Millet au four et au moulin.
Pour entretenir sa passion gastronomique, Christian Millet s’est lancé un défi de bouche en reprenant le célèbre restaurant Chez la Vieille, dans une des plus anciennes bâtisses de Paris, auguste lieu, fréquenté par Jacques Chirac et Michel Charasse. Ce qui ne l’empêche pas d’assumer avec talent et efficacité son poste de directeur de Mora, autre vieille Maison datant de 1814, au service des professionnels de cuisine qu’il sert depuis 30 ans.
C’est un artiste, Christian Millet. Nous l’évoquions d’ailleurs brièvement dans notre précédent numéro, au fil de la présentation du Guide Feuilly 2010 : « la meilleure poignée de mains de Paris », disions-nous, mais nous aurions pu alors parler du « plus appuyé coup de louche de Paname », avec trois doigts anthropophages qui vous attaquent l’avant-bras juste au dessus du poignet.
Un signe de famille : Jean, le paternel (82 ans), en était, de cette école « fraternelle » de conduite, bien avant qu’il se retire dans le Midi, au Grau-du-Roi, à s’enfiler des apéros, jouer aux boules et bouffer avec les copains, loin de sa coquette pâtisserie éponyme, sise au 103 rue Saint-Dominique, et tenue par la sœurette, Carole.
Pourquoi artiste, notre Christian ? Parce qu’il possède plusieurs cordes à son arc – nous l’allons vérifier - et qu’avec un patronyme pareil, on a de l’or dans les mains et des idées plein le chevalet. Mais puisque on vous mène à l’huile et à la gouache que son célèbre homonyme normand, Jean-François (1814-1875), a porté au pinacle avec son fameux «Angélus », gageons que Christian fasse systématiquement aussi sa prière, à 56 ans, avant de communier aux douze coups de l’horloge, pour durable intermède.
A table bien sûr… Laissez-nous donc vous le « croquer » goulûment : il est aussi onctueux que débonnaire et bienheureux (comme Alexandre) avec son quintal hors taxe frappé d’une grosse TVA (il jauge 120-130 avec des poussées de fièvre à 140) conséquence d’un infarctus en 1994, et demeure un fidèle partisan du régime de Winston Churchill : «no sport… only cigar» !
Pour entretenir son pêché mignon – à moins qu’il ne s’agisse de danseuse…- Christian s’est lancé un défi de bouche en reprenant le célèbre restaurant «Chez la Vieille », dans une des plus anciennes bâtisses de Paris (1610), à l’angle des rues de l’Arbre Sec et Bailleul, là où l’Adrienne Biasin, décédée le 7 novembre dernier, prélevait quelques liasses aux chevillards des Halles pleins aux as, désireux de solidifier les émotions de la nuit.
Si ce n’est l’arrivée d’une table d’hôtes de chêne épaisse comme le tranchant d’un pilier de rugby de dix couverts à l’étage, l’épicurien des Lilas a conservé les augustes lieux, fréquentés par Jacques Chirac et Michel Charasse et désormais par des «littéraires » pour des réunions matinales, dans leur jus, avec cheminée, poutres d’époque et porche séparant la cuisine de la salle, ce qui oblige à être en parfaite condition physique, à l’instar de Sophie, beau petit brin de femme qui rappelle étrangement Anouk Aimé, dans sa beauté diaphane et fatale d’ «Un homme et une Femme »
Mais restons dans le domaine des ressemblances avec cette photo en noir-et-blanc au dessus du bar: n’est-ce pas Patrick Sébastien ? : Le transformiste déguisé en « vieille » lequel aimait tant les « Mères» qu’il passait son temps, tout près, chez Denise, paradis des cuisses légères !
Non, c’est bien la maître-queue, une femme de caractère comme pouvait l’être la Dédée, maman de l’animateur, ex Patrick Boutot, qui retenait ses clients jusqu’à plus d’heure aussi dans son « Turenne », antre briviste des paumés du petit matin, des rugbymen et des sans le sou, où ne rentrait pas non plus qui voulait…
Christian fait cependant preuve de plus de souplesse, sans doute l’expression d’une double nationalité (il est né à Montréal), parfaitement conscient que « sa » clientèle vieillit irrémédiablement. « Il faut relancer l’affaire tout en prenant son temps. Sans s’énerver, observe-t-il. On va essayer de redonner vie à cet endroit que j’aime bien. Mais, sachez que ce n’est pas marrant tous les jours… ».
Pour parvenir à ses fins, Christian joue la carte de la simplicité, avec des mets de bonne femme benoitement préparés : hareng ou museau, poireaux vinaigrette, civet de lièvre tagliatelles, poêlé de ris et rognon de veau, suprême de pintade, Saint-Jacques à la provençale, pied de porc pané et Saint-Marcellin. « J’aime manger bistrot dans une ambiance détendue. Sans chichi, sans cinéma, sans prout-prout et nappage non plus parce que plus écologique, note-t-il. Je veux du bon, voire du très bon ».
Après la critique et les recommandations d’usage en cuisine, l’orfèvre peut ainsi traverser les Halles pour son autre activité, majeure dans l’emploi du temps, de Directeur, non sans glisser une petite dernière plaisanterie à la belle Anouk. « C’est l’histoire de la Vieille qui dit à sa copine : j’ai toujours rêvé de ressembler à BB. Ca y est : c’est fait, répond méchamment l’autre ».
Il se marre encore quand il pousse la porte de son vaste bureau relooké de l’autre côté des Halles, à l’ombre de l’Eglise Saint-Eustache, sous l’enseigne Mora, rue Montmartre, autre vieille maison datant de 1814, au service des professionnels de cuisine qu’il sert depuis 30 ans. Ici, au milieu d’un inventaire à la Prévert, les temps sont moins difficiles que là-bas, avec un chiffre d’affaire de près de quatre millions, « dû au regain d’intérêt pour la cuisine dans la société».
Après un tel régime (un mot qu’il bannit toutefois de son vocabulaire), d’aucuns s’éclateraient sous l’édredon, mains sur petit bedon bien plein de bonnes choses, pour un roupillon réparateur. Que nenni ! Ce serait méconnaître l’artiste, à ses heures Président de la Société des Cuisiniers. Il peut encore décider de passer le périphérique, au Pré-Saint-Gervais, pour humer la cuisine des filles, Sabine et Vanesse, aux rênes du « Pouilly-Reuilly», un estaminet que François Mitterrand aimait tant…
A moins qu’il ne s’agisse du fameux soir de la semaine où notre vénérable jusqu’au-boutiste doit aller serrer des mains. Vous savez : « à la mode, à la mode ! ». Non sans avoir pris soin de frapper, par trois fois, chiffre magique bien sûr, à la porte.
Chez la Vieille, 1, rue de Bailleul
37, rue de l'Arbre Sec, 75001 Paris
01 42 60 15 78