Siben, roi des sushis
On l’imagine tout droit sorti d’un film noir des années 40. Siben, c’est Humphrey Bogart dans le Faucon maltais. Il ne faut pas chercher bien loin pour l’envisager dans les habits du détective Sam Spade. On l’imagine, à Hollywood, au bras de Lauren Bacall. Charismatique et élégant. Siben N’Ser est un bel homme. Il aurait pu être acteur de cinéma. Il sera l’acteur de sa vie. Forcément, un premier rôle. Le rôle titre car sa vie est un film. Une success story à l’américaine, celle d’un self made man, devenu le roi des sushis.
A la tête du Groupe Planet Sushi qu’il a créé en 1998, Siben dirige aujourd’hui 700 salariés. Ils étaient vingt au début de l’histoire après l’inauguration du premier restaurant Planet Sushi à Mozart dans le XVIe arrondissement. Planet Sushi est aujourd’hui un concept unique quand Siben est presque une marque: un gage d’exigence et d’excellence. Il inaugurera fin juin, à Ibiza, son onzième restaurant (le deuxième qu’il exploite à l’étranger après Miami Beach en 2007), le B.For, créé en partenariat avec Cathy Guetta. Sa terrasse géante de 500 places à deux pas de la célèbre boîte de nuit Le Pacha et sa déco made in Siben, portent les espoirs de développement du groupe à l'international. D’autant que ce lancement devrait faire du bruit au royaume du son techno. Côté communication et marketing, Siben sait y faire...
Ce nouveau joyau du groupe précèdera une seconde ouverture cet été, toujours à Ibiza, mais sur la plage et un lancement en grande pompe à Valence en Espagne. “J’ai de grosses difficultés à déléguer et à faire confiance” confie Siben. “Lors des travaux d’un resto, je ne lâche pas les architectes. Je me dis que si je ne fais pas les choses, elles ne seront pas faites. Chaque nouveau restaurant est une seconde naissance. Je donne tellement de moi qu’à chaque fois je perds beaucoup de poids. A vrai dire, je ne prends pas vraiment soin de moi. Je n’ai pas le temps.”
Avec les prochaines ouvertures en région parisienne à Saint-Mandé, Puteaux, Nogent sur Marne, à Paris Place Péreire dans le XVIIe, et à Lyon, cet automne, dans la Presqu’île, ce serait étonnant que cet homme pressé ait davantage de temps. Siben travaille 20 heures sur 24. Et comme il a une idée à la seconde, c’est très difficile de mettre ses pas dans les siens.
Qui êtes-vous, monsieur Siben N’Ser? Pour le comprendre, il faut visiter ses jeunes années. A 11 ans, il animait les fêtes foraines à la criée. A peine plus âgé, il revendait à moitié prix des tickets de la foire de Paris devant le Parc de Princes. “J’ai toujours été débrouillard” lâche-t-il laconiquement. “A 8-10 ans, je savais que je deviendrai riche.” S’il a eu une enfance heureuse, entourée de gens aimants, Siben a grandi chichement avec la crainte des lendemains. A 14 ans, il arrête les études. “Ce n’est pas une fierté pour moi de dire que j’ai réussi sans le bac” précise-t-il. “Je sais que je suis un exemple de réussite pour les jeunes. Et je veux leur dire qu’il faut travailler à l’école même s’il n’est pas indispensable de faire une grande école de commerce pour devenir une référence en marketing.”
Il pourrait être responsable du développement des plus grandes société de CAC?40. Autant précurseur que prédateur, il a 18 ans juste sonnés quand il lance une boutique de téléphone portable avant la frénésie des mobiles. “Mais ça me saoulait” dit-il. Sa société de lavage de carreaux ne l’amusera pas davantage.
Il songe à quitter la France pour Haïti mais les sushis le retiennent dans l’Hexagone. Pionnier de la vague sushi, il réalise l’alchimie entre les recettes japonaises et les palais occidentaux. En faisant montre d’une vraie créativité - il a imaginé le Maki Nutella à l’effigie du créateur John Dodelande -, Siben a creusé le sillon du succès de son enseigne. “Pour moi, les sushis étaient surtout un produit simple à livrer et je savais que la rentabilité du concept passerait par les livraisons” dit-il.
Il vit dans une chambre de bonne sous les toits et attend 2001, soit trois ans après l’ouverture à Mozart, pour gagner son premier centime. L’avantage, c’est qu’il arrête de fumer six mois après le lancement du groupe, l’écueil, c’est qu’il a perdu 20 kilos. “J’ai fait une anorexie: j’étais en vraie dépression.”
Le temps a passé, l’homme n’a pas changé. “Il avait déjà le même souci de l’élégance à l’époque” dit Bruno Grade, directeur du Planet Sushi Café à Montorgueil. “Il passait des heures à se préparer. Il a également gardé son amour pour les fringues.” Siben acquiesce et assume cette boulimie. “J’adore les cols en V, les bracelets, les accessoires: parfois j’achète tellement de vêtements qu’il m’arrive d’en laisser dans les magasins”. Ou de faire plaisir à un ami...
“Parfois, je rêve de casser le marché et de faire des sushis à 1€ “.
L’amitié est une balise qui le guide autant que la générosité est chevillée à son corps. “Dans le business, il n’y pas d’amis” dit-il.?Pourtant, il ne travaille quasiment qu’avec ses amis ! Certains sont mêmes devenus ses associés. Toute la dualité et la dichotomie du personnage est résumée. Lors d’une séance de tasting de nouveaux sushis à Montorgueil, un samedi soir, quelques heures avant de s’envoler pour Ibiza, il s’emporte. Puis se rétracte devant la déception d’un de ses chefs débauché au Bound, car Siben ne s’entoure que des meilleurs.
“J’aime être satisfait, j’adore être surpris mais je déteste être déçu” lâche-t-il. “Sur 20 plats, j’en aime 17, c’est déjà énorme. Je suis un faux méchant mais je ne suis pas un vrai gentil.” La scène finit de sceller l’amitié et le respect entre les deux hommes et se termine par une accolade. C’est que Siben a un sens du détail qui fait son succès et sa réputation.?“Restaurateur, aujourd’hui, c’est mon métier” dit-il. “J’essaye de le faire le mieux possible. J’aime l’excellence, le travail bien fait.”
Il donne beaucoup donc il attend beaucoup des autres. Fier, il n’accepte néanmoins presque jamais les cadeaux. “Quand je vois une addition, c’est plus fort que moi, il faut que je la prenne pour la payer.”
Siben est un homme d’affaires décomplexé qui roule en Bentley - un an d’attente - et assortit ses montres Audemars Piguet à ses ceintures. Au printemps dernier, il a invité tous ses potes à Marrakech pour souffler ses 30 bougies. Il vénère le modèle américain, cite Nicolas Sarkozy quand on lui demande qui est son héros contemporain. Pour autant, il refuse de dévoiler son salaire. Il dira seulement que le patrimoine du groupe avoisine aujourd’hui les 30 millions d’euros.
Ses allures extraverties cachent un homme sensible, qui n’ouvre pas facilement les portes de son intimité. Il a peur du noir et n’éteint jamais la lumière pour dormir. Il dit regretter de n’avoir pas passé assez de temps avec sa mère adoptive. Siben est un homme simple qui aime le karaoké, les tomates et le Bordeaux. Précautionneux aussi: à Montorgueil, pour ne pas gêner ses voisins et les résidents avec les scooters, il a réduit ses ambitions de livraisons. Il dit avoir retrouvé à Montorgueil les mêmes jalousies qu’à Saint-Tropez où il avait monté un restaurant en 2004 en association avec le Papagayo. “Mais j’aime ce quartier: j’ai l’impression d’être en vacances, en Espagne ou au Maroc. Ici, les gens sont beaux”.
Siben N’Ser est surtout un grand séducteur. “Séduire, c’est ma vie” confirme-t-il. Il a autant besoin d’amour qu’une plante verte a besoin d’eau pour s’épanouir. “Quand je n’aime pas quelqu’un, vraiment je ne l’aime pas” confie-t-il. “Mais quand j’aime, je donne tout.? Quand je suis bien avec un ami, j'adore me poser mais je suis trop speed. Je lâche prise mais je suis toujours dans le contrôle.”
Impossible de se perdre car Siben sait où il va... De l’ouverture aux franchises en 2009, à la cotation en bourse à moyen terme, quand le groupe aura atteint sa taille critique, Siben a tout programmé. La concurrence ne l’effraie pas. “Je ne parle jamais de concurrence mais d’ouverture de marché” explique-t-il. “Parfois, je rêve la nuit de casser le marché et de faire des sushis à 1€. Quoi qu’il en soit, dans quelques années, je vendrai Planet Sushi et je changerai de vie” promet-il. Il partira peut-être en Espagne avec sa chérie, Virginie et les enfants qu’ils espèrent. “Mes enfants me suivront où j’irai” dit-il. En tout cas, il quittera sans doute la France pour l’Espagne ou Cancun pour faire la fête. “Vous savez, en cherchant bien, je dois aussi avoir en moi un côté fainéant.”
Qui s’ignore...