Quand Fillon s’invite à la Cantine
Juillet. 2008 \\ Par Jérôme Lamy

C’est à la Cantine, au cœur du passage des Panoramas et du Quartier Numérique, que François Fillon et Eric Besson ont lancé les Assises du Numérique. Si le Premier ministre a écouté avec attention les entrepreneurs du secteur, il a également tracé sa feuille de route.

Pour un coup de pouce médiatique, la Cantine ne pouvait rêver meilleure caisse de résonance. C’est en effet, au passage des Panoramas, dans ce lieu qui tend à devenir une plate-forme innovante et référente dans le domaine des initiatives collaboratrices dédiées aux nouvelles technologies, que François Fillon et Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique, ont décidé de porter sur des fonds baptismaux les Assises du Numérique.
Le 28 mai dernier, la veille du lancement de ce grand chantier dans le secteur des Technologies de l'Information et de la Communication, François Fillon et Eric Besson  se sont entretenus avec des entrepreneurs (1) sur les enjeux liés au développement du secteur.
Détendu, souriant, très à l’aise sur le dossier, le Premier ministre s’est montré particulièrement disponible, n’hésitant pas à manier l’humour: “Comme le dit Anne Roumanoff, Internet c’est le truc qui permet de payer la radio qui serait gratuite si on l’écoutait pas sur internet?”

 

François Fillon, pouvez-vous nous expliquer votre présence à la Cantine, au cœur du Quartier Numérique?
J’essaye d’aller là où les gens ont des bonnes idées. Nous faisons un gros effort dans le domaine de l’économie numérique, c’est indispensable. C’est la première fois que nous nommons un secrétaire d’Etat à l’économie numérique et c’est la première fois qu’il est rattaché à Matignon et non à Bercy. C’est un vrai problème culturel et une priorité de service public pour nous. Ce n’est pas normal que la part de croissance de l’économie numérique dans l’économie française soit la plus faible des pays développés.?On a réussi à combler notre retard dans les réseaux et les tuyaux. Aujourd’hui, notre défi, c’est de favoriser l’émergence de l’économie numérique.

 

“Jamais, je n’ai reçu un mail du Président ou de mes ministres: on ne communique que par SMS...”

Quels sont les moyens pour y parvenir?
Déjà, je suis heureux d’entendre les entrepreneurs parler de paradis fiscal, il ne faut pas le dire trop fort (rires). Mais cela veut dire que nous faisons un vrai effort pour favoriser la recherche et le développement dans un pays par tradition opposé à semblable politique. L’Etat doit être moins contraignant: il faut lever les obstacles. C’est d’ailleurs la faiblesse du modèle français dans tous les domaines, pas seulement dans celui de l’économie numérique. On doit absolument faire sauter les verrous qui empêchent de passer de la petite entreprise à la PME. Le modèle allemand est intéressant. On va proposer de geler le seuil de financement pendant deux ans. La loi votée dans quelques semaines devrait également permettre de répondre aux problèmes de paiements. Les délais de paiement vont passer de 60 à 45 jours. C’est dommage d’être obligé d’imposer cette réforme par la loi mais on ne pouvait pas laisser perdurer cette habitude française. Il faut savoir qu’on est confrontés à beaucoup de résistance notamment chez les grandes entreprises qui vont devoir mobiliser du jour au lendemain une trésorerie importante.

Réaliser un Small Business Act à la française était un des thèmes de campagne de Nicolas Sarkozy. Où en est-on?
On défend cette idée à Bruxelles et la présidence française de l’Union européenne devrait nous aider à aller au bout. L’enjeu, c’est d’accompagner, d’encourager et de protéger les petites entreprises en leur réservant, par exemple, une part des marchés publics. Il faut donc trouver un juste équilibre. La législation discriminatoire apparaît comme une horreur dans ce pays. Il faut changer les mentalités. Les Etats-Unis et le Canada sont capables de le faire. Pourquoi pas nous?
Il y a également un vrai problème universitaire pour accompagner l’émergence de l’économie numérique.
C’est clair qu’il n’y aurait pas eu Silicon Valley sans des universités américaines riches, ouvertes et puissantes. On a programmé l’émergence de dix universités locomotives capables d'accueillir de grands chercheurs étrangers. Des efforts ont déjà été faits mais il faut aller plus loin...

Le téléphone portable est-il la seconde révolution après internet pour l’accès à l’information?
C’est à l’évidence une vraie fracture. Je déjeunais récemment au Collège de France et le personnel enseignant me disait que les étudiants sortaient leur iPhone pour vérifier sur Wikipedia les informations. La population et les politiques - pas nous, les autres (rires) - ont toujours été réticents à utiliser l’outil informatique. Jamais, je n’ai reçu un mail du Président ou de mes ministres. Ce n’est pas qu’ils ne m’écrivent pas, mais on ne communique qu’en SMS. Il y a toujours eu des obstacles majeurs culturels pour les gens éloignés des nouvelles technologies. Je me souviens d’une rencontre, il y a quelques années, avec le patron d’une très grande entreprise qui voulait créer une prime pour l’achat d’ordinateurs. Il y avait la Balladurette pour les voitures, il voulait lancer la Fillonette pour les ordinateurs. Je lui ai demandé : “est-ce que vous vous servez d’un ordinateur”, il m’a répondu: “ca ne va pas, je n’ai pas de temps à perdre.” Evidemment, je tairai son nom...

Qui plus est, il y a une vraie concurrence dans le secteur du mobile d’autant qu’on parle du 4e opérateur...
Notre souci c’est non seulement de veiller  à un égal accès au haut débit mais aussi en effet au respect des conditions de la concurrence dans l’intérêt général. Je suis heureux qu’on ait progressé dans le secteur grâce à la concurrence. Dans un pays qui pensait que le monopole était l’alpha et l’oméga de la politique économique, c’est encourageant. Concernant le 4e opérateur, on va demander à l’autorité de régulation une vraie analyse.

Eric Besson a été nommé au lendemain des municipales et vous rendrez vos arbitrages sur les Assises du Numérique le 31 juillet. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous avez décidé d’aller vite sur la question...
C’est effectivement une interprétation. Mais la vitesse n’est pas toujours la meilleure conseillère. Souvent la société réagit violemment à un fait divers par exemple. Du coup, pour éteindre le feu, le parlement emboîte le pas à la société et donne une réponse politique au problème. Et seulement après, on réfléchit à la question. On doit peut-être prendre plus de temps pour légiférer et rendre les études impactantes obligatoires avec des causes d’annulation d’un texte de loi.

(1).- Yseulys Costes, Présidente et fondatrice de la société Mille Mercis, Emmanuel Guyot, Président et fondateur de la société Digitick, Bertrand Diard, co-fondateur et Président de la société Talend, Marc Reeb, Directeur Général de Viadéo, Thomas Serval, Président de la société Baracoda, Louis Van Proosdij, Open Coffee Club et Stéphane Distinguin, Président de FaberNovel et de l’association Silicon Sentier.