Kebir Ouaddar: «Je dois tout à Sa Majesté»
Avril. 2016 \\ Par Jérôme Lamy

LE CAVALIER, CHER À SA MAJESTÉ LE ROI MOHAMMED VI, POURRAIT ENTRER DANS L’HISTOIRE DU SPORT MAROCAIN CET ÉTÉ, À RIO, LORS DES XXXIe JEUX OLYMPIQUES.

«Kebir est un papillon». C’est Noëlle qui parle. Noëlle, c’est madame Ouaddar, cette épouse, dont les parents étaient diplomates à l’Ambassade de France, à Rabat, cette maman rencontrée il y a trente 30 ans dans feu le club Al Forsan. Noëlle aimait le cheval avant d’aimer Kebir. Plutôt bonne cavalière, elle montait, à Dar Essalam, en compagnie de Jean-Louis Marin, enseignant à la Fédération Royale Marocaine des Sports Equestres (FRMSE). Le monde est petit, le destin est malin.

Noëlle est la terre. Kebir est l’air. Noëlle a su dompter ce papillon, lui offrir la stabilité et lui donner une fille merveilleuse, Soukaina, amour fusionnel de Kebir, qui a décidé de poursuivre ses études à Ifrane pour assouvir son rêve de mettre ses pas dans ceux de son père, à l’image de la cavalière Leila Benkhraba, digne héritière de l’emblématique Chafik. A la lumière de sa première victoire dans une compétition internationale, pour sa première année séniors, lors la seconde épreuve du CSI 1* de l'étape du Morocco Royal Tour de Rabat, à Dar Essalam, sur son nouveau cheval Reading, on peut dire que la saga Ouaddar n’est pas terminée...

Elle a commencé à Aït Ourir, à une trentaine de kilomètres de Marrakech, sur la route de Ouarzazate. C’est là, auprès de parents dévoués et aimants, Khadija et Bejmaa, le puisatier du village, que Kebir a grandi. C’est là que feu son altesse royale la Princesse Lalla Fatima Zahra, sœur de feu le roi Hassan II, est tombée sous le charme du petit Kebir lors d’un déplacement au caïdat d'Aït Ourir, dans la province d'Al Haouz. Déjà, Kebir est pur, lumineux, vibrionnant, solaire. Il n’a pas changé et une aura irréelle escorte toujours ses pas. Kebir est âgé de huit ans. Il attire la lumière, l’attention, la bienveillance. La Princesse Lalla Fatima Zahra propose à Khadija et Bejmaa de prendre en charge l’éducation de Kebir. Et de lui construire un avenir.

Le destin s’est invité à la table de la famille Ouaddar. La vie de Kebir bascule. Il pose ses valises, à Rabat, en 1970. Et grandit avec Chérifa Lalla Joumala, Chérif Moulay Abdellah et Chérif Moulay Youssef, les trois enfants de la Princesse et du Prince Moulay Ali. Quand il ne suit pas les cours des missions françaises, Kebir prendre la route du sud pour visiter sa famille et passe son temps libre entre le golf et l’équitation. Il abandonnera vite la petite balle blanche pour se consacrer à la noblesse du cheval. Il a douze ans , en 1974, quand il participe à sa première compétition, point de départ d’une histoire équine qui rythmera son existence.

Sacré champion du Maroc juniors, en 1979, Kebir n’est plus un gentil garçon, bien élevé. C’est un grand espoir de l’équitation du Royaume. Ça n’échappe pas au Prince Moulay Ali, mari de la Princesse Lalla Fatima Zahra, qui décide d’offrir à Kebir un stage, à Chantilly, en France, chez Nelson Pessoa, star brésilienne de l’équitation mondiale. C’est une jument, Jenny, que le Prince Moulay Abdellah offre à Kebir. Avec Jenny, Il gagne plusieurs de ses neuf titres séniors de champion du?Maroc.

Ebloui et ébaubi par son petit protégé, le Prince Moulay Abdellah, qui adorait monter ses chevaux, décide de mettre les petits plats dans les grands, dans la ferme d’Azemmour. «Moulay Abdellah m’a fait une écurie de rêve» précise Kebir Ouaddar. «J’avais le loisir de travailler avec une soixantaine de chevaux assez exceptionnels. Moulay Abdellah a organisé beaucoup de concours dans la ferme d’Azemmour. Ce monsieur a toujours été un grand homme du cheval.»

Et Kebir Ouaddar un cavalier à la trajectoire unique qui honore sa première sélection, - «sans grand succès» précise-til - en équipe du Maroc, à Jerez, en Espagne, au début de l’année 2000, à l’âge de 38 ans. C’est feu la Princesse Lalla Amina, présidente de la Fédération Royale Marocaine des Sports Equestres (FRMSE), dès 1999, également entraîneur de l’équipe nationale du Maroc, qui lui fait cet honneur. Et c’est toujours, à Jerez, qu’il remportera son premier Grand Prix, en 2014. «Depuis ce moment-là, si inoubliable, faire retentir l’hymne marocain sur tous les stades équestres du monde est devenu une vraie obsession» confie Kebir. Entre temps, Marcel Rozier, un des plus grands entraîneurs de tous les temps, véritable second père pour Kebir qui a perdu le sien trop tôt, avait accepté, sur proposition de sa Majesté le Roi Mohammed VI, de veiller aux destinées de la perle du sport marocain et de son cheval, le crack Quickly de Kreisker, considéré comme le meilleur cheval au monde.

Kebir, Marcel et Quickly, voilà le ticket gagnant pour les Jeux Olympiques de Rio où l’enfant d’Aït Ourir va entrer dans la grande histoire du sport marocain quel que soit son résultat final. Il deviendra le premier cavalier marocain à participer à une Olympiade. Mais ce tire honorifique ne suffira pas à son bonheur. Il rêve d’un métal, d’une breloque autour du cou, d’une émotion qui traverse l’Atlantique pour déborder sur la plage Oued Ykem à Skhirat, en face du Kasbah Club, et envahir le club équestre éponyme, dont Noëlle Ouaddar est la présidente.

Il se consacrera alors à l’ouverture de son club équestre, qui proposera aussi le couvert et le lit sur 3 hectares, hérités de son paternel, à quelques encablures d’Aït Ourir. Il a profité des vacances, cet été, à la fin du mois d’août, pour enfiler le costume de chef de chantier et notamment régler les problèmes avec son paysagiste. Programmée après les JO de RIO, l’inauguration permettra à Kebir de rendre à la vie ce qu’elle lui a donné et d’offrir un horizon aux enfants abandonnés pris en charge, à Aït Ourir, par l’Association SOS Villages d’Enfants. «J’ai investi tout ce que j’ai gagné dans ce projet» confie Kebir. «Les enfants abandonnés, les enfants handicapés, les enfants pauvres sont au cœur de mon entreprise. Je prends mon temps. L’ouverture est prévue dans un an. L’objectif, c’est d’abord de réussir mes Jeux Olympiques. Je dois ça à mon Roi et à mon pays. Et si je reviens de Rio avec une médaille, ça donnera encore plus de force à mon club.»

Il dit n’avoir aucune préférence entre le Barça et le Réal qui divise le Royaume. Pas pour ne froisser personne mais pour affirmer sa passion du sport en général et du spectacle en particulier. Il dit aimer Paris et les Champs Elysées avec Noëlle et Soukaina, les femmes de sa vie, à ses bras. Il dit aimer l’été, saison de sa naissance et les films de cow-boys. Il dit aimer courir vite et loin pour s’évader, se vider.

Il dit aimer les balades en calèche, calèche qu’il a découverte lors de notre séance photos et qu’il a prise pour se rendre de la maison familiale d’Aït Ourir au terrain qui hébergera son futur club équestre. «Le conducteur de la calèche m’a demandé vingt dirhams» raconte Kebir. «Je lui en ai donné cinquante en lui faisant promettre d’acheter des carottes pour les chevaux...» Rencontre unique avec un homme de cœur qui parle avec son âme sans intérêt, ni stratégie. Interview singulière avec un papillon qui s’est posé pour vous offrir ce document exclusif.

Quelle a été la réaction de vos parents quand feu son altesse royale la Princesse Lalla Fatima Zahra leur a proposé de s’occuper de votre éducation?

Mes parents ont réagi de manière très différente. Autant mon père a vécu cet épisode comme un signe du destin, une chance unique et extraordinaire, autant ma mère s’est inquiétée pour moi et pour le vide que j’allais laisser auprès d’elle.

Combien de temps vos parents ont-ils réfléchi avant de prendre leur décision?

Tout est allé très vite. En deux ou trois jours, à peine, mes parents ont décidé de m’autoriser à prendre mon envol auprès de la famille royale. Ils ont privilégié mon avenir et je les remercie, chaque jour. En tout cas, je peux dire aujourd’hui que même si cette séparation a été dure pour ma maman, elle ne regrette rien. Au contraire...

Quelle relation entretenez-vous avec votre mère, Khadija que vous appelez tendrement «Haja»?

Nous pouvons parler de relation fusionnelle. C’est comme si l’éloignement de mes jeunes années avait resserré les liens entre nous. Ma mère est une femme admirable. Je l’appelle chaque matin. Elle me donne la force de me dépasser. Je vais vous faire une confidence. Avant chaque concours, je ressens un besoin impérieux de lui parler pour entendre sa voix. Et je l’appelle toujours quel que soit le décalage horaire. Si je n’entends pas ses vibrations, je ne rentre pas dans l’arène.

Vous vouez une admiration sans limite à sa Majesté le Roi Mohammed VI...

Je dois tout à sa majesté le Roi Mohammed VI. C’est lui qui m’a permis d’atteindre l’élite mondiale. C’est sa confiance qui me guide et me permet de ne fixer aucune limite dans mon évolution. Sa Majesté me donne tous les moyens de travailler dans des conditions uniques. Si je n’y arrive pas, c’est qu’il y a un problème quelque part. Et ce problème, ce sera forcément moi.

Le mot clef, c’est la passion...

Vous avez totalement raison. Vous ne pouvez pas imaginer combien sa Majesté est un homme passionné. Il a un sens du détail assez exceptionnel. Il suit mon évolution de très près. Il surveille le classement de ses chevaux. Il me félicite après chaque concours. Si je gagne, c’est très bien. Si je ne gagne pas, il m’encourage encore davantage. Surtout, et on ne le dit pas assez, c’est un très bon cavalier. J’ai eu l’honneur de le voir monter à cheval et je dois dire que ce fut un plaisir extrême.

Le soutien de Sa Majesté vous donne encore plus de responsabilités...

Je suis une sorte d’ambassadeur du Maroc, à l’étranger, et je l’assume. Véhiculer l’image du Maroc est un grand honneur pour moi. Je dois être à la hauteur. Au lieu de travailler cinq fois plus, je dois travailler dix fois plus pour faire plaisir à mon Roi et à mon pays.

On dit que le choc culturel entre le Maroc et la France a été violent pour vous...

Plus que la culture française, c’est le climat qui a été un peu difficile à apprivoiser. Je ne me plains pas. Ce n’est quand même pas un gros effort. Et comme c’est pour mon Roi, rien n’est dur. S’il fallait aller au feu pour lui, j’irais. S’il fallait mourir pour lui, je le ferais.

La popularité de sa Majesté le Roi Mohammed VI, en Europe, doit vous remplir de bonheur et de fierté...

En France, on entend, en effet, beaucoup de compliments sur notre Roi, sur le Maroc. Ça me touche... Notre Roi aide les gens qui souffrent et permet à notre pays d’avancer économiquement, en devenant leader et moteur sur le continent Africain.

C’est Sa Majesté qui a convaincu Marcel Rozier, votre entraîneur emblématique, de replonger dans le bain du sport de haut niveau...

Il y a quatre ans, Sa Majesté a proposé à Marcel de relever le défi de m’accompagner au sommet du sport équestre mondial. Et je le remercie car mon association avec Marcel Rozier est une idée géniale. Je crois que Sa Majesté aime le sérieux que nous mettons, Marcel et moi, dans toutes les phases de ma préparation.

Pouvez-vous nous parler de votre couple avec Marcel ?

Je ne voudrais pas rendre jaloux ses enfants mais je considère Marcel comme mon deuxième père. Je le traite comme mon père. Je le respecte énormément. Je lui fais une confiance absolue. Il compte énormément pour moi. Quand je suis loin de lui, il m’appelle chaque jour.?Le jour où il ne sera plus là, je ressentirai un vide abyssal, une peine comparable à celle que j’ai connue quand mon père est parti.

En fait, vous avez permis à Marcel Rozier de vivre sa seconde jeunesse...

On ne peut pas imaginer qu’il fêtera ses quatre vingts-ans, au mois de mars prochain. Dans son esprit, il est resté un jeune homme de dix-huit ans, toujours prêt à plaisanter, à séduire, à rêver. C’est sa dernière ligne droite et il est aussi motivé que si c’était le début de sa carrière. Surtout, il veut remercier Sa Majesté pour la confiance qu’il lui a témoignée. Parfois, on dirait que Marcel Rozier est à moitié marocain tellement il est marqué par son histoire avec le Royaume.

Quelles sont les grandes qualités de Marcel Rozier?

Dire qu’il a souvent raison est faux. Marcel a toujours raison ! Il a une expérience unique du top niveau mondial. Il sait où il veut aller et il arrive toujours à destination. Il a une aptitude assez phénoménale pour convaincre. C’est un très bon vendeur ! Souvent, il me répète qu’il ne faut pas rater les trains. Il faut saisir l’occasion au bon moment: voilà sa philosophie. Et sa recette est simple: sérieux, travail, sérieux, travail....

Comment a-t-il vécu la polémique liée à la sortie du film Jappeloup?

Je vais surprendre mais Marcel aime beaucoup ce film. Et ce, même s’il contient que des contre-vérités sur lui, sur sa relation avec Pierre Durand. Simplement, il trouve que ce film est très beau et met en valeur le monde du cheval. Et, ça lui suffit. D’ailleurs, il a toujours pris ce film pour ce qu’il était, c’est à dire un film. Il répétait souvent: «ce n’est qu’un film». Donc, il n’a jamais cherché à s’expliquer ou nourrir la polémique. Ça démontre une force de caractère peu commune.

A la limite, vous avez plus souffert que lui...

Je vis au quotidien avec Marcel et je sais qu’il a un grand coeur. J’en ai parlé longuement avec Guillaume Canet, le réalisateur. Depuis qu’il a fait la connaissance de Marcel, il est désolé d’avoir travesti la réalité surtout que c’est un très grand supporter du Maroc et un ami intime. Il me soutient dans tous les concours. Dès que je rentre sur un stade, Guillaume Canet est là, devant la porte d’entrée. C’est génial et très touchant.

Quels sont vos contacts avec Pierre Durand ?

Nos relations sont polies et cordiales. C’est de l’ordre du bonjour-bonjour. Nous ne sommes pas proches. Pierre Durand n’a jamais été une idole pour moi...

Quels sont vos modèles?

J’ai toujours admiré Nelson Pessoa et Marcel Rozier. A l’équitation de combat, je préfère l’équitation artistique. C’est pourquoi, aujourd’hui, je suis très fan de l’Anglais Scott Brash et de l’Allemand Marcus Ehning. La seule manière de progresser, c’est de prendre exemple sur ceux qui excellent et de travailler plus que les autres.

Au Maroc, vous avez également de belles références...

L’équitation marocaine possède, en effet, une belle histoire très riche et des figures très importantes à l’image de feu Ahmed Touil, Karim Loubaris, Bachir Chaouki, Maati Maataoui, Ahmed Derghal, Chafik Benkhraba ou feu Hamid Abdelhamid qui ont remporté une médaille de bronze, lors des Jeux Méditerranéens, organisés à Rabat, en 1983. Il ne faut pas oublier de citer le Colonel Major Lyazid Charrat, cavalier international, Fikri Cherkaoui, recordman du Maroc et d'Afrique au saut en hauteur et Mustapha Assermouh, recordman du Maroc de saut en longueur.

Quel jugement portez-vous sur la génération actuelle?

Philippe Rozier, notre entraîneur dispose d’une belle pépinière de cavaliers qui brillent en Europe. Leila Benkhraba, la fille de Chafik, Ali Al Ahrach, le lieutenant colonnel Hassan Jabri, Younes Salhi ou Abdeslam Bennani Smires, qui vient de terminer second du championnat du Maroc, à Dar Essalam, permettent à notre équitation nationale de faire un bond en avant...

Racontez-nous votre journée type à Bois-le-Roi, en Seine-et-Marne où vous vivez et vous entrainez...

A six heures du matin, on est déjà au travail avec les chevaux. Donc, on se lève très tôt. Marcel désire que les chevaux se reposent à midi comme de vrais athlètes avant d’être remontés dans l’après-midi, si besoin. Normalement, le début d’après-midi est plutôt consacré au travail spécifique et physique notamment au niveau des adducteurs, des abdominaux, du renforcement musculaire des jambes. La valeur ajoutée d’un cavalier, c’est la force du bas de son corps. En fin de journée, des assouplissements et des séances de piscine sont programmés pour détendre le dos. Inutile de préciser qu’on se couche très tôt... et très fatigués.

Marcel Rozier dit que votre podium, en 2012, au Global Champions Tour de Monaco a réellement signé votre entrée dans la cour des grands...

Etre troisième dans une épreuve médiatisée, où les trente meilleurs mondiaux participaient, m’a ouvert beaucoup de portes et m’a donné beaucoup d’opportunités. Cette troisième place sur Porche du Fruitier, qui sonnait comme une victoire, m’a encouragé à aller plus loin. Surtout, cette performance a convaincu Sa Majesté le Roi Mohammed VI de poursuivre ses efforts en se portant acquéreur de Quickly de Kreisker, qui est devenu le cheval de ma vie.

Quelles sont les grandes qualités de Quickly de Kreisker?

Quickly est le meilleur cheval au monde. C’est le plus régulier, le plus spectaculaire. II fait l’unanimité. Très doux à l’entraînement ou aux écuries, il devient un lion, en compétition. Il ne se pose jamais de questions et ne s’arrête devant rien. Travailler avec un cheval aussi unique est un pur bonheur. Et comme il aime faire le show en compétition avec des ruades, symboles de sa gaieté, il attire la sympathie et l’amour du public.

Ses ruades sont devenues légendaires...

C’est sa façon de dire bonjour au public, c’est un cheval très intelligent et je suis sûr qu’il veut partager sa joie d’être là avec les spectateurs. Il aime que les spectateurs l’encouragent. S’il ne faisait pas de ruades, je m’inquiéterais un peu, car ça voudrait dire qu’il a quelque chose qui ne va pas. C’est un cheval qui a besoin de cette énergie pour bien sauter.

Votre première compétition avec Quickly n’est pas un grand souvenir...

C’était à Lyon, en 2012, lors de l’Equita Lyon et, effectivement, ce fut une épreuve à oublier très vite. Mais je ne me suis pas inquiété. On ne pouvait pas avoir le feeling tout de suite. La relation entre un cavalier et son cheval, c’est comme la relation entre un homme et une femme dans un couple, il faut attendre plusieurs mois pour se connaitre et avoir toutes les ficelles.

Votre 13e place, lors des derniers Jeux Équestres mondiaux, a permis à votre couple de se hisser définitivement dans la cour des grands...

Notre sans faute dans la seconde manche est encore dans nos mémoires comme un moment extraordinaire. Et si nous n’avions pas touché bêtement la rivière, nous aurions pu pointer à une merveilleuse quatrième place, au classement final. N’empêche, Quickly a prouvé, à Caen, qu’il était un crack.

Comment expliquez-vous votre popularité auprès du public français?

Déjà, je trouve ça formidable. J’ai l’impression d’être compris par le public français. De mon côté, je suis ouvert et disponible. Surtout, je suis humble avec les fans. Je ne dis jamais non pour un autographe, une photo, un sourire. Au fond, ce n’est quand même pas grand chose. C’est même le minimum que nous devons aux spectateurs.

Quelle place occupe la France dans votre cœur?

C’est le pays de ma femme et c’est mon second pays. Je n’ai jamais rencontré le moindre problème. Je m’entends bien avec tout le monde. Je n’ai jamais rencontré de racisme, en France. Quand on est tranquille, quand on fait son job, on ne flirte pas avec les soucis. Quand on cherche les problèmes, on les trouve en France comme partout dans le monde.

Votre humilité est liée à votre éducation...

Je n’ai jamais oublié d’où je venais. La simplicité est le plus beau cadeau que mes parents m’ont donné. Pour avancer dans sa vie d’homme et de sportif de haut niveau, il faut avoir la tête sur les épaules. Je n’ai jamais gonflé le torse après avoir gagné un Grand Prix. Ce serait tellement petit et mesquin. Et si je deviens champion olympique, je resterai le même. Si je devais changer de comportement, je préférerais arrêter ma carrière.

La clef de votre équilibre, c’est votre femme Noëlle...

Effectivement, Noëlle est l’élément qui stabilise ma vie. Derrière chaque couple, il y a forcément des petites histoires et des petits problèmes. Mais nous continuons à avancer et à nous construire. Noëlle est une chance pour moi et ma carrière. Elle s’occupe si bien de notre fille Soukaina... Je suis fier d’avoir une femme et une famille comme ça. Heureusement que ma femme connaît le monde du cheval et ses contraintes. Ça a sauvé mon couple et donné une chance à ma carrière.

Quelles ambitions pouvez-vous afficher dans l’optique des JO de Rio (5-21 août 2016) ?

Nous avons un seul et unique objectif: la médaille d’or. En tout cas, on vise au moins un podium. L’Arabie Saoudite a montré l’exemple en obtenant une médaille par équipes lors des JO de Londres, en 2012. Avec Quickly, qui est le numéro 1, nous avons le cheval pour aller au bout de notre rêve. Offrir un tel cadeau à mon Roi, à mon pays, à ma famille serait une chose incroyable, un aboutissement total. Parfois, je rêve que je suis sur le podium, à Rio et que sa Majesté est dans les tribunes...

Une simple participation aux JO de Rio vous permettrait déjà de rentrer dans l’histoire du sport marocain...

C’est vrai que jamais un cavalier marocain n’a réussi à participer aux Jeux Olympiques. Pour l’instant, nous sommes en tête du classement de la Ligue Arabe. C’est la seule alternative pour obtenir son billet pour les JO. J’ai une confiance totale en Marcel Rozier et je n’imagine pas un seul instant rater cet évènement planétaire.

C’est dans l’optique des JO que votre écurie a été renforcée par l’arrivée d’un nouveau cheval, Saphir du Talus....

Marcel le suivait depuis longtemps et l’aime beaucoup, moi aussi ! C’est un cheval avec de gros points forts et qui pourra vraiment soulager Quickly lors de certains Grands Prix. C’est évidemment l’objectif afin que Quickly soit au sommet de son art, à Rio, pour les JO. Quickly est une star. Et il faut le protéger comme une star. Les grands champions possèdent trois ou quatre chevaux. C’est le secret pour rester au haut niveau.

Saphir du Talus a fait un sans faute lors de votre première sortie à Dinard, cet été...

C’est évidemment très encourageant. Saphir du Talus a seulement neuf ans. Il est jeune, n’a pas de métier mais un potentiel assez énorme. On va travailler pour l’amener vers l’excellence.

Est-ce qu’un exploit à Rio pourrait être l’occasion d’arrêter votre carrière?

Pourquoi voulez-vous que j’arrête ma carrière. Même si j’étais sacré champion olympique, je poursuivrais la compétition jusqu’à ce que mon corps dise stop. Je préfère plutôt imaginer me retirer après les JO de 2024 surtout si Paris est la ville hôte. Je dois quand même vous rappeler que j’ai 33 ans (rires). Plus sérieusement, j’ai 53 ans et je ne me suis jamais senti aussi bien dans ma peau, mon corps et mon esprit. J’ai l’impression d’avoir 20 ans. C’est sans doute ma grande force.

Le temps est votre allié. Plus les années passent, plus vous vous rapprochez du sommet mondial...

L’équitation est le seul sport sans limite d’âge. Le poids des années est sans équivalent dans l’évolution d’une carrière et la qualité du cheval représente 55% de la performance. C’est l’expérience qui nous permet de mieux travailler un cheval et de le rendre encore meilleur. D’ailleurs, je suis particulièrement admiratif du cavalier anglais John Whitaker. Médaillé d’argent aux JO de Los Angelès, en 1984, victime d'un accident vasculaire cérébral en 2000 qui l'a tenu éloigné des terrains de compétitions plusieurs mois, il est revenu à son meilleur niveau. Et il pourrait fêter ses 60 ans lors des JO de Rio. Je lui tire mon chapeau.

Le Salon du Cheval (13-18 octobre) approche à grands pas. Et vous allez participer une nouvelle fois à la sixième édition du Morocco Royal Tour...

Le salon du Cheval d’El Jadida est aujourd’hui au même niveau que les grands salons mondiaux. Il est devenu la grande vitrine de la filière équine. Personnellement, je ne manque jamais de visiter les stands de l’artisanat comme la sellerie. Je suis très admiratif de ce travail manuel qui correspond à notre patrimoine. Quant au Morocco Royal Tour, c’est une tournée magnifique de Tétouan à El Jadida en passant par Rabat qui occupe évidemment une place particulière dans mon cœur.

Le Salon du Cheval d’El Jadida met en lumière le travail exceptionnel du Prince Moulay Abdellah...

En effet, il convient de saluer le travail formidable du Prince Moulay Abdellah. Sous son impulsion, la Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres (FRMSE) est devenue incroyable avec les nouveaux boxs, les marcheurs, les carrières... Le Maroc a anticipé l’avenir et n’a plus rien à envier au continent européen. Du coup, l’ambition s’invite à nouveau à notre table. Mais il n’y a pas de hasard. Le Prince Moulay Abdellah travaille tellement qu’il n’arrive pas toujours à dormir. Il a une ferveur de l’excellence peu commune. Sa devise pourrait être : «il faut que le résultat soit parfait, sinon ce n’est pas la peine de commencer l’ouvrage.» Si c’est un peu tordu, il est capable de tout casser pour reconstruire.

Le Prince Moulay Abdellah, avec lequel vous avez grandi, est votre modèle autant que votre guide spirituel...

Je lui serai reconnaissant jusqu’à la fin de ma vie. C’est grâce à lui que je suis aussi perfectionniste et que j’arrive à toucher l’excellence du très haut niveau. Il m’a appris à prendre soin de mes chevaux, à les sortir nappés, à avoir le goût de la beauté.

A quoi aurait ressemblé votre vie sans le cheval?

Je ne me suis jamais posé cette question. Je n’ai donc pas la réponse. Je savais que Dieu se pencherait sur mon destin. Donc, je n’ai rien programmé pour mon avenir. Même quand j’étais jeune, je n’ai jamais réfléchi à ce que je ferai plus tard. Le cheval est arrivé dans mon existence comme une évidence. Cet animal m’a impressionné dès son premier regard. En vacances, au bout de trois ou quatre jours d’oisiveté, j’ai besoin de voir un cheval, de le sentir, d’entendre le bruit des sabots. C’est toute ma vie. J’espère mourir en regardant un cheval.