Laurent Baffie, provocateur apaisé
Rendons à César ce qui appartient à César. C’est grâce à Jamel Debbouze que Marrakech est devenu la résidence secondaire de tous les grands comiques. Et s’il en est un que la ville Rouge n’a pas encore découvert, c’est assurément Laurent Baffie. Et c’est très dommage.
Célèbre pour ses caméras cachées ainsi que pour son sens de la répartie déroutante, Baffie, toujours nommé uniquement par son nom, est une signature de la télévision française des années quatre vingt-dix. Pour avoir trop souvent manié l’auto-dérision, il a parfois récolté ce qu’il semait. Michel Drucker, qui lui a déjà réservé la place d’honneur sur son grand canapé rouge, dans Vivement Dimanche, privilège réservé aux très grandes stars, ne s’y est pas trompé.
Le public non plus qui plébiscite l’auteur et le comédien dans Sans Filtre sa dernière pièce à l’affiche, au théâtre Fontaine, depuis plus d’un an. Après Sexe, magouilles et culture générale, Toc toc, Un point c'est tout !, Laurent Baffie est un sale gosse et Les Bonobos, cet éternel enfant de 57 ans s’impose comme un des nouveaux maîtres du théâtre de boulevard et dépoussière son image d’affreux jojo du Paysage Audiovisuel Français.
Et comme son fameux best-seller Le Dictionnaire de Laurent Baffie, proposant 500 mots d'esprit osés mais spirituels, a été vendu à près de 500000 lecteurs, on peut dire que Baffie laboure désormais au delà de son cœur de cible. Roi de la provoc’, mais plus seulement..., ce Parisien pur jus est également une des figures de proue des Grosses têtes, l’émission radio phare des ondes françaises, présentée par Laurent Ruquier, sur RTL.
Voyage entre le premier et le second degré avec un homme attachant et décapant.
Clin d’œil.- Qui êtes-vous Laurent Baffie? Un chroniqueur, un comédien ou un auteur ?
Laurent Baffie.- Je ne suis certainement pas un chroniqueur. C’est un gros mot pour moi. Je me considère un peu comme un comédien mais surtout comme un auteur.
Vos aspirations actuelles vous poussent vers l’écriture...
Ca fait trente ans que je suis auteur mais les gens ne le savaient pas. Ils ne m’ont jamais vu devant ma page blanche. Pour eux, Baffie, c’est celui qui fait le con à la télé. Il y a une seule différence entre le Baffie d’hier et d’aujourd’hui. Avant, je commençais à écrire une pièce mais j’arrêtais en chemin car je n’étais pas pleinement satisfait. Actuellement, je vais au bout des choses. J’ai donc encore une cinquantaine de pièces dans mes cartons.
Laurent Baffie au théâtre, c’est une histoire qui dure.
Je l’espère. C’est ma drogue.
En tout cas, le public est plutôt très réceptif...
Ma première pièce, Sexe, magouilles et culture générale, a été couronnée d’un succès puiqu’elle a été jouée 500 fois. La deuxième, Toc Toc, avec Daniel Russo et Marilou Berry, est restée 600 soirs à l’affiche et Sans filtre, est toujours là après une année de succès. On peut dire que je suis un enfant gâté du théâtre. Je n’ai pas la culture des fauteuils vides.
Est-ce que le succès est un moteur ?
La réponse est dans votre question. Si on n’a pas un côté narcissique, on ne fait pas ce métier. Je pense, en revanche, qu’il ne faut pas arrêter sa carrière après un échec. Moi, c’est surtout la peur de décevoir le public qui me hante. Le théâtre, c’est une sortie coûteuse. Et j’aime l’idée de faire du théatre pour ceux qui n’ont pas forcément l’habitude d’y aller. Je me suis si souvent ennuyé au théâtre pour avoir envie que les gens s’amusent et sortent avec la banane.
Est-ce que votre plaisir est encore plus total quand vous êtes également sur scène?
Je ne suis pas un stakhanoviste du jeu. Si je joue, c’est que je n’ai pas le choix et aussi parce que le public a quand même un peu envie de me voir sur scène. Mais il faut quand même avouer que lorsqu’on reçoit des salves de rires, c’est un pur bonheur.
Quelles sont vos ficelles pour faire rire? Le cynisme? La méchanceté ?
Non, il me semble m’être arrondi avec les années.?Lors de mes débuts à la télé avec Ardisson, j’étais particulièrement dur car je cherchais à me faire virer. Je n’avais pas de plan de carrière.
Ça revient souvent dans votre discours cette envie d’être viré...
Je dois avoir le souci de prévenir avant de guérir !
En amour, c’est pareil ?
Là, c’est vous qui devenez cynique...
Peut-on rire de tout et avec tout le monde ?
C’est l’éternelle question. Quand c’est Desproges et Coluche, il n’y a pas de soucis.
Et quand Jamel Debbouze avait comparé DSK à un bonobo?
C’est drôle, vraiment ! Ce qui l’est moins c’est quand les humoristes abusent sur le thème des morts d’enfants par exemple. De la même manière, je ne parle presque plus de politique. ça m’ennuie. En plus, parler de l’actualité dans un spectacle le fait vieillir plus vite.
Vous avez néanmoins des convictions politiques...
Je suis plutôt écolo, mais ce n’est pas de la politique, c’est de la survie. J’ai des enfants et j’essaye de penser à leur avenir. J’aime les bons produits non contaminés. Aujourd’hui, on ne sait plus quoi bouffer. Le pire, c’est que manger sainement, c’est devenu impossible pour les gens modestes. A longueur de journée à la télé, on leur dit de manger quinze fruits et légumes par jour mais on ne leur dit pas comment trouver l’argent pour les acheter.
Est-ce que vous votez?
La première fois que j’ai voté, c’était pour Chirac, en 2002. Donc, il y avait un goût bizarre. La fois d’après, j’ai voté un peu pour rien. Et là, la prochaine fois, je crois que je ne vais pas y aller. Ça m’ennuie et aucun des protagonistes me donne envie de m’engager.
Etes-vous favorable à la légalisation du canabis?
Je n’ai pas d’avis sur la question. Je ne militerai ni en faveur ni contre car je n’ai pas envie de dire une connerie. Surtout, je ne veux pas que mes enfants me le reprochent un jour. Je ne suis pas sûr que la dépénalisation soit un super signal envoyé aux jeunes. Et l’effondrement de l’économie parallèle plomberait encore plus les banlieues.
Vous êtes né à Montreuil mais vous êtes un vrai Parisien...
Je suis né à Montreuil, c’est exact. Mais je suis un titi parisien du 20e et j’aurais dû naître dans le 20e. Je maudis ma mère chaque jour d’avoir accouché Porte de Montreuil, donc à Montreuil dans le 93. Franchement, elle aurait quand même pu serrer les cuisses et accoucher ailleurs.
Est-ce qu’un humoriste est forcément de gauche?
Non, il y a des humoristes de droite comme Gaspard Proust. N’empêche pour les artistes, c’est un peu une tradition d’être de gauche.
Votre ami Bigard est plutôt classé à droite...
Ce n’est pas mon ami, c’est mon frère. Je suis le parrain de son fils, c’est le parrain de ma fille. J’ai écrit son premier spectacle. Et, effectivement, j’ai mis à peu près vingt ans pour m’apercevoir qu’il était de droite. Aujourd’hui, je ne sais plus s’il est de droite. Même lui, il est un peu perdu, je crois (rires).
En tout cas, avec Bigard, vous prouvez qu’on peut savoir faire rire sans passer par l’école Canal +.
Canal +, c’est une escroquerie. On parle de la grande famille Canal mais elle n’existe pas. Et les gens de Canal mentent quand ils disent : «Quand vous regardez Canal, vous ne regardez pas la télé». Quand vous regardez Canal, vous regardez la télé. J’en ai un peu ras le bol du côté élitiste de Canal et d’une partie de notre société.
C’est la raison pour laquelle vous aviez quitté Canal...
J’avais signé pour faire le con, pendant un an. Chaque fois que je prenais la parole dans Nulle part ailleurs, Philippe Gildas me mettait la main sur le genou pour me faire taire. J’ai compris que je n’étais pas à ma place et je suis parti.
Quelle place occupe votre premier long métrage, Les Clefs de bagnole, dans votre carrière?
Réaliser mon film, c’était un rêve. Je l’ai produit. J’ai perdu de l’argent, je connais le prix du rêve.
Regrettez-vous votre auto-dérision durant la promotion?
J’ai fait une anti-promotion. L'affiche, fidèle à mon esprit second degré, mettait en garde le public : «N'y allez pas, c'est une merde». Ceci dit, je préférais faire un film qui ne fasse pas d’entrées mais qui rencontre l’estime des gens plus tard plutôt qu’un film qui fasse un million d’entrées et que tout le monde oublie. J’avais un peu deviné que je je serais un poète maudit qui veut faire un film culte oublié du plus grand nombre. Aujourd’hui, on parle plutôt bien de mon film, c’est une fierté. Les clefs de bagnole, ce n’était pas un film grand public, c’était un cri d’amour au cinéma, un film d’auteur.
Avez-vous perdu beaucoup d’argent ?
J’ai tout produit tout seul avec l’argent que je n‘avais pas.?J’ai mis des années à rembourser mes dettes et payer tous les laboratoires car je ne suis pas un escroc. Ce qui est rare dans ce métier...
Forcément, l’envie de replonger doit vous démanger...
Depuis longtemps, j’ai l’idée et l’envie d’adapter Toc Toc au cinéma. Au cinéma, j’ai pris l’habitude de tout faire seul, et c’est donc un peu compliqué...
Vous êtes un des rois de l’improvisation. Ce n’était pas trop dur de jouer un muet dans Bonobo.
L’autre jour, on a eu un problème technique mais je n’ai pas pu retourner la situation à mon avantage. C’était très frustrant !
Est-ce que vous avez peur de vieillir ?
Ça ne fait plaisir à personne, la pente est savonneuse. J’ai un secret. J’ai bloqué mon âge mental à douze ans. ça n’enraye pas la chute des cheveux, mais ça permet de rester jeune.
Est-ce que vous faites rire vos enfants?
Mes enfants ne cessent de me dire: «mais papa, tu as quel âge?». A mon avis, c’est la réponse à votre question...
Etiez-vous un enfant agité?
J’étais un enfant qui aimait rire mais qui n’aimait pas l’école. J’ai compris très vite que le rire, c’était aussi fédérateur que jouer Hugues Aufray à la guitare ou faire des heures de sport pour être baraqué. J’étais un mauvais élève qui détestait l’école qui est pour moi une structure carcérale. La seule bonne chose qui me soit arrivée, c’est d’avoir eu un super prof de CM2 qui est venu me voir en début d’année au théâtre du Palais Royal. C’est après avoir terminé ma scolarité que j’ai commencé à lire. J’ai fait mon programme et il était plus intéressant. Il n’y a pas de créativité et d’écoute à l’école. C’est dramatique. L’école, ça sert juste à stabiliser un enfant mais on n’y apprend rien.
Vos enfants vont apprécier votre message...
Je suis un homme plein d’incohérences, je suis contre la cigarette dans les lieux publics et, pourtant, je fume ! Je préfère que mes enfants retiennent le fait que je suis un boulimique de culture et de lecture qui a soif de rattraper le temps perdu.
Et, est-ce que votre femme vous trouve vulgaire?
Jamais, évidemment (rires). Pour être sincère, c’est souvent le cas. Et je peux même concevoir qu’elle a de bonnes raisons pour cela !
On ne sait vraiment pas grand chose sur votre vie privée...
La vie privée doit rester privée. Je ne ferai jamais une double page avec mes enfants dans Paris-Match pour faire la promo d’un film ou d’un DVD. Ils n’ont rien demandé. Il faut les laisser grandir en paix.
Dans Sans filtre, vous lâchez les chevaux et les vannes...
Philippe Maurice, le personnage que j'incarne, est un buraliste un peu porté sur la chose... Il s'aperçoit un beau matin qu'il n'a plus de filtres dans la tête et qu'il dit tout ce qu'il pense. Vous imaginez les dégâts qu'il provoque dans son entourage. Sa vie devient vite un enfer et il se rend dans un cabinet médical où il va rencontrer des spécialistes.
Vous ne manquez pas d’allumer les médecins...
Je ne dis pas qu'ils sont tous pourris mais comme je suis hypocondriaque, j’aime les allumer.
Cela a dû forcément vous porter préjudice de dire n’importe quoi...
Comme tous les luxes, ça se paye cher de l'ouvrir. Mais j’ai beaucoup plus d'amis que d'ennemis. La pièce est apparue d'autant plus nécessaire que l'époque n’est pas très propice au rire provocateur. Si Coluche et Desproges revenaient, ils auraient du mal à exercer leur métier.
La maturité vous a ouvert à un autre public autant qu’elle a fait évoluer votre humour...
Je suis plus apaisé. Je ne sors plus les mêmes vannes qu'il y a vingt ans quand, par exemple, je flinguais les hommes politiques qui passaient chez Ardisson. Maintenant, je peux renoncer à certaines plaisanteries comme sur la religion. J'ai moins envie de faire de la peine à certaines personnes.
Avez-vous des regrets?
Ma phobie de l’avion m’a coupé l’herbe sous le pied. Je cartonne dans des pays que je rêve de visiter. La nuit, je regarde des reportages anxiogènes sur les crashs d’avions. La disparition du Boeing 777 du vol 370 de la Malaysia Airlines cristallise toutes mes phobies...
Si tu étais une couleur ?
Rouge, ça se voit, ça tâche. ça me correspond !
Une saison ?
Le printemps parce je surveille le bourgeonnement de mes arbres et je plante des fleurs.
Un pays ?
La France, je suis un peu chauvin quand même.
Une femme ?
La mienne
Une ville ?
Paris, j’ai des rapports passionnels avec Paris.
Un moyen de transport ?
Le plaisir, un transport unique.
Une boisson ?
Un bon Bordeaux ou un champagne rosé...
Un objet ?
Un petit couteau suisse. C’est un objet que j’ai toujours sur moi, avec mon logo gravé. J’en offre un à tous mes amis. Et mon deuxième couteau suisse, c’est ma carte bleue.
Ta dernière crise de rires ?
Avec Caroline Anglade.
Un trait de ton caractère ?
L’impatience, je suis un homme pressé.
Ton film culte ?
Annie Hall de Woody Allen.
Ta qualité préférée chez une femme ?
La beauté et la discrétion.
Ce qui est rédhibitoire chez une femme?
Les fautes de français.
Ce que tu regardes en premier chez une femme ?
Sa carte d’identité: je ne veux pas de soucis...
Si tu pouvais changer quelque chose dans ton physique... ?
J’ai donné beaucoup trop de cheveux à des gens qui n’en avaient pas et j’aimerais qu’ils me les rendent. Il ne faut pas confondre calvitie et altruisme.
La partie de ton corps que tu préfères ?
Mon cœur, je suis généreux.
Tes vacances de rêve ?
Les Iles Bretonnes avec ma femme et mes enfants avec les vélos sur le toit de la voiture.
Ton premier disque ?
Claude François, Belle, belle, belle
Ton dernier disque ?
Vivaldi et Sinatra même si je suis un grand fan absolu des valeurs sures de la chanson française.