Karoutchi simple soldat
Aussi sympathique dans son bureau de la rue de Babylone où il préside aux destinées du groupe de la Majorité présidentielle au Conseil régional d’Ile-de-France qu’à la télé où il n’est jamais tombé dans la politique spectacle, privilégiant toujours les mots au show, le fond à la forme, Roger Karoutchi a répondu à nos questions avec une liberté de ton dépassant les clivages politiques surannés. L’exercice du pouvoir - il fut ministre chargé des Relations avec le Parlement (2007-2009) - lui a donné du poids et de la hauteur, notamment sur les questions sociétales où sa parole est de celles qui comptent. Ainsi qu’en témoigne le succès de son livre Mes quatres vérités (Flammarion) paru après qu’il a révélé son homosexualité. Ambassadeur de France auprès de l’OCDE et Conseiller politique de l’UMP, Roger Karoutchi est un atout incontestable pour son ami Nicolas Sarkozy, dont il épouse les idées et le parcours depuis plus de trente ans. Rencontre avec celui qui aime les biographies d’empereurs chinois ou de tsars russes et la série Stargate SG-1.
Clin d’œil.- Avez-vous lu "Un bleu en politique", le livre de Bernard Laporte?
Roger Karoutchi.- Je n'ai pas encore eu le temps, mais je vais le prendre. J'ai bien connu Bernard Laporte et j'ai eu l'occasion de l'apprécier. Bernard est un garçon étonnant et entier qui analyse les choses beaucoup plus qu'on ne le pense. Je peux comprendre qu'il ait une vision un peu amère du monde politique. Il a été déçu de l’accueil des parlementaires de gauche, qui l’ont souvent insulté lors des questions au gouvernement. En tout cas, ça ne l'empêche pas d'avoir encore des ambitions puisqu'il avait envisagé de se présenter aux Régionales avant de faire marche arrière.
Avez-vous lu le premier tome des mémoires de Jacques Chirac?
J'ai lu les bonnes feuilles.
Vous êtes toujours Sarkozyste...
J'ai choisi la vision politique de rupture par rapport à la situation qu’était celle de la France il y a longtemps. On ne peut donc pas m'accuser d'opportunisme dans l'optique d'une carrière personnelle. J’ai toujours soutenu Nicolas Sarkozy et je continue à le faire.
Avez-vous digéré votre défaite face à Valérie Pécresse lors des primaires pour porter les couleurs de l’UMP lors des élections régionales?
Un choix a été fait: j’en prends acte. Je suis plutôt un bon garçon, j’ai accepté de soutenir Valérie Pécresse sans arrière-pensée. Je suis plutôt même un très bon garçon car j’ambitionnais de conduire la liste UMP dans les Hauts de Seine avant d’accepter de me ranger, comme un seul homme, derrière la candidature d’André Santini. Je n’ai jamais fait de la politique pour flatter mon égo mais pour porter des valeurs. Aujourd’hui, les primaires sont oubliées, on a un combat à mener et les soutiens de Valérie doivent s’ajouter aux miens pour mener notre liste vers la victoire.
Les primaires peuvent-elles laisser des traces indélébiles?
Si tout le monde joue le jeu, les primaires n’auront pas d’effet négatif. J’ai simplement dit ce que j’avais à dire au moment que je trouvais opportun. Aujourd’hui, c’est un passé dépassé.
Valérie Pécresse peut-elle battre Jean-Paul Huchon?
Nous commençons la bataille dans une véritable position de challenger. Mais deux éléments forts pèsent en notre faveur. D’une part, la gauche se présente devant les électeurs franciliens clairement divisée entre les listes Huchon, Duflot pour les Verts, le Front de Gauche et le NPA. Quand on se combat au premier tour, c’est souvent très dur de faire le plein de voix au second. D’autre part, notre programme dépasse très largement les clivages politiques et se lit dans le seul intérêt des Franciliens en matière de transport et de logement, notamment. Il ne faut pas oublier que notre défaite de 2004 s’expliquait seulement par le désamour de l'exécutif et le bilan gouvernemental.
Dans “Le livre noir des régions socialistes”, vous dénoncez l’explosion de la fiscalité. Mais cette hausse n’est-elle pas liée au transfert de compétences?
En 2004, les impôts régionaux étaient de 72€ par habitant. En 2009, ils sont de 179€. La gauche dit que l’Etat lui a transféré des compétences sans lui donner les moyens nécessaires, c’est faux. Les transferts de compétences en Ile-de-France ne représentent qu’un quart de la hausse de la fiscalité, soit 120 millions d’euros sur 500. Du coup, les transferts de compétences ne sont que des prétextes pour augmenter les impôts et financer des dépenses somptueuses dans l’embauche de fonctionnaires, la communication et le saupoudrage clientéliste de subventions pour les associations. En Ile-de-France, en 1998, on a aidé 80 associations pour une subvention totale de 50 millions d’euros. Aujourd’hui, l’équipe de Jean-Paul Huchon a subventionné 3000 associations pour un budget total de 600 millions d’euros. Mais en plus, on a multiplié les interventions de la Région dans des domaines qui ne sont pas de sa compétence, alors que les crédits pour les transports ou les lycées sont à la traîne…
On vous reproche parfois votre proximité avec Jean-Paul Huchon...
Je sais, on dit souvent : « Karoutchi, il est en bons termes avec Huchon ». Mais je n’ai jamais été partisan des combats frontaux et personnels. J’aime les débats sur les idées. Mais quand je ne suis pas d’accord avec Huchon, je sais faire entendre mon opposition ferme et résolue. Par exemple, le Grand Paris est la preuve de l’inaction de l’exécutif socialiste.
Justement, quelle est votre religion sur le Grand Paris?
L’Ile-de-France, c’est 11 millions d’habitants, c’est 4,5 milliards d’euros de budget, c’est 19% de la population française, c’est 33% des recettes de TVA nationales. Etre Président de la région Ile-de-France, c’est une fonction plus importante que d’être ministre. Il doit être connu et reconnu dans le monde entier.
Quand l’Ile-de-France va bien, c’est un moteur pour la France. Il fallait donc que l’Etat soit plus présent. L’Etat a dit : “j’ai une responsabilité en Ile-de-France et je vais l’assumer”. Je suis heureux qu’il ait proposé le Grand Paris. Le Grand Paris, ce sont des projets d’urbanisme plus harmonieux, des projets architecturaux plus porteurs et attractifs, des moyens de transport plus maillés grands et plus performants, c’est une nouvelle attractivité pour les grandes entreprises.
Le Grand Paris, c’est le principal échec de Jean-Paul Huchon. Il a eu tous les pouvoirs depuis onze ans, et il n’a jamais été capable de fédérer les acteurs. C’est assez symbolique et symptomatique que ce soit l’Etat qui ait réussi à réunir tous les acteurs autour d’une table pour faire avancer la Région.
Le Grand Paris n’était peut-être pas une priorité pour Jean-Paul Huchon...
Je ne crois pas, il devait surtout penser que ce n’était pas à lui de le faire. Jean-Paul Huchon a une vision réductrice de l’Ile-de-France. Il regarde
du côté du Grand Lyon ou du Grand Marseille. Il se trompe. Le Grand Paris est en concurrence avec le Grand Londres et le Grand Barcelone. Le Grand Londres fait deux fois plus vite et deux fois mieux le même chantier que nous. C’est dramatique. On ne possède pas l’outil suffisant pour assurer le rayonnement de Paris comme ville monde, le rayonnement de l’Ile-de-France comme région capitale et surtout pour assurer et améliorer la qualité de vie des gens. Avec le Grand Paris, on doit être capable de dire qu’on vit mieux ici que dans le Grand Barcelone, qu’on crée plus de richesses que dans le Grand Londres et qu’on a moins de chômage que le Grand Berlin.
Jean-Paul Huchon a rejeté la responsabilité des perturbations du RER A sur le gouvernement....
Une nouvelle fois, Huchon se trompe de cible. Comme à La Poste ou à la SNCF, c’est avec les directions générales des entreprises, et non avec l’Etat, que négocient les organisations syndicales représentatives. Je tiens à rappeler que c’est suite à l’intervention de Nicolas Sarkozy que le syndicat des transports, présidé par la Région, a décidé du remplacement d’une partie des rames de la ligne A du RER. En soulignant l’urgence du renouvellement du matériel roulant, le Président de la République a précédé l’une des principales revendications syndicales.
Etes-vous favorable à une candidature Sarkozy en 2012?
Non seulement, je suis favorable à une candidature de Nicolas Sarkozy en 2012 mais je l'appelle surtout de tous mes voeux. Pour un changement durable, pour mener à son terme les réformes lourdes dont le pays a besoin, il ne faut pas cinq ans mais dix ans. Le pays a vraiment besoin de lui pour mener à bien tous les changements indispensables pour assurer l’avenir.
Est-ce que Dominique Strauss Kahn est le seul adversaire crédible pour Sarkozy?
Quand on parle de DSK, on entre dans la politique virtuelle. Ce qui est drôle chez les socialistes et sans doute intéressant à analyser, c'est que le plus populaire est celui qui n'est candidat à rien. Il ne faut pas oublier que DSK est président du FMI parce que Nicolas Sarkozy a mouillé sa chemise pour qu'il le soit.
Quels seront les grands thèmes de 2012?
Les grands enjeux de l'élection présidentielle de 2012 seront les questions sociétales. La fracture du combat idéologique n'est plus aussi béante aujourd'hui que dans les années 80. Le communisme est mort avec la chute du mur de Berlin en 1989 quand le capitalisme pur et dur a été ébranlé par la crise économique mondiale de 2008-2009. Sarkozy et la droite sont de moins en moins libéraux et de plus en plus interventionnistes quand la gauche est de moins en moins étatiste et de plus en plus proche du marché. Aujourd'hui, il faut être pragmatique et agir vite à l'image du plan de sauvegarde des banques mis en place quand j'étais ministre.
Est-ce qu'il faut légiférer sur la fin de vie?
Je n'ai pas un avis tranché sur cette question. J'écoute, je lis. Il faut réussir à débattre de cette question sans passion. Le rapport Léonetti va dans le bon sens en assurant une évolution vers davantage de dignité, mais ce n'est pas suffisant. L'euthanasie forcée est aussi absurde que l'acharnement thérapeutique.
La France a également beaucoup de retard sur le droit de la famille...
La société évolue beaucoup plus vite que nos lois. Aujourd'hui, un mariage sur trois en France, un mariage sur deux en Ile-de-France se termine par un divorce. On doit donc adapter notre législation concernant l'héritage, le droit de la femme, les familles recomposées, les familles monoparentales ou l'adoption. Il y a trente ans, on demandait aux jeunes du RPR de ne surtout pas aborder les questions de société. Aujourd'hui, ce n'est pas acceptable. On doit demander aux jeunes de l'UMP de commencer par réfléchir à ces questions qui sont les seules où les politiques hexagonaux conservent tous les pouvoirs. Le livre de Michel Crozier "La société bloquée", paru en 1971, n'a jamais été autant d'actualité. On observe toujours une société plombée par l'inertie des élites, des grandes écoles, de l'administration, de la bureaucratie.
Pourquoi ces questions n'intéressent pas davantage la classe politique?
Entre l'opposition qui n'a ni idée, ni leader, et la majorité qui est confrontée à une crise économique sans précédent, le débat sur ce point est trop figé. C'est regrettable. A mon sens, on ne fait pas assez de propositions culturelles aux Français, qui ont besoin qu'on leur aménage et qu'on leur dégage de nouveaux espaces de libertés.
Peut-on considérer que Nicolas Sarkozy n'a pas tenu toutes ses promesses sur les questions sociétales?
Sur toutes ces questions, il faut avancer sans heurter, sans se précipiter. Le débat sur la société de demain, c’est à droite qu’il a lieu, pas à gauche. Il convient de saluer le travail de notre secrétaire d'État chargée de la Famille, Nadine Morano. Favorable à l'exception d'euthanasie et à la reconnaissance par la loi de l'homoparentalité, Nadine Morano s’est exprimée sans tabou, ni stratégie sur toutes ces questions sociétales. Il convient aussi de constater que le PACS a été considérablement élargi même si on n'a pas avancé sur le contrat civil ou sur le PACS en mairie.
Etes-vous personnellement favorable à l'adoption pour les couples homosexuels?
Il faut poser les choses et lancer une grande réforme de l’adoption en général. En tout cas, la question de l’adoption pour les couples homosexuels mérite un vrai débat parlementaire et surtout une concertation apaisée loin des crispations du PACS dont tout le monde se souvient il y a dix ans.