L’express où l’on paresse.
Ce ne sont pas vraiment des freluquets : tirant chacun sur le quintal et demi, Edouard Paguéguy et Olivier Cuzenar, les 2 patrons de l’« Express Bar », bistrot du 1er arrondissement situé à l’angle de la rue Saint-Honoré et de la rue du Roule, mènent rondement leur affaire, ouverte tous les jours (même le dimanche en général) de sept heures du matin à minuit et demi le soir : un authentique bistrot populaire, comme il n’en existe plus beaucoup aujourd’hui. A l’Express, le temps s’est arrêté. Et si les photos sépia de Poulidor, Anquetil ou Bobet pour les fondus de vélo, du jeune Jimmy Connors qui gueulait aussi fort qu’Edouard ou de Gérard Philippe et Michel Simon ont légèrement jauni, la magie du temps qui passe n’a pas terni.
Autrefois, du temps des Halles, le quartier Saint-Honoré faisait pendant au quartier Montorgueil, avec une compilation de commerces liés à l’activité permanente du marché de bouche ; après la disparition des pavillons Baltard au début des années 70, le cœur d’activité s’est déplacé vers Montorgueil, mais Saint-Honoré a su garder ses repères et ses points d’ancrage, notamment la « Boucherie première » - dont l’implantation jouxte l’« Express Bar » - fournisseuse en viande d’une quantité de bons restaurants parisiens.
Edouard et Olivier ont pris en 2002 la succession de Jojo, le patron de l’époque, alias Joseph Bastide, un pittoresque auvergnat touché par la limite d’âge, reparti depuis en grande banlieue puis aujourd’hui à Aurillac dans le Cantal, avec sa charmante épouse Michèle.
Edouard, solide basque tout en rondeur, tenait auparavant, avec son frère aîné Asté aujourd’hui disparu, le bistrot de nuit « Le Gayon », situé à l’angle du boulevard de Sébastopol et de la rue de la Reynie, où aimaient se réfugier les habitués de la nuit dans une ambiance digne d’un vieux polar ; quant à Olivier, natif de la région parisienne, après une expérience dans la fripe au marché de Saint-Ouen, il avait, avant de rejoindre son actuel associé, ouvert avec son ami basque Jean-Louis (légèrement plus costaud que lui) le « Petit Café », restaurant basque accolé au théâtre Antoine, au début du boulevard de Strasbourg. Et aujourd’hui l’ « Express Bar » ne serait pas ce qu’il est sans ces deux personnalités fortes et contrastées, avec un Edouard facétieux et un Olivier davantage « pince sans rire ».
“Le dernier endroit
où l’on gueule aux Halles”
J’ai connu cet endroit au début des années 2000, à la faveur d’un changement de domicile, car je venais de m’installer tout près de la fontaine des Innocents, après 25 ans passés dans le quartier Montorgueil ; quand j’ai commencé à fréquenter l’établissement avec mon jeune chien « Dollar », j’y allais le matin de bonne heure prendre un café ; puis voyant l’ambiance animée et bon enfant de ce dernier survivant des Halles, avec les bouchers tout de blanc vêtus savourant à 8h du matin leur entrecôte et leur 50 de « Côtes du Rhône », je me suis pris d’envie de les imiter, et ce d’autant plus que j’avais connu longtemps auparavant, rue Montmartre, de l’autre côté du jardin des Halles, le « Singe Pèlerin » (chez André) et le « Réveil » (chez Mme Jean), où les salariés des boucheries voisines apportaient, tôt le matin, selon la tradition du quartier, leur pièce de viande pour se la faire préparer par le maître ou la maîtresse de maison.
Au début, Jojo me regardait d’un œil méfiant, car je n’étais pour lui qu’un « bobo » égaré dans son vrai monde ; puis petit à petit je me suis fait accepter, et c’est à ce moment là que commença mon régime 2-1-0 (à savoir (2) manger beaucoup tôt le matin, (1) un peu à midi et (0) rien le soir, et ce de façon à garder la ligne sans trop faire d’efforts…).
Aujourd’hui, la « Boucherie première » a émigré à Rungis, hormis une boutique de demi-gros et détail conservée rue Saint-Honoré ; de ce fait, les matinées de l’ « Express » sont devenues bien plus calmes, car la clientèle de bouchers s’est fortement réduite. Toutefois, l’endroit reste très animé, spécialement à midi, avec une population d’habitués très mélangée, entre vieux habitants du quartier, amis d’Edouard ou d’Olivier et salariés des bureaux et commerces voisins (allant du CNES à la « Manufacture de beaux vêtements », en passant par la librairie underground « Parallèles ») ; le menu à 13 € dessert compris y est pour quelque chose, d’autant plus que la cuisine - préparée alternativement par les deux chefs Janick et Than - est simple mais très bonne et que les commentaires sonores et ironiques d’Edouard provoquent en écho des réactions bruyantes et joyeuses de la part des clients.
Le soir, avec Patrick dit « Gobelette » (un ancien du « Gayon ») ou William au bar et Edouard scotché face à la télé mais toujours présent, c’est une autre ambiance, tout aussi chaleureuse et également peuplée d’habitués ; et les jours de match de rugby – esprit basque oblige car Edouard est natif d’Hasparren – il est assez difficile de se frayer un passage à l’intérieur, vu l’espace relativement limité ; mais il est toujours possible alors de se réfugier sur le trottoir…
Conclusion : venez nombreux matin, midi ou soir à l’ « Express Bar », l’un des derniers endroits où l’on « gueule » dans le quartier des Halles !
Au fait, ce matin avant d’arriver au bureau, j’y ai savouré un excellent porc basque aux petits légumes suivi d’une assiette de fromage de brebis à la confiture et arrosé d’un agréable Vidal Fleury (Côtes du Rhône rouge)… un vrai régal !