assurément plus glamour que saint Pierre et ses clés du paradis. Et qu’on ne me reproche pas de bouder la religion : l’homme a 33 ans tout juste, l’âge du Christ. Il parle une langue fleurie où s’entremêlent les « Tabernacle » de son Québec natal, une musicalité black américaine héritée de son père, et la jolie nonchalance vocale transmise par sa grand-mère française. Rien d’étonnant à ce que la blouse blanche lui siée tant : dans sa prime jeunesse, Thierry se destinait à devenir ingénieur. Oui oui, en physique-chimie ! Je veux croire qu’il a cessé le jour où il a pris conscience qu’il n’aurait, à l’avenir, nul besoin d’éprouvettes pour jouer avec mes phéromones.
Paris. De l’autre côté de l’Atlantique, la Ville-lumière l’a longtemps fait rêver. « A Montréal, les Français passent pour des modèles d’élégance et de raffinement… » Les Français et, dans son cas précis, l’un d’entre eux. Sur son poste de télé branché sur TV5, la chaîne internationale francophone, Thierry découvre en effet très tôt cet homme au charme obscur qui va sur lui exercer une vraie attirance, à la limite du fantasme : son homonyme, Ardisson. « Il résumait tellement l’image que je me faisais de Paris depuis tout jeune… » Bien avant Versailles, le Louvre et sa Joconde, la Tour Eiffel et Notre-Dame, c’est donc l’animateur en noir qui attise sa curiosité. Hélas, aux dernières nouvelles, ce monument-là, Thierry ne l’a encore jamais visité.
Notre-Dame, justement… En 2000, la comédie musicale adaptée avec succès du roman de Victor Hugo par Richard Cocciante et Luc Plamondon, débarque pour la première fois à Montréal. Le spectacle qui a porté chance à tant d’artistes québécois, Garou en tête, va également changer la vie de Thierry Laurion. À la faveur d’une rencontre déterminante : celle qu’il fait avec les Yamakasi. Les auto-désignés « samouraïs des temps modernes », spécialistes dans l’art dit « du déplacement », qui escaladent les immeubles, effectuent des sauts démentiels avec une facilité bluffante décèlent en lui un potentiel hors normes, et l’entraînent dans leur vertigineux sillage. Délaissant les graphes et les laboratoires, Thierry apprend aux côtés de ces géniaux acrobates. « Il m’ont enseigné leur art intensif, comment grimper de mur à mur à la manière d’un guépard, à douze mètres de hauteur. » Intégré à la troupe de Notre-Dame avec les Yamakasi, il quitte le Québec et prend son envol. Sans grand regret : « Quand j’ai commencé à voir les photos de tous mes ex aimantées sur le frigo de mes nouvelles conquêtes, j’ai compris qu’il était temps de partir ! » Et il entame une tournée mondiale qui, de capitale en capitale, le conduira jusqu’à… Paris.
C’est pour Thierry le début d’un incroyable parcours qui l’amène à se mouvoir sur les scènes les plus prestigieuses, dans le cadre de productions toujours plus variées. Il danse notamment Aïda, Ariane et Princesse Czardas sous la direction de Laurence Fanon aux opéras de Marseille, Bordeaux et Saint-Etienne, ainsi que pour Craig Revel Horwood, Patrick Lamothe, Fabio Aragao, Eleanor Hahn ou encore Pascal Merighi. Dans Le Roi Lion, plébiscité par le public et les critiques, il retrouve le genre qui lui a ouvert en grand les portes du spectacle : la comédie musicale. Mais Thierry se voit bientôt contraint de dresser un constat amer : « J’aime danser, toutes les cellules de mon corps dansent. Mais pour gagner correctement sa vie dans ce domaine, il faut souvent se résoudre à accepter des contrats juteux, pour des spectacles finalement pauvres en émotions… » Or, plutôt que de se trahir, l’artiste aux multiples talents envisage avec habileté une réorientation de sa carrière et, de strict danseur, ajoute une corde précieuse à son arc : la comédie.
Avec la complicité et sous le regard bienveillant de son ami Nikola Parienty, il fait avec succès ses débuts sur les planches. On retiendra Au secours vous êtes laides !, Sexuel sans aucun rapport, ou encore Fuck them all au théâtre des Déchargeurs. Au Châtelet, il donne la réplique à Lambert Wilson dans Candide, mis en scène par Robert Carsen, s’aventure dans le domaine de la publicité et suit même les traces de son cher Thierry Ardisson, en devenant animateur de l’émission « De cœur à cœur » sur Pink TV, qui lui vaut une récompense du public. Désormais familier de la caméra, Thierry Laurion poursuit son métier d’acteur au cinéma. Il tourne sous la direction de réalisateurs américains comme Nancy Meyers, Ron Underwood ou Michael Caton-Jones. En France, on a pu le retrouver en 2009 dans Coco, de Gad Elmaleh, « un mec extra, qui dégage une super énergie et qui a gardé des sept ans qu’il a passés au Québec une profonde gentillesse ». Et donc, quelques mois plus tôt, dans Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez, au côté de Valérie Lemercier : « Une fille géniale, folle à lier ! Ma scène intervenait lors des derniers jours de tournage. L’équipe était à cran, et Valérie elle-même, qui venait de se coltiner cinq heures de maquillage. Au moment où a retenti le fameux ‘Moteur !’, plutôt que de dire son texte, elle est partie dans un délire : ‘And one, and two, and thrrree…’ Au réalisateur excédé, elle a répondu qu’elle revoyait son anglais. Deuxième ‘Moteur !’. Valérie, toujours ailleurs, a enchaîné : ‘Dooo, réééé, miiii, faaaa, soool...’ Vous l’aurez compris : elle revoyait à présent son solfège ! »
Depuis le 12 septembre, Thierry est Jacob, l’extravagant homme de maison dans La Cage aux Folles, au théâtre de la Porte Saint-Martin. «L’événement théâtral de la rentrée !» annoncent en lettres rouges les affiches auxquelles vous n’avez pas pu échapper. Le producteur Jean-Claude Camus n’a pas reculé devant l’audacieux défi qui consistait à reprendre la pièce culte de Jean Poiret, immortalisée par la prestation de Michel Serrault. Les nouveaux Georges et Albin, Christian Clavier et Didier Bourdon, n’en sont pas à leur première « jaquette » : comment oublier Katia dans Le Père Noël est une ordure, Jacques-Henri Jacquard dans Les Visiteurs pour l’un ; « Stéphanie de MonacoôôO» et Madame Irma pour l’autre? « Ils n’ont pas fini de vous surprendre, prédit Thierry, et je peux vous dire qu’ils avaient très peur. Je salue ces deux personnalités extraordinaires qui ont fait preuve, tout au long de ces semaines de répétitions, d’un grand respect, pour tous, de beaucoup d’humilité et degénérosité.»
Force est de constater que le texte n’a pas pris une ride, et que Didier Caron à la mise en scène rouvre avec brio la célèbre boîte de travestis tropézienne. Caricature revendiquée et hilarante, La Cage est la quintessence du boulevard. « C’est le règne des stéréotypes, rappelle Thierry Laurion. Et une femme, même interprétée par un homme, se doit d’être ultra sexy… d’où les robes fendues jusqu’à la chatte ! Sur scène, le seul critère, c’est le rire. Et l’homosexualité, on doit pouvoir en rire ! » A cet égard, son entrée ne fait pas dans la demi-mesure : « Un grand jeté ! Puis je crie que je suis une diva, avec un tutu blanc en plumes… » On n’en révélera pas plus. On vous conseillera simplement de courir vous pâmer devant le talent de Thierry, la véritable révélation de cette pièce. Et, paraphrasant Pierre Perret, gageons que, de cette Cage-là, on le verra s’envoler très haut. À défaut de pouvoir lui entonner les couplets du Zizi après la représentation…