Philippe Courtain: Extérieur nuit
Lorsqu’à 25 ans, il plaque son métier d’ingénieur en informatique, un beau poste, une voiture assortie pour faire ses valises direction Saint-Tropez et découvrir le métier épuisant et passionnant de saisonnier, ses parents et amis restent un peu abasourdis. Aujourd’hui, ses valises alourdis d’expériences et de rencontres toutes plus étonnantes les unes que les autres, ses proches reconnaissent que ce qui semblait être à l’époque une folie était en réalité un choix mûrement réfléchi de la part de Philippe Courtain.
« Alors que je vivais à Paris, je m’inquiétais de vivre au rythme ‘métro/boulot/dodo’. C’était ma hantise. Je sortais tous les soirs, restaurants, clubs, j’avais la belle vie, un peu d’argent, mais je me suis rendu compte très rapidement que la version costume-cravate de la journée ne ferait pas long feu ! », confie Philippe. Et c’est Saint-Tropez, qui l’emporte !
Pour autant, la vie ne devient pas forcément plus facile. Le monde de la nuit est un mouchoir de poche, tout le monde se connaît, les belles places sont chères. En outre, faire les saisons entre la Côte d’Azur et Megève est certes tourbillonnant et fascinant mais surtout éreintant. « Lorsque l’on tient un poste clé dans cette profession, on bosse durant six mois, sept jours sur sept, sans jour de repos. Mais je n’ai jamais vraiment eu l’impression de travailler, je me suis toujours tellement amusé en même temps », précise Philippe.
Son amour pour la fête ne le rend pourtant pas moins perfectionniste. Il savoure les heures de réjouissances sans rien laisser au hasard professionnellement. Tournant malicieusement sur toutes les fonctions, de barman, à serveur, en passant par plagiste, il prend peu à peu du galon, multiplie les expériences, passe bientôt maître d’hôtel et enfin vers 30 ans, part s’aguerrir aux Etats-Unis, près de Washington, où on lui confie pour un an les clés d’un restaurant français.
Mais les agapes françaises lui manquent vite et il décide de rentrer à Paris. Il craint tout d’abord de n’y plus connaître personne, et malgré sa belle expérience américaine, de devoir accepter un poste moins gratifiant. Il n’en est rien. Le monde des nuits tropéziennes et parisiennes sont sensiblement les mêmes et très vite, Philippe se retrouve comme un poisson dans l’eau. Il devient alors maître d’hôtel au Palace puis directeur au Marshall (l’ancien Music Hall, avenue Franklin Roosevelt) et est enfin appelé par Marcel Chiche, comme directeur du Comptoir, rue Berger.
A l’époque, au début des années 90, Le Comptoir est déjà un lieu très branché qui vogue sur un concept ‘tapas’ et est l’un des premiers à organiser chaque soir, autour d’un DJ, une piste de danse informelle. « Je suis immédiatement tombé amoureux de cet endroit », ajoute Philippe, « il avait une âme. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu envie de me poser. J’aimais l’éclectisme de la clientèle, des gens du cinéma, de la mode, mais aussi des commerçants, des gens des bureaux. J’appréciais à nouveau la simplicité ».
La réputation du Comptoir, comme celle de Philippe n’est bientôt plus à faire à Paris. Après 5 ans cependant de bons et loyaux services auprès de Marcel Chiche, Philippe se voit proposer un nouveau défi et il devient directeur du Club Le Duplex. C’est la période faste de la boîte de nuit qui abrite alors les folles soirées de ‘La vérité si je mens’ et de tout ce que Paris compte de plus branché et festif. Malgré l’effervescence du club, Philippe en 1999 ne résiste pas à la proposition de Marcel Chiche, qui se sépare de l’un de ses associés et l’invite à rejoindre à nouveau Le Comptoir pour le lancement de son frère jumeau au Maroc, cette fois-ci. En effet, Marcel Chiche a le désir de monter un restaurant à Marrakech et c’est ainsi que les nouveaux associés créent simultanément deux restaurant orientaux, celui de Marrakech et celui reprenant les murs de l’ancien Comptoir. Ils baptisent les deux endroits ‘le Comptoir Paris Marrakech’.
L’imagination et le savoir-faire de Philippe font merveille. Le décor est à la hauteur de l’accueil et de la qualité des assiettes. Mais la routine toujours, pire ennemi de Philippe, commence à s’installer et lorsqu’on lui demande de concevoir entièrement un nouveau restaurant, le ‘Toi’, dans le VIIIe arrondissement, il ne se fait pas prier très longtemps. « A mes fortes exigences esthétiques, j’ai su allier mes compétences de restaurateur. Je maîtrisais tous les aspects pratiques pour optimiser le travail du personnel et renforcer ainsi la satisfaction des clients. Je n’ai pourtant pas négligé la beauté du lieu que j’avais imaginé très ‘pop’, tout en orangé, fuchsia et rouge dans une mouvance un peu ‘Austin Power’ », explique Philippe.
Quand il parle des lieux qu’il a conçus, il le fait comme un metteur en scène parlerait d’une pièce de théâtre. Il assume le côté show-off de son métier, en restant simple, chaleureux, accueillant. Le ‘Toi’ rencontre un très beau succès, presse et télévisions s’emparent de l’endroit.
La mission de Philippe touche à sa fin mais Le Comptoir à nouveau, a besoin de lui. Marcel Chiche entre temps est bel et bien parti à Marrakech, et le dernier associé de l’affaire veut vendre. Philippe se porte acquéreur. Enfin, ce lieu, qui le premier avait su retenir ses éternelles bougeottes pourrait l’accueillir, comme seul maître à bord. Sans associés, ni investisseurs, Philippe refait Le Comptoir entièrement à son image. Ainsi en coulisses, on s’active savamment pour que sur scène le spectacle soit toujours assuré. Il ne laisse rien passer, ni de délicatesse, ni de professionnalisme, ni de bonne humeur à son personnel.
Exigent envers lui-même, il essaye de recharger le plus souvent possible les batteries pour avoir bonne mine et transmettre une belle énergie à son équipe et ses clients. « Mes voyages me ressourcent, ils sont indispensables, en outre ils me permettent de trouver sans cesse de nouvelles idées, et accessoirement, à 52 ans, je commence à chercher un lieu où m’installer pour mes vieux jours ! », raconte Philippe amusé, dont le teint hâlé trahit un récent séjour en Thaïlande. Cependant, cette mine toujours réjouie ne cache pas longtemps un caractère visiblement anxieux à l’idée de déplaire. « J’ai appris que je ne pouvais pas satisfaire tout le monde. Deux personnes commandant le même plat, dans les mêmes conditions n’auront jamais le même avis. J’ai du mal à gérer le mécontentement», avoue Philippe.
Un peu tel un acteur de théâtre n’osant pas lire la presse un lendemain de première, Philippe donne inlassablement le meilleur de lui-même, négociant peu avec sa mauvaise humeur, il garde invariablement un discours optimiste. La crise même ne parvient pas à le déstabiliser, « J’ai bien noté un ralentissement depuis début janvier, mais en 15 jours nous avions réagit », reconnaît Philippe. Certes les années d’opulence et d’excès des années 80/90 sont-elles ont peu fanées, mais au Comptoir, la fête et la joie n’ont pas disparu ! Foi de Philippe Courtain !