Marouane Bennani: Si la vie servait à se reposer, à quoi servirait la mort ?
On nous avait franchement découragés d’essayer d’organiser un reportage sur Marouane Bennani. Une perte d’énergie et de temps, nous disait-on avec force et conviction. Non pas que le personnage ne soit pas intéressant, loin s’en faut ! Mais on nous le présentait au mieux comme une anguille insaisissable et au pire comme une Arlésienne, jamais là où on l’attend. Trop accaparé par ses responsabilités à la présidence du MAS et par la crise qui secoue actuellement le club de football emblématique de Fès, pour les uns, trop débordé par ses nombreuses sociétés florissantes, pour les autres, trop absorbé à brûler la vie et vivre la nuit, pour tous, Marouane Bennani a au moins deux vies: la sienne et celle que les autres fantasment.
Forcément, quand notre premier rendez-vous fut décalé de quelques heures puis ajourné de 24 heures, on a eu peur d’avoir fait la sourde oreille aux jeteurs de mauvais sort et d’avoir surestimé notre pouvoir de séduction. Il y a sûrement une part de vérité dans toutes ces prophéties. D’ailleurs, Marouane Bennani a un rythme de vie qui correspond davantage à une star du show-bizz qu’à un patron de sociétés ou un président de club de football majeur. «Si la vie servait à se reposer, à quoi servirait la mort?». En une phrase comme en cent, Marouane a jeté le fil d’ariane qui guide son existence. Et si notre reportage n’a pas été de tout repos - doux euphémisme -, on n’en est pas mort pour autant.
Le 4x4 allemand du chauffeur de Marouane Bennani nous attendait devant le Sky Bar, haut lieu des nuits casablancaises. Il n’y a jamais de hasard... Quelques lacets plus hauts et nous voilà devant l’imposant portail de la maison Bennani. La porte de la luxueuse villa est ouverte. Marouane est là. Lové dans son confortable salon marocain. Un rapide coup d’œil au mur nous bluffe eû égard à la collection d’art africain et japonais du maître des lieux. Marouane n’est pas un nouveau riche. Rien d’ostentatoire dans son intérieur. C’est un homme établi, installé. Un homme de goût. De passion. Un homme à la voix sourde, sibilante et à demi cassée de Robert De Niro dans Le Parrain. Un homme de clan. Pour dire vrai, on a été enrichi par la rencontre rare avec ce jeune (39 ans) chef de famille, marié à Mouna, père de deux enfants, Radia (19 ans) et Bob (15 ans).
Généreux, drôle, sincère, naturel, animal, affectif, spontané, capable de tomber la chemise, sur la Corniche, à Casablanca, au restaurant La Terrazza, à Thaiti Beach, un samedi en début d’après-midi quand la terrasse est aussi remplie que les tribunes du Complexe Sportif de Fès pour un derby entre le MAS et le Wydad. Un personnage qui se permet de quitter Le Live, ancien Art’s Club, à?Casablanca, avec son verre à moitié plein. Marouane Bennani est un chat dans la nuit. Il n’a pas tous les droits mais il en a beaucoup... «Si je ne fais pas la fête quatre ou cinq fois par semaine, j’ai l’impression que je laisse filer ma vie» confie Marouane. «Mon père, Abdelwahab, est mort jeune, paix à son âme. Mais il a toujours bien vécu. Il s’est toujours amusé. Attention, pas une goute d’alcool mais il a vraiment bien profité.»
Les lois de l’atavisme n’ont pas donné à Marouane le seul goût des virées nocturnes. Elles lui ont aussi donné en héritage la valeur du respect et la passion du football et c’est cet amour du ballon rond légué par Abdelwahab, son père, précurseur, au Maroc, dans le domaine des transports de marchandises, qui avait fait fortune dans le commerce des pommes. C’est au nom de la continuité de cette histoire familiale que Marouane a accepté la présidence du MAS, au printemps 2009 et sa réélection le 28 juillet dernier. «N’en déplaisent à certaines très mauvaises langues, je n’ai pas été parachuté à la tête du MAS ! » dit-il. «Mon père était vice-président du club au début des années 1980. Il a côtoyé les grandes figures comme Benzakour ou Saïd Belkhayat. J’ai donc grandi avec le club. Je me souviens d’un voyage en car à Laâyoune...
J’avais six ans. Quels souvenirs indéfectibles ! Du coup, quand on a frappé une première fois à ma porte en 2007, je n’ai pas dit non mais j’ai juste injecté de l’argent. Notre club était dégradé, c’était insupportable pour tous les Fassis. Je n’ai accepté la présidence que deux ans plus tard sur les conseils du maire de Fès, Hamid Chabat.»
Assis dans le fauteuil de président du MAS à Fès, - là où sont nés ses deux parents -, Marouane parle avec son coeur. Et met la main à la poche en injectant 14 millions de dirhams, la première année. «Aucun club n’est excédentaire» précise-t-il. «Depuis que le football est passé professionnel, les joueurs sont devenus trop chers.?Et comme la fédération nous oblige à jouer avec Maroc Telecom comme sponsor et nous prélève trop d’argent sur les droits télés, c’est compliqué. C’est l’argent de mes enfants que je dépense. Bob, mon fils, passé par le centre de formation de Clairefontaine, à Paris, ne me reprochera rien. Mais peut-être qu’un jour, ma fille Radia me demandera des comptes» poursuit Marouane. On l’a compris, l’argent n’est pas un problème pour lui.?C’est un moyen.
Parfois, c’est aussi un moyen d’avoir des problèmes. Surtout quand le MAS traverse, comme aujourd’hui, une crise financière délicate. « Les clubs souffrent depuis longtemps, car la fédération ne leur a pas encore versé leurs indemnités sur les droits de retransmission», a déclaré Bennani, au Matin du Sahara. Le MAS et Bennani n’ont pas fini de manger leur pain noir, le président affrontant une plainte d'un ancien dirigeant du club, Abdelhak Al Marrakchi, qui l'accuse de mauvaise gestion financière. «Je ne comprend pas les raisons de cette démarche de l’ancien dirigeant» confie Marouane. «Ce monsieur a quitté le club depuis trois ans. Il n'est ni membre du bureau ni adhérent. Je l'accuse moi-même d'avoir privé le club de 1,36 million DHS, après la rupture d'un contrat avec un sponsor. J'ai donc déposé personnellement au nom du club, une plainte contre ce monsieur. Le MAS lui réclame des dommages et intérêts.»
Déjà, en plein hiver 2012, Marouane avait affronté une tempête quand la lune de miel fut terminée avec le maire de Fès, Hamid Chabat. Après quelques joutes médiatiques et judiciaires, les tensions s’apaisèrent au prix du bon sens et de l’intérêt supérieur de la ville de Fès. «C’est de l’histoire ancienne» dit Marouane. «Et chaque problème a ses avantages. Aujourd’hui, je suis très proche du maire de Fès. La subvention de la ville de Fès est même passée de 500.000 dhs à 3,5 millions. Je peux même dire que je suis devenu ami avec Hamid Chabat. On avait deux forts caractères. Il sait que je n’ai rien à me reprocher et que le MAS me doit encore 8 millions de dirhams»
MB n’aime pas la confusion des genres et des intérêts. «C’est parce que je n’ai aucun intérêt financier à Fès que j’ai accepté la présidence du MAS» précise-t-il. «Personne ne peut donc me reprocher d’obtenir des faveurs. A Fès, je ne prends rien. Je veux juste donner, laisser une trace. Pas seulement des lignes de palmarès même si ce sont les seules satisfactions de la fonction. Je veux surtout construire un vrai centre de formation avec un complexe hôtelier. J’en ai parlé avec Mohamed Dardouri, le Wali de la région Fès-Boulmane, qui est séduit par le dossier.»
Un cadeau pour les futures générations qui a poussé Marouane à rempiler pour un nouveau mandat de quatre ans, à la présidence du Mas. «Si j’ai renouvelé le bail, c’est seulement pour quatre ans» confirme Marouane. «J’aurais fait le plus gros du travail. J’ai commencé par les tâches lourdes, comme le remplacement du bus des joueurs, qui datait des années soixante-dix. Dans dix ans, j’aurai laissé ma place.»
Marouane se lancera alors pleinement dans le business. Il en a attrapé le virus, très jeune. En 1995, à l’âge de 21 ans, il contractait déjà un crédit de 80.000 dhs à la banque pour importer des allumettes qu’il a revendues aussitôt. Après la belle réussite de sa première opération marchande, il importe des pinces à cheveux. Le succès est encore au rendez-vous. Il loue même une estafette pour les vendre sur tout le territoire marocain. Quand on a les idées et la fibre du commerce, on peut voyager loin...
Il se consacrera bien sûr, avant tout, à la société familiale Trans-Express Bennani, spécialisée dans le transit ainsi que le transport national et international. Créée par Abdelwahab Bennani, en 1965, la société Trans-Express Bennani est une valeur sûre de l’économie du Royaume. Avec près de mille clients dans le monde, que ce soit dans les produits chimiques, l’alimentaire ou le matériel marchand, elle est assez hégémonique sur le territoire marocain. «Je partage mon emploi du temps entre le MAS et Trans-Express Bennani» explique Marouane Bennani, qui est aussi 1er vice-président de l'Association des transitaires agréés en douane au Maroc. «Trans-Express Bennani est une société familiale. C’est pourquoi nous n’avons jamais envisagé une introduction en bourse. Il est important pour nous de garder la main sur le capital et de continuer à gérer nos salariés avec le cœur. Ils sont, pour la plupart, dans l’entreprise depuis 1971, et aucun n’a envie de nous quitter. Chez nous, la majorité du personnel est propriétaire de sa voiture, de son logement. On trouve toujours la solution pour apporter une aide. Un homme heureux est un employé qualifié et dévoué.»
En jonglant avec les casquettes et les activités, Marouane Bennani a besoin, beaucoup plus que les autres chefs d’entreprise, de compter sur un personnel de premier plan. «Même si ce n’est pas dans ma nature, j’apprends à déléguer et faire confiance» dit-il. Car, le play-boy de Casablanca ne se contente pas de surfer entre le football et le transit. Il dirige aussi une société d’importation de produits de Bazar, une chaîne de magasins de vente au détail, un cabinet d’assurances sans oublier une activité de promotion immobilière. «J’aurais voulu monter des gros projets immobiliers, à Fès mais on m’aurait accusé de bénéficier de faveurs liées à la présidence du MAS» confie Marouane. «J’ai donc renoncé plutôt que de donner le bâton pour se faire battre.»
Idem pour un projet de restaurant ou d’établissements de nuit: si l’idée lui a trotté dans la tête, il lui a vite tordu le cou. «Ouvrir un restaurant? Jamais» coupe Marouane. «Avec tous les gens que je connais, tous mes amis, les amis de mes amis, les gens des douanes, du football, je n’aurais jamais pu facturer personne. Au Maroc, les gens ne viennent pas chez toi pour t’encourager mais pour profiter.»
Il préfère inviter ses vrais amis, chez lui, dans ses résidences secondaires à Dar Bouazza, face à la mer ou à Marrakech, dans la Palmeraie. Dar Bouazza, c’est pour son clan, ses proches qui le quittent rarement. «Je n’aime pas être seul» confirme Marouane. «Je n’y peux rien. Je sais que parfois ma femme préférerait davantage de tranquillité mais mon épanouissement est dans l’amitié, dans le clan.» Marrakech, c’est pour sa femme, Mouna, rencontrée il y a plus d’un an, dans une soirée privée, avec qui il envisage d’agrandir la famille. «Mouna, c’est mon guide à Marrakech» lance Marouane. «Elle me traine au Bo Zin, au Lotus et bien sûr au So, le club du Sofitel, chez notre ami Hamid Bentahar.» Marouane, s’il n’est pas à Ibiza, Miami ou Monaco, c’est à Casablanca qu’il vit la nuit, au Sky-Bar, à cinq cent mètres de chez lui, au Rose-Bar, chez Nicolas Perez, au Live, ou à quelques kilomètres sur la Côte, à Mohammedia, au Ranch.
Quand il en a assez des clubs de nuit surpeuplés où il offre autant de verres qu’il sert de mains, il organise des soirées, at home. Là, il invite cinq ou six amis pour un concert très privé des stars libanaises les plus en vue du moment. Car, Marouane aime la musique orientale en général et surtout les chants arabes classiques, à l’image des cantatrices Oum Kalthoum ou Fayrouz, en particulier. Pour les passionnés de ballon rond, il n’hésite pas à projeter le film réalisé sur la grande épopée du MAS.
Le cinéma? C’est la vraie passion de Marouane. «Je suis bon public, j’aime tous les films sauf les films français» avoue Marouane au grand dam de sa femme Mouna qui a la double culture. «Il y a beaucoup de choses à faire dans le cinéma au Maroc. Il manque tellement de salles à Casablanca. Peut-être qu’un jour, je me lancerai dans la production.» Il ne sait pas encore ce qu’il fera vraiment mais il sait ce qu’il ne fera pas. «Tout sauf la politique» précise-t-il, avant qu’on lance le débat. «Tous les partis m’ont fait des propositions mais ça ne m’intéresse pas, je veux garder des amis partout. L’expérience de Bernard Tapie, en France, qui est une sorte de modèle pour sa réussite dans les affaires et le foot, a fini de me convaincre qu’il ne fallait pas toucher à la politique.»
Pas folle la guêpe...