Saïd Taghmaoui: «Je peux comprendre que les électeurs finissent par opter pour un vote en faveur du Front National....»
Comment peut-on analyser votre trajectoire unique ?
Grâce à Dieu, la vie n’est pas une science exacte. Je viens de la banlieue parisienne, je suis issu d’une famille pauvre, j’ai des origines marocaines. Dans mon parcours, il y a quelque chose qui tient du miracle, un peu comme à Lourdes (rires). Je ne vais donc pas donner des leçons et tenir des propos dogmatiques. J’ai sans doute dû être au bon endroit, au bon moment. J’ai beaucoup de chance. Je ne sais pas si c’est le destin ou le Mektoub...
Vous êtes encore marqué par votre enfance...
L’enfance est peut-être la période la plus capitale dans l’existence d’un être humain. J’ai grandi dans un département dur et une cité difficile, où les lois de survie ne sont pas les mêmes, où l’égalité des chances n’est pas la même, où les destins ne sont pas les mêmes. Là-bas, il y a un terreau d’adversité permanente. Forcément, ça te forme et ça te marque pour l’éternité. A force de te dire que tu es une merde, tu finis par le croire. Misère sur ignorance, ça donne encore plus de violence. Il n’y a rien de pire qu’une personne qui n’a rien à perdre. Mais pour les gens de la rue, ce n’est ni dangereux, ni violent. C’est seulement leur réalité. La seule différence c’est la loupe avec laquelle on regarde la violence. Un privilégié de Paris aura peur des ghettos brésiliens. Alors que les jeunes de Rio seront heureux de manger les restes dans les poubelles... quand il en trouvent.
Le monde artistique vous a sauvé...
C’est la culture qui m’a sauvé. La lecture a été mon oxygène et ma psychanalyse. J’ai été passionné par la littérature. Et j’ai mis les bouchées doubles. Nous les cancres, quand on se met au travail, c'est sans répit parce qu'on est convaincu du gouffre qui nous sépare des autres. En découvrant cet univers, j’ai déroulé un fil d’Ariane, un livre en appelant un autre... La passion transcende tout. J’étais pris par une soif de connaissance. J’ai lu les bouquins que je ne lisais pas avant, j’ai rencontré des personnes que je ne rencontrais pas avant. On est riche quand on est cultivé, on est armé quand on sait... Comme dit un grand philosophe: ‘la seule chose que je sais, c’est que je ne sais pas’.
Vous souvenez-vous de l’œuvre qui a marqué votre inclination vers la littérature?
Siddhartha, de l’écrivain allemand Hermann Hesse, est le premier livre qui m’a donné la lumière dans un endroit pas très lumineux. J’ai découvert ce livre un peu par hasard dans la bibliothèque municipale d’Aulnay-sous-Bois. Je me souviens l’avoir dévoré en une journée. Ce livre raconte l’histoire initiatique d’un jeune homme qui passe par toutes les étapes de la vie dans un parcours spirituel extraordinaire. Il cherchera à atteindre l'éveil et la connaissance de lui-même. C’est un récit qui raconte les étapes essentielles de la vie.
Vous ne gardez pas un souvenir indélébile de l’école...
Je ne vais pas critiquer l’école française, celle de l’égalité des chances, du modèle républicain, de la laïcité. Mais je suis un autodidacte. Je ne suis pas beaucoup allé à l’école car le système ne me correspondait pas. Je trouvais ça rébarbatif. Je ne comprenais pas l’utilité d’apprendre des textes par cœur que je ne comprenais pas. Alors que la philosophie est un chemin essentiel, simple, entre nous et nous-même. Elle nous aide à positionner notre place dans la vie et nous apprend à façonner notre raisonnement, à remettre en cause des principes qui sont ancrés dans le marbre.
Le sport a également été un acteur majeur de votre construction intime...
La culture est ma plus belle rencontre et le sport est ma plus grande histoire d’amour. Je luis dois tellement. C’est ma seconde religion. En banlieue, le sport fait office de colonne vertébrale. Il m’a littéralement structuré. Il m’a appris à respirer. Il m’a préservé de moi-même. Il a été pour moi une vraie rédemption. Il m’a donné envie de devenir celui que je suis aujourd’hui. Mon sport de prédilection, toutes catégories confondues, c’est la boxe. Je voulais devenir champion du monde. C’est là que j’ai appris l’abnégation, la discipline , le respect de moi-même et surtout des autres. Je me concentrais uniquement sur ça. Je m’isolais du reste de l’univers et j’y mettais toute mon énergie. J’ai participé à des camps d’entraînement avec les meilleurs boxeurs du monde. On restait enfermés pendant trois mois et on s’entraînait 4 à 5 heures par jour. Ce que le sport m’a apporté, je ne l’ai trouvé nulle part ailleurs. Entre un voyage sportif et un voyage festif, je n’ai jamais hésité une seule seconde.
La boxe est peut-être une des plus belles métaphores de la vie et une vraie école de l’humilité....
Si tu baisses la garde, tu prends une droite (rires). C’est ce que j’ai, tout de suite, aimé plus que tout. On ne peut pas tricher. Mon entraîneur utilisait une merveilleuse image pour exprimer tout ça. Il nous demandait d’imaginer qu’une personne nous maintienne la tête sous l’eau et de nous concentrer sur l’envie furieuse de remonter à la surface pour prendre de l’oxygène. Si tu n’as pas envie de réussir, de gagner ton combat, comme tu as envie de respirer, alors... bonne chance!
C’est cette soif de réussite qui vous a permis de forcer les portes de la gloire aux Etats-Unis...
Forcément, il faut avoir faim pour réussir. Aux Etats-Unis, c’est encore plus vrai qu’ailleurs. Il n’y a qu’une seule recette pour s’imposer là-bas: le travail, encore le travail, toujours le travail. Aux Etats-Unis, j’ai pu faire en sept ans ce que je n’aurais jamais réussi à faire, en une vie, en France. La persévérance entretient un flirt insolent avec la chance.
Quand vous avez pris la décision de tenter votre chance aux Etats-Unis, vous ne parliez pas anglais. Aviez-vous conscience de tenter un pari aussi inconscient?
J’étais tellement passionné que je ne comptais plus les obstacles. Il y a beaucoup d’abnégation, de confrontation dans mon parcours, à Hollywood. Beaucoup de discipline, de rigueur, de doutes, de douleurs aussi. Finalement, c’est peut-être la meilleure définition de la vie. Je me suis donné les moyens d’être à la hauteur de mes ambitions. Je m’enfermais pour apprendre les textes. Je me torturais pour maîtriser la langue anglaise avec perfection. Je me levais aux aurores. J’allais au charbon. Je courais toutes les auditions et tous les castings comme un débutant sans jamais afficher mon CV. Et c’est de cette manière-là que j’ai donné une dimension professionnelle à mon métier.
La modestie, le courage, il faut tout ça pour réussir....
Il faut savoir faire preuve d’une humilité infinie. Et se remettre en question en permanence. En débarquant aux USA, je n’ai pas sorti de ma valise un assistant pour me porter le café ou organiser mon emploi du temps. J’ai bossé dans un restaurant pour boucler les fins de mois. C’est dans cette dimension-là que tu tires le meilleur de toi. Car il fallait survivre. J’étais seul et loin de tous ceux que je connaissais. J’ai travaillé dur et j’ai invoqué Dieu ! Je me suis appliqué à être discipliné tel un sportif de haut niveau qui prépare une compétition. J’ai passé plus de temps en bibliothèque qu’en discothèque. Pensez-vous que Nadal a passé sa jeunesse dans les boîtes de nuit? Il y avait beaucoup de sacrifices. Il fallait du courage et un grain de folie. De l’inconscience, aussi.
Quel a été votre moteur pour ne jamais renoncer malgré toutes les tempêtes que vous avez dû affronter sur le chemin du succès?
Ma vraie force pour changer la face de mon destin a été mon amour propre, mon désir d’être aimé noblement, dignement, ma compassion pour la vie et la foi en mon talent. Quand je crois en quelque chose, je peux renverser des montagnes. Je suis le genre d’homme qui peut mourir pour ses idées. Pour être exhaustif, je suis obligé de parler également du respect de l’éducation de mes parents. Je n’ai jamais oublié la notion de la valeur du travail que m’ont inculquée mes parents. On peut toujours faire mieux que ce que la vie nous propose. Dans la vie, il y a des opportunités et des virages à ne pas rater.
Quel regard porte la société américaine sur le monde arabe?
Il y a moins de stéréotypes qu’en France. L’histoire est différente. Surtout, les Etats-Unis n’ont pas à digérer l’héritage de la colonisation. Les Américains ont le fantasme des Mille et une nuits. Ils possèdent l’image d’Arabes dans des palais somptueux et sur des tapis volants, l’image de gens très riches à l’instar des Qataris ou des Saoudiens. Aux Etats-Unis, on ne parle pas d’arabes, de musulmans mais d’alliés de business entre pays amis. Aux Etats-Unis, les classes les plus défavorisées, ce ne sont pas les Arabes, ce sont les Latinos ou la communauté afro-américaine... En fait, être arabe aux Etats-Unis, ça a été un avantage extraordinaire. Là, où en France mon physique pouvait représenter un vrai inconvénient, un vrai frein au développement de ma carrière, aux Etats-Unis, c’est devenu un avantage, une qualité. Il m’a ouvert énormément de portes. J’ai pu interpréter des rôles de Mexicains, de Pakistanais, de Brésiliens, d’Italiens... Etre Arabe aux Etats-Unis, ça m’a donné accès à des choses dont je n’avais pas idée. Prenez l’exemple du regretté Omar Sharif, paix à son âme, qui a été une très grosse référence pour moi. Aux Etats-Unis, il a fait une grande carrière. En France, pour plusieurs générations qui n’ont pas connu Lawrence d’Arabie ou Docteur Givago, pour ne citer que quelques classiques intemporels, il est demeuré l’homme de la publicité du PMU. Pour ces personnes-là, Omar Sharif, était connu pour le célèbre slogan: ‘les courses, c'est mon dada ! ‘ Quel drame absolu !
Votre choix est d’autant plus osé que le cinéma américain repose sur un modèle intraitable.
Aux Etats-Unis, on parle de l’industrie cinématographique comme on parle de l’industrie automobile, en France, et ce n’est pas un hasard. C’est du business avant tout. Forcément, un jour, il y a une place pour les gens talentueux. De la même manière qu’il y a toujours un nouveau modèle de voiture pour les clients. Le talent est une véritable valeur marchande. Hollywood, c’est un modèle dur mais juste. Il y a moins d’émotion, moins de copinage. C’est moins délicat, moins humain, moins sensible. Il faut une carapace plus solide. Il faut énormément d’énergie brute. Mais qu’est ce ça fait du bien ! C’est plus méthodique et plus intègre. On sacralise la rançon du travail. Point besoin de piston ou de connexions privilégiées. Le troc, c’est le talent. Si vous décidez de faire la guerre et de vous engager corps et âme, comme un valeureux soldat, vous trouverez toujours une bataille à mener et à gagner. Cette bataille sera sans concession mais tout le monde aura sa chance. C’est celui qui va incarner le mieux le personnage et qui va servir le mieux le projet qui va remporter la mise, c’est le plus crédible qui aura le rôle. C’est l’essence même de la définition du mot casting.
Vous êtes comme un poisson dans l’eau à Los Angeles. Vous avez pleinement adopté le modèle américain...
Aux Etats-Unis, tous les chemins mènent à Rome, l’important pour les Américains étant d’arriver à Rome. Peu importe l’itinéraire entrepris, peu importe que tu sortes d’une très grande école ou du fin fond des bidonvilles, c’est le parcours qui définit l’homme. Les Américains ont laissé le snobisme au vestiaire. Quand le grand patron vous reçoit, il ne se dit pas qu’il a cinq minutes à perdre, il se persuade qu’il a tout à gagner. Il y a un côté direct et honnête comme dans le sport. Si tu décides de monter sur le ring et que tu mets KO le champion, tu deviens le champion.
C’est la raison pour laquelle vous avez quitté la France...
C’est ma réflexion politique qui m’a permis de préserver mon artistique. Que fais-tu d’une meuf qui ne veut pas de toi ? Tu as beau faire tous les efforts du monde, c’est mort... Pour s’aimer, il faut être deux. Il faut mieux se barrer et chercher une autre meuf. J’ai dû tout reconstruire. Et je suis parti. Sans me retourner.
Avant de partir, vous avez néanmoins réussi à faire un film générationnel, La Haine...
C’est d’autant plus frustrant de partir après avoir rencontré le succès. On a été un peu trop en avance avec ce film, une vraie locomotive qui a tiré les wagons de la culture urbaine (musique hip-hop, danse, graffiti). En France, c’est toujours compliqué d’être précurseur. On avait imaginé La Haine comme un vrai miroir de la réalité sociale, sans concession, ni complaisance. On voulait être le plus authentique possible. On souhaitait que ce film marque les esprits, qu’il ait l’impact d’une balle. On n’était pas franchement dans la séduction, c’est pourquoi on a décidé de le tourner en noir et blanc. C’est un film honnête, un film fait par des jeunes en phase avec ce qui se passait vraiment loin des clichés et des stéréotypes. On parle toujours mieux de ce qu’on connait. C’était presque un devoir de faire ce film. Les artistes qui ne se préoccupent pas des maux du monde sont des artistes qui ne m’intéressent pas. En un film, je me demande si nous n’avons pas fait plus de politique que tous ces pseudos exercices gouvernementaux.
Vous n’avez jamais été tenté par une carrière politique...
Tout autour de nous est politique. Si tu ne fais pas de politique, la politique s’occupera de toi. Mais, j’ai fait de la politique avec mon art. Vous pensez que La Haine n’était pas un film politique? La vérité, c’est que je n’ai jamais eu envie d’être élu ou de figurer dans des commissions pour l’intégration. Je n’ai jamais eu besoin de ça pour exister ou pour vivre. J’ai seulement fait des films pour sensibiliser, pour faire réagir, pour partager mais jamais pour semer les cailloux d’une propagande personnelle de ma petite personne et en retirer un salaire ou une aide.
La montée du Front national vous inquiète-t-elle?
Je vais peut-être vous surprendre mais je vais répondre «non». Depuis plus de trente ans, on agite le FN comme un épouvantail dans une sorte de mascarade permanente. Il faut savoir que SOS racisme a misé sur le développement du Front national pour diviser les citoyens. On n’est jamais déçu par ses ennemis mais toujours par ses alliés. SOS racisme est une des pires choses qui soit arrivée aux jeunes issus de l’immigration, en France.
Les dernières élections ont néanmoins redessiné la carte électorale en faveur du FN...
Je peux comprendre que les électeurs finissent par opter pour un vote en faveur du Front National. Je suis d’origine marocaine et je peux comprendre qu’on puisse se poser la question. Je suis Français, j’ai un passeport français comme Marine Lepen. Qu’est ce qu’elle va faire contre moi? On cristallise l’attention sur la partie négative de ce parti. On en parle doucement, à voix basse, comme quelque chose d’illicite. Mais c’est un parti politique à qui la justice française reconnaît le droit de s’aligner sur la ligne de départ des élections au même titre que le PS, l’UMP, l’UDI etc... Chacun défend ses intérêts en fonction de ses valeurs.
Vous avez un point commun avec Nicolas Sarkozy: vous êtes supporter du PSG. On vous voit régulièrement près de l’ancien Président, au?Parc des Princes...
Effectivement, je suis assis devant lui, au Parc des Princes. Il est coutume de dire que le sport rassemble les hommes au delà de leur idées dissemblables. Il ne va rien faire pour moi et je ne vais rien faire pour lui. A part célébrer le même but...
Vous avez soutenu François Hollande lors des dernières élections présidentielles...
Dans la vie, il faut faire des compromis. Parfois, on opte pour le moins pire sans faire automatiquement le bon choix. J’aimais beaucoup le candidat Hollande, lors de la campagne. Aujourd’hui, c’est un autre homme. Je ne le reconnais plus. A gauche, j’avais beaucoup d’admiration pour Jospin. Il était trop intègre et trop honnête pour devenir Président. Pourtant, Jospin aurait sans doute été un bien meilleur Président pour la France.
Pouvez-vous nous parler de votre analyse de l’immigration en France et de votre rejet politique de la société hexagonale?
Le racisme se cache dans les détails et dans le choix des mots. Quand un Français travaille à l’étranger, on le qualifie d’expatrié. Quand un Marocain travaille à l’étranger, on le désigne comme un immigré. Quelle est la différence entre un expatrié et un immigré? Le concept d'intégration est une utopie française. Ce n’est pas une histoire d’intégration mais bel et bien un problème d’acceptation. Il y a une nuance. Elle est de taille. Nous sommes tous intégrés à partir du moment où nous payons nos impôts et que nous respectons les lois de la République. C’est un grand sujet et un vaste débat. C’est l’histoire de l’héritage des mauvaises habitudes de la colonisation et du rapport aux communautés, aux minorités visibles. Depuis le début du XXe siècle, l’immigration est une partie intégrante de la vie sociale, économique et politique française. Mais on n’est jamais arrivé à construire une France plurielle. On a toujours préféré le rouge vif à un florilège de couleurs. Si on peut mettre trois cordes à son arc, il faut être fou pour n’en conserver qu’une seule. On s’offrirait tellement plus d’opportunités... On a essayé beaucoup de choses en France. On a essayé les quotas, on a essayé la discrimination positive, on a essayé l’égalité des chances, on a repeint les bâtiments des quartiers populaires, on a détruit certaines tours pour en construire d’autres mais on n’a jamais essayé l’amour.
A l’évidence, vous êtes très pessimiste sur l’avenir de la France...
Si on continue à mettre la poussière sous le tapis sans jamais l’enlever vraiment, l’horizon me semble bien sombre. Ce n’est pas la chute qui compte, c’est l’atterrissage (rires). Mais je demeure positif car je crois au soulèvement d’une deuxième France que nos élites refusent, pour l’instant, de voir. Par exemple, j’ai été très surpris et très enthousiaste devant le spectacle donné par le mouvement des Bonnets Rouges. Ce n’était plus seulement un quartier ou une cité qui sortait des clous mais une région entière, toute la Bretagne. Je crois en la capacité des Français de s’indigner. ça devrait être un devoir pour tout citoyen.
Dans l’affaire Dieudonné, on imagine que vous êtes un défenseur de la liberté d’expression...
Forcément, la liberté d’expression est un sujet d’importance, et je serai toujours là pour la défendre. Concernant Dieudonné, de quelle affaire parle-t-on? Ce n’est pas une affaire d’état, c’est le problème d’un microcosme parisien. La vérité, c’est qu’on s’acharne sur un artiste qui n’oblige pas le public à se rendre à ses spectacles. Si ses propos sont condamnables, il faut appliquer la loi. Sinon, je pense qu’il faut le laisser travailler.
Dieudonné serait donc un écran de fumée, un problème fabriqué pour oublier les vrais problèmes qui se répandent en France...
Il a rempli cinq zéniths pour un total de 40.000 spectateurs, sans aucune publicité. Comment peut-on imaginer qu’il y ait 40.000 antisémites? N’y a-t-il pas de problèmes plus importants que Dieudonné en France? L'ordonnance du Conseil d'État annulant la décision du tribunal administratif et interdisant son spectacle était vraiment choquante. Dieudonné, c’est comme la radio, si tu n’as pas envie de l’écouter, tu zappes.
Vous êtes fan de Dieudonné...
J’ai une analyse sur la forme. Sur le fond et sur le contenu, il est difficile pour moi de juger car je ne connais pas suffisamment bien. J’ai un peu lâché depuis mon départ aux Etats-Unis. Mais, dans mon souvenir, il était plutôt très drôle...
Quelle est votre dernière vraie crise de rires?
C’était devant ma télé, aux Etats-Unis. Je regardais un spectacle de Katt Williams. Influencé par Richard Prior, Eddie Murphy, Whoopi Goldberg ou Bill Cosby, ce comique black de stand up’ est un pur génie. Il explique des choses sur la vie qui sont énormes. L’analyse de la société américaine, à travers les yeux d’un black, est remarquable.
Vous votez Jamel Debbouze ou Gad Elmaleh?
Dieudonné (rires). Non, plus sérieusement, entre Jamel Debbouze ou Gad Elmaleh, je choisis sans hésiter Abderrahim Tounsi, surnommé "Abderraouf". Il a fait plier de rire le Maroc tout entier mais il n’a jamais eu la reconnaissance qu’il méritait. On l’a presque même oublié, aujourd’hui. C’est lui le vrai grand comique marocain qui a inspiré tous les autres. Si son talent avait été récompensé, Il aurait été une grande vedette internationale.
Comment jugez-vous la place des Arabes dans le cinéma français?
Dans la catégorie cliché ou stéréotype, cochez la bonne case: terroriste, épicier, dealer, arabe de service, toxico, taulard ou vendeur d'armes.... Que du bonheur !
Comment analysez-vous l’évolution du cinéma français?
Je vous avoue que je suis un peu passé à autre chose. Je ne suis pas trop. Mais c’est toujours plaisant de voir un bon film qu’il soit français ou étranger. Avant, les producteurs et les télévisions faisaient la pluie et le beau temps. Aujourd’hui, ce sont les banquiers qui ont le pouvoir. Ce n’est pas mieux, ce n’est pas moins bien.
En France, les comédies populaires rencontrent leur public...
C’est normal car elles sont plutôt bien faites. Quand elles sont intelligentes, c’est encore mieux et c’est souvent le cas, en France. Quoi qu’il en soit, elles connaissent un succès populaire qu’il faut respecter. Et c’est grâce au succès de ces comédies populaires que les films difficiles d’accès, le cinéma d’art et d’essai survivent à travers le CNC et l’état français.
Comment avez-vous géré votre succès?
J’ai très vite compris que le succès n’était pas compatible avec l’être humain. Il faut une normalité extraordinaire pour pouvoir dealer avec le succès. La célébrité se quantifie. Elle permet d’enchaîner les rôles. Mais ce n’est pas une valeur. Le jour où on vit à travers ça, on meurt à travers ça. Car le succès n’est pas rationnel. Il oblige à cultiver beaucoup de dignité, d’humilité et à travailler davantage. Il ne faut pas le prendre au sérieux. Il faut prêter attention à la sincérité qu’on met dans son métier. Ça se passe entre toi et toi-même et ensuite entre toi et le public. Ce n’est pas la notion de succès qu’il faut véhiculer, c’est la notion d’exemple. Ainsi, j’espère que ce que j’ai accompli va permettre à d’autres de le faire aussi.
Est-ce que vous croyez au destin, en votre bonne étoile?
Forcément, c’est lié à ma culture, à ma religion. Chez nous, on appelle ça le Mektoub.
Quelle est votre plus belle rencontre?
Incontestablement, la littérature. Pour les rencontres humaines, elles sont nombreuses. Il y a quelques personnalités qui m’ont donné envie de devenir un homme meilleur et de me dépasser. On entre alors dans un phénomène d’admiration. C’est même la fondation principale de l’amour. Quand on admire sa femme, on sait pourquoi on se réveille, chaque matin, à ses côtés.
Si on vous demandait de ne citer qu’une personne...
Je vais prendre le risque de décevoir quelques personnes mais je vais jouer le jeu. Si je ne devais retenir qu’une rencontre fondamentale, ce sera celle avec Mark Wahlberg. Il y a de la compassion, du respect et de l’admiration, entre nous. Même de l’amour... J’ai rencontré Mark dès que j’ai posé les pieds, à Los Angeles. On est tout de suite devenu inséparables, soudés, confidents, fusionnels. On est comme des frères. On a joué ensemble dans Les Rois du Désert avec George Clooney pour nos débuts, à Hollywood.
Vous avez également rencontré Michael Jackson. Pouvez-vous nous parler de ce diner partagé avec cette immense star?
Je tournais Five Fingers en compagnie de Ryan Phillippe et Laurence Fishburne, à la Nouvelle Orléans. Nous étions la veille de Thanksgiving. Laurence Fishburne m’a proposé de l’accompagner, à Neverland, chez Michael Jackson, pour cette grande fête. Je n’ai pas de famille, aux Etats-Unis. J’étais donc disponible et je n’ai pas hésité une seule seconde. Je ne regrette pas car je n’oublierai jamais ces moments uniques.
Michael Jackson était-il abordable?
Si vous voulez que je vous dise que Michael Jackson était un homme normal, vous allez être déçu. Ce serait un mensonge. Ce fut un moment très particulier. Avec Michael Jackson, on entrait dans la quatrième dimension, pas dans le sens péjoratif du terme mais dans son sens le plus mystique. Il s’est littéralement abandonné et sacrifié à son œuvre et à son public.
Vous étiez à l’affiche de American Bluff, le film de l’année 2013. Encore une consécration...
Le réalisateur David O. Russell, un ami intime avec qui j’avais déjà tourné Les Rois du Désert, m’a demandé de venir, à Boston, sur le tournage pour faire un clin d’œil dans ce film culte, déjanté et original. Je suis ultra fan de son boulot. David O. Russell est un génie qui travaille sur l’humain avec une précision d’horlogerie suisse.
Est-ce que vous regrettez certains choix?
Le cinéma est un instrument de ma vie et la vie n’est pas une science exacte. La base, c’est l’éducation de nos parents. Quand on commence à voler de ses propres ailes, on remplace les figures imposées par l’atavisme et on s’essaye aux figures libres. On se cherche. C’est un parcours initiatique. Il faut accepter ses erreurs. Il n’y a pas de mode d’emploi. On apprend sur le tas. Alors, forcément, j’ai parfois fait de mauvais choix dans ma vie et dans ma carrière. Avec le temps, j’ai appris qu’on ne perd pas quand on tombe. On perd quand on décide de ne pas se relever. Il en va de la vie comme de la boxe. Quand on se relève plusieurs fois, ça s’appelle l’expérience. Et ça ne s’achète pas. Il faut le vivre. Un grand philosophe chinois a dit un jour : ‘tomber sept fois, se relever huit...’ Dans la vie, parfois tu gagnes, parfois tu perds ou tu apprends de ton erreur. Si on a perdu et si on prend une leçon de vie, alors on n’a pas vraiment perdu. Ca doit nous servir pour la prochaine fois. Idiot est celui qui se fait mordre deux fois par la même vipère.
Vous revendiquez toujours votre culture française...
La France fait partie de ma vie. Je me sens aussi profondément Français que Marocain. Sûrement une forme de schizophrénie. Là où je sens que je suis le plus Français, c’est quand je suis à l’étranger. L’éloignement me ramène aux valeurs de la France. Mes réflexes sont français, mon accent est français. Même mes rêves sont en français. Ma culture culinaire et ma structure scolaire sont des éléments majeurs de ma personnalité. Il ne faut pas oublier les grandes références architecturales, littéraires, intellectuelles qui ont fait de la France un très grand pays. Sans oublier la culture gastronomique à laquelle je suis très attaché. La cuisine d’un pays permet presque de comprendre l’identité de son peuple. Par exemple, je suis attristé d’assister impuissant à l’explosion de l’offre de restauration rapide à emporter, le prêt à manger ou de cafés américains qui poussent comme des champignons nucléaires, à Paris. Au pays du café en terrasse et de la tradition de grande brasserie, la malbouffe devient reine. Mais Paris, c’est ma ville. Et ça restera ma ville pour l’éternité.
Vous possédez les trois nationalités: marocaine, américaine et française...
Je suis un citoyen du monde et le ciel est mon toit.
Peut-être vous manque-t-il un grand rôle en France, à l’image de ceux que vous défendez dans les super-productions américaines...
Avec beaucoup d’humilité, je pense avoir déjà fait de belles choses, en France. Je suis très fier et très heureux de ce parcours. Mes opportunités et ma carrière se sont seulement déroulées, de l’autre côté de l’Atlantique. Ce ne sont pas les acteurs qui décident de tout. On reste aussi l’objet du désir des réalisateurs et des producteurs. En tout cas, ça viendra si ça doit venir. Mon destin est peut-être de réaliser ce film plus de que de l’attendre. Dans ma vie et ma carrière, on ne peut pas dire que j’ai brillé par ma patience. Si j’en avais vraiment eu envie, je pense que je l’aurais déjà fait, depuis longtemps. Les portes sont ouvertes. Je reste à l’écoute. Et à disposition.
Pour forcer autant de portes et esquiver autant d’obstacles, vous devez avoir une confiance en vous inébranlable...
Depuis que je fais du cinéma, grâce au travail, grâce à toutes les expériences que j’ai pu vivre, j’ai appris à avoir confiance en moi. Avec le temps, je suis devenu un acteur professionnel. Autant, parfois je peux manquer de confiance dans ma vie privée, autant quand il s’agit de cinéma, la magie opère et j’y vais pour de vrai. Je ne sais pas faire semblant. Mais avoir confiance en soi ne veut pas dire faire preuve d’arrogance ou d’égocentrisme. Etre un artiste reconnu ne nous donne pas le droit de nous considérer comme des êtres humains supérieurs. Nous ne sommes supérieurs en rien et par rapport à personne. Nous avons juste la chance d’exister dans les yeux des autres. Nous sommes la continuité de leurs émotions. Et, il y a une forme de privilège de toucher les gens dans leur intimité. Il y a un phénomène d’identification qui s’opère. Comme un effet miroir, ils ont l’impression de se voir. Ils ont l’impression de nous connaître personnellement. D’où cette indulgence permanente, cet amour du public, des fans... C’est un métier extrêmement difficile. Il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus. Il vaut mieux être en phase avec soi-même. Donc avoir confiance en soi devient essentiel.
Si vous aviez la possibilité de changer quelque chose dans votre physique, est-ce que vous choisiriez cette option?
L’enveloppe charnelle n’a jamais été un sujet de grande importance pour moi. J’ai toujours privilégié l’âme au corps. Je pense que l’harmonie vient de l’intérieur. Il faut apprendre à s’accepter pour avancer et œuvrer à transformer ses défauts en qualités.
Vous parlez d’un manque de confiance dans votre vie privée...
Il y a une telle différence foncière entre mon métier et ma vie intime. Je pense avoir acquis une maturité professionnelle. Dans la vie privée, c’est totalement différent. Je suis très sensible au point que ça devienne presque un défaut. Par exemple, je n’ai pas encore assez confiance pour fonder une famille. Ma hantise est de me tromper. L’image que je renvoie est opposée à celle que je suis réellement. Je suis un vrai cérébral. Je suis un timide utopique et romantique. Et c’est la raison pour laquelle je suis encore célibataire. Je suis souvent malheureux dans mes relations amicales, également. Je donne beaucoup et j’attends un minimum, en retour. Et ce minimum vient rarement. Peut-être que j’attends trop mais la vérité, c’est que je suis souvent déçu par les êtres humains.
Votre future femme sera-t-elle marocaine?
Ma femme sera celle qui remplira mon cœur et ce sera une bonne mère pour mes enfants. On parle d’une histoire d’amour. Donc, il n’est point question de religion ou de couleur dans cette quête-là. La seule option qui soit acceptable, c’est de trouver celle qui me rendra heureux, la personne qui me conviendra le mieux: ma moitié. ça reste une des choses les plus compliquées de la vie. C’est un peu comme la tombola: tu peux jouer toute ta vie et ne jamais gagner.
Qu’est ce qui est rédhibitoire chez une femme?
Le matérialisme, la bêtise, l’absence de spiritualité, le manque d’élégance, de valeurs peuvent très vite devenir des éléments rédhibitoires. Le charme est aussi très important pour moi. Il y a un vieil adage qui exprime particulièrement bien cela: ‘une femme sans charme, c’est comme un hameçon sans appât’. A méditer...
En fait, vous avez tout réussi sauf votre vie privée...
Je ne l’ai pas réussie mais je n’ai pas échoué car je n’ai pas commencé (rires). Il faut quand même préciser que je m’occupe particulièrement bien de ma famille, et c’est un point essentiel de ma vie privée. Quand j’aurai des enfants, rien ne me séparera d’eux. Il convient donc de ne pas se tromper pour le choix de la maman.
Est-ce que vous arrivez à jauger rapidement les personnes que vous rencontrez?
Mon grand-père disait qu’il faut gratter la racine avant de renifler une fleur. C’est très compliqué de ressentir les gens aux premières lueurs de la rencontre. Mais je suis un homme d’instinct et je m’y fie sans concession. Je suis très animal quand il s’agit d’envisager une personne. C’est organique. Il n’y a pas de mots assez précis pour définir l’aura et sonder une personne. C’est davantage une histoire d’émotions et de vibrations. Par exemple, Jean Cocteau disait que ce que l’on ressentait durant les trente premières secondes d’une rencontre était le plus important. Ensuite, la personne met son masque. Tout est une histoire de bonne ou mauvaise énergie.
Pouvez-vous nous parler de votre dernière colère?
Ma dernière grande indignation est l’énorme mascarade du Printemps Arabe. Au lieu du printemps annoncé pour la Tunisie, l’Egypte, la Libye, ces nations affrontent un hiver bien froid, bien gelé. La démocratie, ce n’est pas le commerce des oranges. Ce n’est pas quelque chose qui s’exporte. En Irak, en Lybie, c’est le pire du pire. C’est l’anarchie. On a détruit des pays pour construire des villas...
Quels sont vos héros contemporains?
Ce sont les héros du quotidien. Ceux qui triment sans reconnaissance et sans espoir de lumière. Ceux qui restent toute leur existence en accord avec eux-mêmes. Ceux qui font face avec dignité. Le père de famille qui se saigne dans l’indifférence pour offrir du bonheur à ses enfants et qui va mourir dans l’oubli est un vrai héros. Le vendeur de poissons, au coin de la rue, est davantage un héros que les hommes politiques ou les artistes.
Vous faites l’apologie des gens normaux, des discrets...
Oscar Wilde disait : ‘aujourd’hui, on connait le prix de tout mais la valeur de rien’. L’homme est naturellement attiré par la lumière mais est-ce que tout ce qui brille est de l’or? Il y a beaucoup de manipulations pour aider les citoyens à basculer sans frein dans une société de consommation. On nous propose sans cesse des choses dont on n’a pas besoin. C’est donc normal de saluer ceux qui font l’effort de s’extirper du système, ceux qui ont une volonté de se questionner, de s’indigner.
On imagine que vous avez encore des rêves et notamment celui d’avoir une vie plus simple, plus anonyme...
Je veux être le premier rebeu issu d’un ghetto français à gagner un Oscar, davantage pour le message politique que pour la portée médiatique. Mais mon rêve n’est pas de tourner le film du siècle ou d’avoir le plus gros cachet de Hollywood. Mon vrai rêve, c’est une tribu, avoir 8 ou 10 enfants, minimum. Comme ça on peut jouer au foot ou faire une équipe de basket... C’est ça, le vrai sens de la vie. Pour être plus sérieux, c’est fonder une famille, une descendance, et surtout être à la hauteur, être un bon père, être de bons parents, faire face. Voilà le grand film de ma vie.
Vous avez pris beaucoup de temps avant de vous exprimer sur les événements de Charlie-Hebdo...
J’ai pris le temps de la réflexion pour ne pas être guidé par mes émotions mais par ma raison. Car j’ai entendu tout et n’importe quoi. Je suis un artiste français et je suis de confession musulmane. Ça me concerne donc doublement. D’abord, je tiens à présenter mes condoléances à toutes les familles de ces innocents morts, durant ce carnage. Ensuite, je ne suis pas Charlie, je n’ai jamais été Charlie et je ne serai jamais Charlie. Bien sûr, je suis pour la liberté d’expression. J’aimerais même qu’elle soit totale. Mais la liberté s’arrête là où commence celle des autres. Je pense qu’on peut parler de tout, rire de tout mais avec responsabilité, dans la bienveillance des autres. Et particulièrement des personnes d’une autre culture que la nôtre, d’une autre religion. Pourquoi blesser tous les Musulmans qui sont pacifiques, qui sont des citoyens, des frères? De quel droit, au nom de la liberté d’expression, irais-je les heurter? Il convient de préciser qu’insulter le Dieu d’une autre confession que la sienne n’est pas un blasphème car ça n’engage pas sa relation avec Dieu. Supposons que vous n’aimiez pas certains aspects d’une religion, supposons même que vous souhaitiez combattre de telles croyances, est-ce que dessiner des caricatures qui réunissent des millions de gens dans la même indignation est le meilleur moyen? Au contraire, ces insultes répétées vont probablement unir davantage ces gens dans la défense de leur foi... Il existe, évidemment, des méthodes autrement plus efficaces pour débattre de la religion que des caricatures à caractère pornographique. De la même manière, est-ce que pour affirmer notre liberté nous devons prouver que nous n’avons pas peur de commettre un blasphème? Dans le cas de Charlie-Hebdo, les caricatures prétendument blasphématoires n’ont rien à voir avec la foi musulmane. Elles tiennent surtout de l’obscénité. Le prophète Mahomet est souvent représenté par un phallus. Quelle est la nature du message? Le problème est-il le blasphème ou l’insulte vulgaire et gratuite? Les Musulmans n’ont pas seulement lu dans la dernière caricature de Charlie-Hebdo un blasphème mais une répétition des gifles pornographiques contre leur prophète. A mon sens, les dessinateurs de Charlie-Hebdo étaient un peu comme des enfants irresponsables qui ont joué avec des allumettes avant de mettre le feu à la maison. Et peut-être à plusieurs maisons. Alors, pour résumer, oui à la liberté d’expression mais avec responsabilité. En fait, ce qui a été insoutenable pour nous, Français d’origines maghrébines, c’est qu’on nous ait demandé de nous désolidariser du terrorisme. Comme si on était solidaires du terrorisme.
Difficile de ne pas conclure cet entretien en vous demandant votre avis sur Much Loved, le dernier film de Nabil Ayouch...
Difficile de parler d'un film qu'on n’a pas vu! Mais, une chose est sure, tous les pays sont confrontés aux fléaux de la drogue et de la prostitution. Pourtant, aucun n'accepte que l'on véhicule une fausse image de la société à travers des clichés et caricatures grossières. En effet, il est difficile d'imaginer, dans ce monde, un père et une mère qui aimeraient que leur fille devienne une prostituée. Peu importe la raison pour laquelle une fille bascule dans la prostitution. C’est toujours un choix tragique pour sa dignité. Et on ne doit pas oublier les dommages collatéraux incommensurables... Beaucoup de Marocains et de familles expatriées sont blessés par cette atteinte aux valeurs de notre pays. Le cinéma est un art populaire et ce n'est que si vous mettez votre talent au service de cet art que l'alchimie se crée. Si pour faire le buzz, vous insultez votre auditoire, il est légitime que cet auditoire ne cautionne pas et le fasse savoir. On veut nous faire croire que ce film est destiné aux Marocains et qu'il a des vertus positives pour le pays. Mais comment les Marocains peuvent réfléchir sur ces problématiques alors même que ce film va à l'encontre des valeurs religieuses, culturelles, morales... Ce que je veux dire c’est que la plupart des familles marocaines ne pourraient pas assister à une projection de ce film tant il est subversif et attentatoire à l'héritage socioculturel de notre pays. Ne pas en tenir compte n'a pas de sens ! Grâce à Dieu, aujourd’hui au Maroc, nous pouvons parler de tout mais les sujets sensibles se traitent avec talent, respect et dignité, pas en transigeant avec nos valeurs à des fins commerciales. Je n’ai rien contre le réalisateur, bien au contraire.?Je pourrais peut-être réussir à comprendre qu’il traite ce sujet. Mais il convient de reconnaître qu'une majorité de Marocains n'a pas compris la forme employée. Ne pas l'entendre ou le reconnaître, c’est faire preuve d’égoïsme et d’irresponsabilité... Voilà pourquoi je n'irai pas voir ce film !