Les Dubois, c’est Loufoc....
Le triangle d’or des Halles, c’est le Billot, antenne éponyme des Boucheries Premières, le grand Louchebem et le Lamfé. Aux commandes, les Dubois perpétuent la tradition familiale et l’Histoire du Ventre de Paris. De là à dire que les Dubois, c’est Loufoc (fou en argo des bouchers)...
Voilà un petit retour en enfance avec le jeu des Sept Familles ! Engageons-nous avec les Dubois dont la progéniture perpétue toujours les bonnes manières dans ce triangle d’or des Halles authentiquement conservé dans son jus, formé par le Billot, antenne éponyme des Boucheries Premières (à Rungis depuis 2007), le Louchebem et le Lamfé, haltes de bouche respectives pour solides à table et plus délicats de la papille.
Dans cette dynastie Dubois montée de Saint-Junien, il y a donc le grand-père, Lucien, patriarche d’une lignée limousine chevillée dans le commerce de la bidoche depuis 1956 ; ses deux fils : Michel et Christian, dynamiseurs de l’honorable empire du gosier ; et les petits-enfants : Pierre (doublé de Franck) et Jeanne (de Nathalie) laquelle, histoire de maturer les liens, nous présente son élu, Etienne, fleurant bon les foires aux bestiaux dans sa noble blouse noire, lui-même rejeton de boucher: Jojot, le créateur des Boucheries de Paris.
Afin de mieux s’imprégner de l’ambiance de part et d’autre des trottoirs encombrés de cette rue des Prouvaires, il est grandement recommandé de parler l’argomuche local, le fameux Louchebem, virevoltant de croc en chambre froide et de fraise en tiroir-caisse. Pour ce faire, une seule règle : déplacer la première consonne d’un mot à la fin et la remplacer par un L avant d’y adjoindre un suffixe argotique tel “oc”, “em” ou “muche”.
Plus Lurdoc (dur), à l’évidence, qu’il n’y parait, mais tellement Loufoc (fou)…
Allez, un petit dernier pour la route ! Lamfé signifie femme (du boucher bien sûr), qu’il serait incongru d’assimiler à « La Femme du Boulanger », l’héroïne (sous les traits de Ginette Leclerc) de Marcel Pagnol dans son film culte si volage qu’elle ôtait tout goût à son mitron de mari (Raimu) de fabriquer du pain. Que chacun soit cependant rassuré sur ce point, Etienne continue, lui, à trancher dans le gigot familial avec bel entrain pour offrir, en trilogie (agneau, porc et bœuf) et à discrétion, le meilleur de la chaîne Dubois, débité par le cousin Pierre qui ne se félicitera jamais assez d’œuvrer à des lieues des entrailles de Paname.
Que son oncle, l’affable et amène Christian, n’eût trop longtemps traîné des pieds pour déménager l’entreprise à Rungis, au sein de ces 2.000 m2 maintenant occupés par une cinquantaine d’employés ! « Le boulot est dans Paris. Et surtout pas à perpète » s’entêtait-il.
Mais, à autre époque, autres mœurs !
C’était en effet le temps béni de la Bohème où le client roulait carrosse avec des rouleaux de billets dans les poches et des discussions interminables pour 50 centimes à servir aux Forts des Halles ayant déjà incrusté leur blase sur le monument de la mémoire collective.
Elégant bipède au flair de chasseur fraîchement sorti de l’école d'agriculture, le Pierre devenu patron, les revoit avec la nostalgie de son regard d’alors, celui de ses 18 ans. Qui, « Bouliche », gouailleur à la force herculéenne. Qui, « La Betterave » parce que, Ch’ti, il avait élevé la plante potagère au rang de rosette. Qui enfin, « Blanc-blanc », délicieux impénitent, qui faillit passer l’arme (blanche) à gauche en s’étranglant avec des reliefs de mouton, lequel PPDA de la découpe s’inscrivait en vedette de la « tranche » 2h00/14h00.
« Il était toujours à l’heure quel que pouvait être le verdict de l’éthylotest», reconnait Pierre. D’où mon inquiétude une nuit, après que les deux coups de l’horloge eurent été grandement dépassés. Inquiet, je lui téléphonais. En vain, avant que l’infortuné n’apparaisse encore tout chaviré de la cuite de la veille. « Pourquoi n’as-tu pas répondu ?» l’interrogeais-je. Et là, mon Blanc-blanc eut cette réponse admirable : « j’ai pas entendu… je passais l’aspirateur ».
Ces légendaires Forts (en gueule) des Halles sont-ils en voie de disparition qu’il en reste toujours quelques uns, hauts en couleurs (et en décibels) comme « Nanard » à la moustache de Poilu qui pouvait vider un bistrot par la puissance de son organe, ou encore « Titi », un plume picard à l’humeur vagabonde se prenant parfois pour Rambo qui, un soir d’ébriété, attrapa son taulier par la cravate pour une vétille de réflexion la veille. « Va falloir aller te coucher mon gars, le tança alors paternellement Christian de ses 90 kilos. Et surtout, ne sois pas en retard ». Ce qui fut… la bouche pâteuse et la queue entre les jambes.
Voyez combien il s’en passe en permanence dans cet arpent bon-enfant du ventre de Paris ouvert à tout le monde, y compris aux bobos d’en face, frileux à l’idée de traverser le jardin. Il est d’ailleurs toujours des Robert Doisneau en herbe pour immortaliser les situations banales ou insolites du temps qui passe, comme ce troupeau de Japonais devant la terrasse du Louchebem avant que chenilles et camions ne commencent leur triste manège de terrassement.
« On avait accroché dehors une carcasse de bœuf en plastique qui avait servi d’élément de décor pour un film aux alentours. Les Jap l’ont crue authentique quand nous leur avons expliqué que le vétérinaire souhaitait que nous l’exposions avant de la vendre, se marre encore Etienne, «ils n’ont pas arrêté de la mitrailler avec force courbettes et remerciements ».
Contrairement aux idées reçues, le comique ne tue pas. Foi de Didier Bourdon ! La Folle, quand elle est sortie de sa Cage, est en effet la seule personnalité qu’Etienne consent à citer parmi ses 300 convives jour. Motus et bouche cousue sont de mise. Ici, Franck Ribéry peut conter fleurette à toutes les Zahia du monde, il ne saurait être question de… traçabilité.
En revanche, Pierre se montre plus disert sur l’éventail de sa clientèle, de Michel Field à la Mondaine, en passant par feu Bézu qui s’annonçait avec son célèbre « à la queue-leu-leu », repris a capella par l’ensemble des louchebems. C’était comme si tout le quartier chantait.
Mais pour en terminer avec la famille Dubois, sortons le frère caché : Edouard, meilleur ennemi de Pierre quand ils discutent des prix. Les deux s’entendent comme larrons en foire. Le maquignon en chef appréciant la démesure des frasques du limonadier de l’Express Bar, successeur d’un autre pétillant Jojo (Bastid), qui prend un malin plaisir à tirer sur un cigare factice derrière son zinc au nez de la maréchaussée ou à vilipender le maire juste au dessus.
L’homo ça pionce (à partir de 17h00) ne connait pas de limite et s’enorgueillit d’un nom basque à dormir debout : Paguegy. Que les Cyrano du Sud Ouest traduisent par Duboisguegy. Compte-tenu de la complexité de la langue, personne ne les contredira. Ni Etienne. Ni Pierre. Ni les Louchebems.