M'hamed Karimine: Si je suis numéro 2, je ferme les écuries...
S’il avait été aviateur, il aurait été commandant de bord. S’il avait été militaire, il aurait été général. M’hamed Karimine a un seul dessein et un unique destin, celui d’être numéro un. Dans sa jeunesse, il s’essaye au basket et force les portes de l’équipe juniors du Maroc aux cotés d’un certain Salaheddine Mezouar, l’actuel ministre des affaires étrangères. Ancien membre de l’Union Marocaine des Etudiants, il se lance dans la tambouille politique et accroche, dès 1997, la présidence du conseil communal de Bouznika. Il sera réélu à quatre reprises maire de la ville phare de la province de Benslimane, dont la dernière fois en septembre dernier, cas unique dans les annales des élections locales du Royaume. «Si je n’avais pas été élu maire, j’aurais démissionné très rapidement du conseil» dit-il.
C’est avec la même fougue qu’il gère ses ambitions parlementaires. Elu député en 2000 sous les couleurs de l'Istiqlal, son parti de toujours, il ne siège que dans les organismes qu’il préside, à l’image de la commission des finances. De la même manière, cela ne surprendra personne qu’il dirige, depuis plusieurs années, la Chambre d’agriculture de Casablanca et la Fédération des chambres d’agriculture du Maroc ou plus récemment l'Association nationale des producteurs de viandes rouges (ANPVR).
M’hamed Karimine, c’est d’abord une présence, une stature avec ses épaules de joueurs de rugby, un charisme, une poignée de mains bien franche. C’est un peu la main de fer dans un gant de velours. Derrière une voix très douce et si posée jaillit l’ambition qu’il a toujours eue chevillée au corps. Et il fonce pour vivre et construire, exister et s’imposer. Rien d’étonnant qu’il envisage sa carrière dans le monde des courses avec la même exigence. Plus ébouriffant et stupéfiant fut sa trajectoire fulgurante pour entrer dans la cour des grands.
Vainqueur en novembre dernier, lors de la première édition du Meeting international des courses de Pur-Sang, du Grand Prix SM Mohammed VI du pur-sang arabe avec Al Antara monté par le jockey Julien Augé et du Trophée du Grand Prix des Eleveurs grâce au pur-sang anglais I am there, monté par Jaouad Khayate et pour lequel il est associé avec le commissaire priseur Aziz Bennani, M’hamed Karimine est entré dans la lumière.
Et comme il a remis le couvert, en décembre dernier, lors du Grand Prix du Ministère de l'Agriculture, dernier meeting de l’année, avec Faywarda, pur-sang anglais acheté chez le grand éleveur marocain, Azzedine Sédrati, on peut dire sans trop s’avancer que l’écurie Karimine Stud est la grande révélation de la saison 2015.
Difficile désormais pour M’hamed Karimine d’avancer masqué ou d’étouffer ses ambitions. Ça tombe bien, il n’a plus l’âge (57 ans) et, surtout, il n’en a jamais eu envie. «Je ne vais pas m’arrêter à ma victoire dans le Grand Prix Sa Majesté Mohammed VI» prévient-il. «Je suis têtu et je vais aller beaucoup plus loin. Si je suis numéro 2, je ferme les écuries...»
Originaire des terres de Tnine Chtouka, celles de son papa Ahmed, véritable berceau des courses de chevaux entre Casablanca et El Jadida où sa maman, Fatima, a grandi, M’hamed a toujours vu très loin et très grand. Quand son père est une référence comme producteur animal et végétal (ovin et bovin, huile d’olive et céréales notamment), M’hamed s’imagine dans le monde de la pharmacie. Après un brillant parcours scolaire à l’école des Orangers et au Lycée Descartes, à Rabat où il a vu le jour, il s’envole pour Bruxelles et Paris pour suivre des études supérieures pharmaceutiques.
Diplôme en poche, il rentre en 1988, alors âgé de 30 ans, au Maroc où il n’ouvrira jamais d’officine. Le décès prématuré de son papa l’oblige à reprendre l’affaire familiale. La lourdeur de la succession le contraint non seulement à renoncer à la pharmacie mais aussi à fermer l’écurie de courses dont son père, président de la société des courses de Casablanca, avait fait sa grande passion.
Il ne coupera pas totalement avec la filière équine. Une fois réglé le problème des affaires familiales, il se lance à son compte dans l’agriculture, se positionne dans la promotion immobilière et remporte la mairie de Bouznika qu’il transforme en capitale du cheval. Créé en 2002, le Haras national abrite le centre de production et de mise en place de semences congelées. En 2013, M’hamed Karimine poursuit l’essor du cheval dans sa ville et inaugure le grand Festival de Tbourida Khayl wa Khayr qui devient un rendez-vous incontournable durant la Fête du Trône. «On a réussi à dépoussiérer les événements de Tbourida» se félicite M’Hamed. «On a remplacé les fameuses tentes autour des sites de Tbourida par des gradins qui accueillent une foule considérable, en nocturne. Nous organisons le meilleur Festival de Fantasia, du Maroc.»
Mais l’histoire d’amour entre le cheval et Bouznika ne se résume pas au Haras national et au Festival de Tbourida. C’est que la ville de Karimine accueillera au printemps prochain le premier centre d’entraînement dédié aux chevaux de courses ! Adossé au Haras national, il s’étendra sur 30 hectares et offrira 220 boxes flambant neufs aux propriétaires de chevaux qui bénéficieront de bureaux personnalisés et surtout de vraies pistes d’entraînement.
La mairie de Bouznika a travaillé main dans la main avec la SOREC pour sortir des cartons un tel projet. «Si je n’étais pas maire cela aurait été plus compliqué car l’urbanisme n’était pas disposé à recevoir un tel équipement» précise l’édile de Bouznika. «La filière course souffrait depuis des années de l’absence d’une telle structure. C’est dur pour les petits propriétaires de posséder une piste d’entraînement sablonneuse, arrosée, hersée. L’idée, c’est de créer une émulation et donner envie aux passionnés de devenir propriétaires.»
M’hamed est épris des chevaux. C’est un fervent. Il reprend même le chemin des écuries. En 2009, il décide d’élever une poulinière de barbes et arabe-barbes, à Bouznika. Tamin, un barbe, devient même champion du monde avant d’être vendu à la SOREC pour devenir un étalon. En 2010, Ahmed Bentouhami, directeur général de l’Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires, le traine chez Azzedine Sedrati. «Mon ami Ahmed a acheté une poulinière, moi deux...» dit M’hamed, l’excessif. «C’était mon premier contact avec les chevaux de course» .
Ce ne sera pas le dernier. En 2013, Fatima, la maman souffrante, exprime à son fils sa nostalgie des chevaux de courses et lui souffle à l’oreille l’idée assez folle de reprendre la casaque du papa. «En voulant lui faire plaisir, je me suis fait plaisir» résume-t-il. M’hamed prend la direction de la SOREC où il fait une demande pour réserver une casaque orange avec une toque citron. Sa requête est déclinée car ces couleurs appartiennent à un certain Ahmed Karimine, feu son papa. «Une toque appartient à son propriétaire à vie» explique M’hamed qui a obtenu gain de cause en déclinant son identité. Porté par la fierté de faire vivre la mémoire de son papa, M’hamed se rend, en mai 2013, à une vente aux enchères organisée par Azzedine Sedrati. Il acquiert trois poulinières. Plus de doute, l’écurie Karimine signe son grand retour dans le monde des courses.
M’hamed Karimine ne croit pas au hasard. Il croit au destin que l’on force et à la chance qui s’invite à table. Il croit aux décisions mûrement réfléchies, argumentées. Et si son entrée dans le monde des courses relève d’une motivation affective et de la fidélité à une histoire familiale, elle est néanmoins le résultat d’une vraie réflexion nourrie par la présence d’Omar Skalli à la tête de la SOREC et par la vision de développement de ce dernier. «J’ai mis les pieds dans le milieu des courses à un excellent moment» confirme-t-il. «Omar Skalli avait eu le temps d’affiner sa stratégie pour diriger la SOREC et développer le secteur des courses. Il a fait un travail exceptionnel. Nous sommes passés d’un amateurisme moderne à un professionnalisme jusqu’au bout des ongles. La SOREC a fait ce qui n’a jamais été fait pendant 50 ans. Cette équipe, que j’appelle la dream team, est dans une logique de développement et d’accompagnement de développement. En tout cas, le talent d’Omar Skalli est évident. C’est un super manager, un homme de dialogue. Il ferait un très bon ministre. Je rêverais de l’embarquer en politique. Le Maroc a besoin de technocrates comme lui. Un Ministre comme Omar Skalli, ce serait fabuleux pour la politique marocaine.»
Pour l’instant, c’est la filière équine qui en profite et notamment le domaine des courses que M’hamed Karimine a beaucoup analysé. Il ne lui a pas échappé que l’élevage était l’alpha et l’omega de la réussite d’une écurie. «Au Maroc, les bons éleveurs se comptent sur les doigts de la main» lâche M’hamed. «Il y a le Haras Royal, Jalobey Racing, l’écurie Sédrati et l’écurie Zakaria Hakam. Pour tout dire, je suis très admiratif du travail de Sharif El Alami pour Jalobey Racing. Il est extrêmement professionnel et a choisi de se consacrer exclusivement à la qualité. De son côté, Azzedine Sedrati est un visionnaire qui a apporté énormément au cheval au Maroc et notamment au monde des courses. De tous, j’ai appris énormément et j’ai pris quelque chose. Mais, ils élèvent d’abord pour eux-mêmes, ce qui est normal. Pour réussir, il faut donc produire. Comme je possède une certaine expertise dans le domaine des ovins et bovins, l’élevage ne m’a jamais fait peur.»
Doux euphémisme, au contraire, ça le passionne. M’hamed avance dans le monde des courses sur deux jambes. Avec la première, il achète sur le marché français pour être compétitif à court terme. «Il était impensable de ne pas être très vite au niveau des meilleurs» explique-t-il. Avec la seconde, il travaille son propre élevage, à Bouznika où il possède un centre d’insémination artificielle très moderne et prépare des lendemains qu’il annonce chantants.
Il est passé de 30 poulinières, il y a 3 ans, à 120 aujourd’hui ! «A mon avis, j’élève bien» glisse-t-il avec le sourire. «Je pense faire partie des grands. Dans deux ans, je ne courrai qu’avec les chevaux que j’ai élevés. Mes premiers produits pourront être sur une ligne de départ dès juin prochain, et c’est à ce moment-là que je pourrai vous dire si je suis un bon éleveur. Je tiens néanmoins à préciser que ce sera ma plus mauvaise génération. Je nourris de gros espoirs pour les printemps 2017 et 2018 car je possède une qualité unique de génétique du pur-sang arabe.»
Grand spécialiste des ressources humaines, il sait aussi s’entourer pour mieux déléguer notamment auprès de Simohamed, son indispensable homme de confiance. «Je travaille avec les meilleurs» dit M’hamed. «Said Ssouni, notre technicien hors-pair, est un inséminateur talentueux. Il a fait des formations dans les plus grands haras de pur-sang arabes au monde, notamment au haras de Thouars ou chez Hassan Mousli, éleveur français d’origine syrienne, qui est un des mes autres collaborateurs de grande valeur. Hassan est un des meilleurs éleveurs mondiaux de pur-sang arabes. Il détient la meilleure génétique de pur-sang arabe. Al Mourtajez, vainqueur du Qatar Arabian World Cup, course régulièrement comparée à l’Arc de Triomphe des chevaux arabes, a été élevé chez Hassan. C’est un des meilleurs chevaux de l’histoire du pur-sang arabe. Acheter un cheval chez Hassan Mousli, c’est unique et inaccessible. Il vend seulement à l’Emir du Qatar, de Dubaï ou de Bahreim. Je suis son seul client normal.»
On n’ira pas jusqu’à dire que M’hamed Karimine est un homme normal. Il voit plus vite que les autres. Il apprend plus vite que les autres. Et il serait plus juste de parler d’amitié entre les deux hommes car M’hamed est allé frapper à la porte de Hassan, seul comme un grand, sans prescripteur, donnant naissance à une belle complicité. «Même si je n’étais plus dans les courses, on serait toujours amis» confirme M’hamed qui est le seul à posséder autant de génétique femelle made in Hassan Mousli. M’hamed Karimine est un grand séducteur à l’esprit tenace. Du coup, Hassan retoque rarement ses demandes.
Au pire, il lui propose de s’associer sur certains chevaux comme Alsaker qui a permis à la casaque Karimine de remporter son premier succès, en France, lors de la première participation, à La Teste, le lundi 27 juillet, à l’occasion du Prix Akbar. Monté par Julien Augé, Alsaker a impressionné l’assistance. Il convient de préciser que le vainqueur du GP SM Mohammed VI, Al Antara, est également issu des écuries de Hassan Mousli qui se situe, en Charente, entre Royans et Saintes.
Pour trouver le centre d’entraînement de l’écurie Karimine, il faut quitter l’A2, à hauteur de Tiflet et prendre la N6 en direction de Khemisset. Cette route, M’hamed l’emprunte chaque samedi, parfois avec son épouse Najiba et son petit dernier, Yassine (10 ans), vrai anglophone qui étudie à l'école américaine de Rabat et grand passionné des chevaux. Après quelques kilomètres pittoresques, il faut s’enfoncer dans la somptueuse forêt d’eucalyptus qui s’étend sur 2000 hectares. Là, point de route goudronnée, juste une piste de campagne qui pourrait décourager les moins téméraires. La structure de base est là mais les travaux d’embellissement ne finiront que cet été. «On s’occupera de l’esthétique après le fonctionnel» précise M’hamed. «Plus on est éloigné de la route, mieux c’est pour la tranquillité. Je ne suis pas sûr d’aménager la piste car ce lieu n’est pas un camp de vacances et n’a pas vocation à accueillir des visiteurs. C’est notre maison des secrets. On doit rester à l’abri des regards. L’important, c’est le bien-être du cheval.»
Ils sont au paradis. Outre le calme apaisant et le bienfait des senteurs d’eucalyptus qui purifient les poumons avec la chaleur, ils bénéficient de 106 boxes, d’un marcheur de huit places, d’un marcheur dans l’eau et de quatre pistes d’entraînement de 2000 à 2500 m assez exceptionnelles. Au milieu de ce lieu incroyable, ode à la nature et au cheval, on entend l’accent rocailleux de Christophe Lhermitte, l’entraîneur de l’écurie.
Ici, c’est le boss ! Respecté et écouté, Christophe fait l’unanimité. M’hamed tient à lui comme à la prunelle de ses yeux et croit en lui autant qu’en lui-même. «Dans le monde entier, je n’ai jamais vu mieux pour le cheval que ce que nous leur offrons ici» dit Christophe qui a roulé sa bosse et qui a opposé un refus catégorique quand M’hamed lui a proposé de déménager la structure d’entraînement à Bouznika pour regrouper les différentes structures de la team. «Si on remplace les eucalyptus par des pins, on est à Chantilly.»
On est au Nord du Maroc, et le cheval est roi. Pour autant, les employés de l’écurie ne sont pas oubliés, loin s’en faut ! Ainsi, les accompagnateurs privilégiés des chevaux de course, appelés lad-jockey ou lad-driver, disposent de leur propre dortoir, de leur réfectoire, de leur salle de vie avec grand écran plasma et prestations dignes d’un hôtel. «Je ne néglige aucun métier autour du cheval» précise M’hamed qui convoque un dentiste de France trois fois par ans. «J’ai mis en place des salaires importants. Chez moi, un maréchal-ferrant gagne davantage qu’un médecin. L’idée, c’est le professionnalisme. Les courses ne sont pas un sport de hasard. J’ai beaucoup investi, c’est donc normal que j’attende un retour sur investissement comme propriétaire de casaque et comme éleveur - revendeur.»
A l’horizon 2017, M’hamed programmera deux grandes ventes aux enchères par an, à Bouznika. D’ici là, il a planifié de gagner, pour porter au firmament les couleurs d’un père qui serait si fier... Et, il fera des allers-retours à Lyon où il visitera ses enfants, Illy (20 ans) et Ahmed (25 ans), dans le cœur desquels il sera toujours... le numéro un !