La Poule au Pot: l’indétrônable des Halles.
La mode s’arrête là où s’écrit l’histoire. Et quand l’histoire est une mode sans cesse renouvelée, on entre dans un mythe. On n’écrit pas sur un mythe.?Le risque est trop grand de le galvauder. On raconte modestement quelques anecdotes, joyeusement et joliment livrées par Paul Racat, le maître des lieux, dont le sens de l’accueil, la gentillesse, la chaleur et la bonhomie communicative n’ont d’égals que les mets qui se succèdent dans l’assiette, sans fausse note, comme une délicieuse sonate de Bach. On essaye seulement de restituer les mots du patron sans les dénaturer de leur sens, car son éducation et sa culture générale font le bonheur de ses hôtes.
Quand on franchit la porte des lieux, au 9 de la rue de Vauvilliers, on s’aperçoit très vite que l’institution d’avant- guerre (1935) n’a pas pris une ride. Des tapisseries ont bien été posées sur le marbre mais l’atmosphère est un défi au temps qui passe aussi vite que les modes. Dernier vrai bistrot parisien où souffle l’esprit des anciennes Halles, La Poule au Pot, repère d’oiseau de nuit pour les gourmands, les épicuriens et les couche-tard, accueille une clientèle branchée où la jeune génération du cinéma et de la chanson - le groupe Justice vient de signer le livre d’Or - remonte le temps. Celui qui est figé dans le marbre des livres d’or de Monsieur Paul. Si le livre des politiques est soigneusement rangé dans le secret, celui des stars est étonnant et détonnant. Tous l’ont signé.
Depuis quelque temps, le facétieux et sympathique Paul Racat convie les têtes connues à réaliser un dessin entre le dessert et la café. Pour finir la soirée. “C’est un héritage de mes années aux Beaux Arts” sourit le patron, originaire de Moulins dans l'Allier et membre d’une famille nombreuse, puisque onze frères et sœurs ont égayé ses jeunes années, en même temps que sa passion pour Dali ou Pierre Yves Tremois qui l’habite encore aujourd’hui.
Originaire d’une famille modeste, Grand Bailli de l’association internationale La Marmite d’or, Paul Racat sait d’où il vient. Il sait que le travail est son plus sûr viatique. C’est pourquoi il fait preuve d’une présence quotidienne depuis trente-six ans, depuis qu’il a racheté l’affaire à Madame Peniguier, décédée six mois avant ses 100 ans. “Elle m'avait fait promettre de ne pas transformer les lieux, ni vendre avant sa mort” dit Paul avec émotion.
S’il a fait ses armes chez Prunier, à la Tour d’Argent et au Plazza Athénée, il a toujours rêvé d’avoir son affaire, pour la pâtiner à sa façon. Paul Racat est un patron à l’ancienne, décoré du Mérite agricole (1996) et du Mérite national (2003). Le bonheur de ses salariés est aussi important que la satisfaction du client. D’ailleurs, les uns et les autres lui offrent leur fidélité.
ça tombe bien: Paul Racat a fait de la fidélité un des socles de sa vie et de la promotion interne un des slogans de sa maison. Ainsi, Pierre Mujic, formé chez Joël Robuchon, officie désormais comme chef aux cuisines. Si la poule au pot, bien sur, mais aussi la poularde aux morilles, la cassolette de tripes à la mode de caen ou l’œuf cocottes au foie gras sont les tubes de la maison, le camembert frit avec sa confiture de cerise, la blanquette de veau à l’ancienne, le bon vieux pot-au-feu et les mythiques profiteroles au chocolat renaissent de leurs cendres.
En quittant les lieux, au moment de serrer la main et de rencontrer le regard franc et coquin de Monsieur Paul, il faut se souvenir que Bruce Springsteen a griffonné ici des chansons au coin d’une table quand Jean Nouvel élaborait les plans des futures Halles. Et lire Bernard Lavilliers qui déflore le livre d’or : “J’ouvre le livre d’or où je finis mes nuits.” Magnifique crépuscule...
La cantine des stars
Dernièrement, on a croisé Jeanne Moreau (photo) et Virginie Efira. Indétrônable et indémodable - les deux sont liés -, La Poule au Pot est depuis plus de trente ans le rendez-vous des stars immortalisées par des plaques en cuivre au-dessus des banquettes. Si les Rolling Stones, Naomi Campbell, Prince, Bruce Springsteen, Dany Boon, Karen Mulder et Roman Polanski ont pénétré dans l'institution du centre de Paris, c’est Patrick Juvet qui a fait décoller l’adresse en refilant le bon plan à ses amis du show-biz. Jean-Charles de Castelbajac, en voisin, a offert à la maison un magnifique tableau qui orne les murs.
Un héritage d’Henri IV
La poule au pot est un plat appartenant à la tradition gastronomique française. Il consiste à accompagner une poule de légumes (carottes, navets, poireaux, oignons, clous de girofle) et à porter le tout à ébullition. La tradition veut que le roi Henri IV, soucieux du bien-être de ses sujets, ait maintes fois répété : « Je veux que chaque laboureur de mon royaume puisse mettre la poule au pot le dimanche». La poule au pot a été maintes fois le sujet d'épigrammes lancés contre les successeurs du Béarnais.