Jenifer, la maturité
C’est aux Bains Montorgueil que Jenifer nous a donné rendez-vous. La chanteuse est une femme délicate et subtile. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle nous reçoive dans ce havre de paix envoûtant par sa beauté raffinée, son charme des mille-et-une nuits, ses odeurs magiques. Un spa de poupée pour une femme épanouie. Mature. Simple. Bluffante. Une heure de séance photo, une heure et demie d’interview, Jenifer a donné de son temps et d’elle-même.
On pensait tout savoir sur la star. On ne savait rien. On ne savait pas à quel point la musique coulait dans ses veines. On ne savait pas combien l’héritage de son père, pied noir algérois, fan de gospel, de sa maman chanteuse d’orchestre, moitié corse, moitié espagnole, amoureuse de Piaf et Brel, de sa grand-mère maternelle, chanteuse de polyphonies corses et de flamenco, était aussi important dans son évolution musicale actuelle.
On ne savait pas combien l’empreinte de ses années de galère, quand elle chantait à l’âge de 14 ans dans les restaurants de la Côte d’Azur, et quand elle courait les cachets à 16 ans dans les bars de la capitale, était aussi forte dans sa manière de gérer et digérer le succès. On ne savait pas qu’elle puisait autant d’énergie dans le passé pour construire son futur.
Elle veut l’inventer en chanson, bien sûr. Elle l’imagine aussi sur grand écran, d’autant qu’elle se dit enfin prête aujourd’hui à se mettre en danger devant un réalisateur.
Le danger, elle connaît. Révélée par la Star Academy, elle a eu l’intelligence de ne rien renier de ce passé télévisé pour décoller l’image d’une star pré-fabriquée.
Aujourd’hui, Jenifer n’est plus une enfant de la télé mais une artiste complète, une femme mature, sensible aux problèmes de société. Une femme très intelligente, qui tord le cou au cliché de bonbon trop sucré renvoyé... par la télé.
Clin d’œil.- Jenifer, votre nom est fatalement associé à la Star Academy. Est-ce que cette image vous énerve?
Jenifer.- La Star Ac fait partie de moi. Je n’ai jamais craché dessus. Même si je n’adhère pas à tout le système, je n’oublie pas les gens qui m’ont lancée, ni mes années de galère.
Qu’est-ce qui pourrait vous vexer?
Je n’aimerais pas que l’on remette en cause mes qualités humaines, qu’on dise que je suis méchante ou manipulatrice. Je n’aimerais pas non plus qu’on doute de mes qualités artistiques. Pour le reste, j’ai mis une carapace.
La Star Ac 8 vient de débuter. Est-ce que vous suivez le programme à la télé?
Quand j’ai l’occasion, je jette un œil sur le prime mais je ne regrade pas les quotidiennes. Aujourd’hui, la Star Ac est surtout une vraie émission de divertissement et de variété.
Vous occultez le côté téléréalité...
Non, je ne l’oublie pas mais c’est évidemment l’aspect qui me plaît le moins. Il faut savoir que j’ai vraiment hésité à faire la Star Ac parce que j’avais peur que cela ressemble au Loft. J’étais d’autant plus hésitante que j’avais eu une expérience assez traumatisante des caméras lors de l’émission Graine de Star à laquelle j’ai participé à l’âge de 16 ans.
Qu’est ce qui vous a convaincue de participer à cette émission?
En fait, je n’avais pas le choix. Je galérais tellement, j’avais tellement de dettes que j’étais prête à faire n’importe quoi pour percer. A 16 ans, j’étais complètement insouciante. Je suis montée à Paris avec 1000 balles en poche. J’ai couru les cafés, les restaurants pour chanter et prendre des petits cachets. J’étais trop fière pour demander de l’aide à ma famille et dire que c’était difficile. Finalement, une amie de ma tante m’a trouvé un job d’attachée de presse dans le secteur des nouvelles technologies à Asnières. Ce n’était pas passionnant mais cela m’a permis de tenir.
Au delà du succès, qu’est-ce que la Star Ac vous a apporté?
La Star Ac m’a servi de thérapie psychologique. Elle m’a permis de fuir mon mal être. Avant le jeu, j’étais solitaire, indépendante. Etre confrontée à la vie en communauté m’a permis de m’ouvrir aux autres. Mais le vrai épanouissement, c’est la scène, la rencontre avec le public, qui me l’a procuré. Tout le reste est très égoïste dans ce métier.
Est-ce que la téléréalité est le passage obligé pour un jeune chanteur qui veut faire carrière?
Non évidemment, mais c’est un moyen comme un autre de réussir dans un contexte très difficile pour la musique. Les disquaires ferment les uns après les autres. D’ailleurs, je suis très heureuse qu’il y en ait un, qui résiste, rue Montorgueil. Il y a beaucoup d’artistes - et j’en fait partie - qui sont prêts à renégocier leur contrat avec les labels, à gagner moins pour trouver une solution à la crise du disque.
La Star Ac a quitté la Seine-et-Marne et le château de Dammary-les-Lys pour s’installer rue Charlot, en plein cœur de Paris. Qu’est-ce que ce changement vous inspire?
Les producteurs ont sans doute ressenti le besoin de faire évoluer le concept de l’émission. N’empêche, si j’habitais la rue Charlot, je ne serais pas très contente avec le bruit, les embouteillages, les mouvements de foule. Peut-être même que je manifesterais... (rires).
Est-ce que vous avez des regrets dans votre carrière?
Aucun même si quand j’écoute les premières chansons aujourd’hui, je ne suis pas forcément très convaincue. Elles étaient fraîches et légères. Mais si c’était à refaire, je ne les referais pas aujourd’hui. J’ai plus d’oreille, de sensibilité musicale désormais, donc ma perception est totalement différente. Ceci dit, les maisons de disque ne m’ont jamais rien imposé. Elle m’ont seulement proposé des chansons, qui n’étaient généralement pas écrites pour moi. Vous savez, je suis très lucide...
Quel est l’album dont vous êtes la plus fière?
Lunatique, le dernier, c’est vraiment moi. J’ai envie de le défendre. D’ailleurs, je suis même assez impatiente d’entamer la prochaine tournée intimiste (1) dans des petites salles, des théâtres avec seulement quatre musiciens sur scène. Souvent, les gens qui viennent me voir en spectacle sont étonnés par mon évolution musicale. Ca me plaît de surprendre.
Depuis le début de votre carrière vous avez travaillé entre autres avec Lionel Florence, Kyo, Calogero, Marc Lévy, Matthieu Chédid, Marc Lavoine ou Guillaume Canet. Pouvez-vous nous parler de ces rencontres?
J’adore la notion de duo dans la vie en général et dans la chanson en particulier. Je suis par exemple très émue par la relation entre Vanessa Paradis et Matthieu Chédid. Quand des artistes s’oublient l’un pour l’autre, la magie est souvent au rendez-vous. J’ai bien sûr aimé travailler avec tous ces gens et notamment avec Marc Lavoine. Avec Marc, cela a été une vraie rencontre sincère et constructive. On a beaucoup parlé avant de comprendre ce que l’on attendait l’un de l’autre. J’ai besoin d'admirer les personnes avec qui je collabore. Je suis fan de Maxim Nucci, le père de mon fils. En plus, avec lui, j’étais en confiance totale, dans un vrai cocon familial. Quoi qu’il en soit, toutes les rencontres sont différentes. Matthieu Chédid et Guillaume Canet, par exemple, sont des potes. Un soir, on a fait un bœuf et on a décidé de travailler ensemble. Ce n’est pas plus compliqué que cela...
Est-ce qu’il y a un artiste avec qui vous voudriez travailler?
J’ai très envie d’un duo avec Christophe Willem. J’aime son univers complètement iconoclaste. C’est un extra-terrestre avec un talent inouï. Je le connais depuis longtemps, avant la Nouvelle Star. C’est même moi qui lui ait fait découvrir le quartier Montorgueil où il a habité quelques temps.
Quelles sont vos influences musicales?
Mon idole, c’est Janis Joplin. J’aime ce qu’elle représente, son parcours. C’est la plus grande chanteuse de blues de tous les temps. Sa voix a vraiment marqué les esprits au delà des générations. Aujourd’hui, je suis fan de Coldplay, de la musique black américaine mais j’aime aussi la variété de bon goût.
Qu’écoutez-vous comme radio?
J’écoute NOVA et les radios musicales en général, mais je trouve parfois que la programmation tourne un peu en rond.
Est-ce qu’on s'habitue au succès autant qu’aux harcèlements de la presse à scandale?
On ne s’habitue ni à l’un, ni à l’autre. Le premier est éphémère et le second peut blesser toute une vie. La presse est libre en France, et c’est évidemment indispensable, mais je ne peux pas respecter la presse qui étale ma vie privée et mes petites culottes. C’est parfois assez violent physiquement, verbalement. J’ai besoin de simplicité autour de moi d’autant que je n’ai jamais eu envie d’exposer ma vie, d’être exhib. Je n’ai pas envie d’être harcelée. Je crois que c’est légitime, non? Je n’ai pas besoin de paparazzi qui me poursuivent toute la journée.
Comment gérez-vous la pression parfois envahissante de vos fans qui vous interpellent dans la rue?
Déjà, je respecte vraiment mon public. Je sais que j’ai des devoir vis à vis de lui. En général, ça se passe très bien notamment dans le quartier Montorgueil où les gens sont très sympas, compréhensifs. A la limite, j’ai eu davantage de soucis quand j’avais déménagé dans le XVIIe, qui est pourtant un quartier plus bourgeois. Le seul problème, c’est que je suis vraiment agoraphobe.?La foule me fait peur et j’étouffe très vite.Quand je n’allais pas très bien psychologiquement, cela a pu être parfois difficile.
Aimeriez-vous faire du cinéma?
J’aime le jeu avec l'objectif donc j’aimerais essayer de jouer avec une caméra. Mais je ne sais pas si j’ai le talent nécessaire pour devenir actrice. Pour répondre à votre question, oui j’aimerais y aller. Je crois que c’est le bon moment. ça me permettrait de m’oublier, de m’évader. On m’a déjà proposé des scénarios mais j’attends une proposition excitante, qui me mettrait vraiment en danger.
Pourtant, vous vous sentez plutôt très pudique ...
Justement, le cinéma me permettrait de travailler cette partie de moi. J’ai peut-être besoin qu’un réalisateur tyrannique me violente.
Etes-vous maso?
Un peu, je crois (rires).
Et le théâtre?
C’est aussi dans un coin de ma tête d’autant que j’adorais ça à l’école. Je rêve aussi d’une belle comédie musicale, qui me ressemble.
Est-ce que vous êtes sensible aux critiques de la presse?
Je ne lis pas tout ce qui s’écrit sur moi mais j’adore parcourir les critiques de la presse quotidienne régionale, le lendemain de mes concerts. Elles ne sont pas forcément toujours bonnes (rires) mais elles sont parfois justes et ça me permet également d’avancer.
Vous mettez souvent votre notoriété au service d’associations carritatives. Est-ce que cela est important pour vous?
Aider les autres, c’est le devoir de tout le monde. Ce n’est pas important, c’est capital pour moi. Je suis en combat permanent contre la superficialité. Mes parents m’ont élevée dans le notion de partage, de générosité. A Nice, on habitait à côté de la soupe populaire. Du coup, j’accompagnais souvent ma mère, qui était bénévole. Tous ces moments sont profondément ancrés en moi. Aider les autres, c’est aussi s’aider soi-même, se sentir plus utile. Je suis la Marraine de l'association Chantal Mauduit Namasté, destinée à améliorer les conditions de vie et de scolarité des enfants à Katmandou au Népal, où je me suis rendue en avril 2006.
Est-ce qu’on change intérieurement après un tel voyage?
Humainement, on revient gonflé à bloc mais ça fait mal aussi. La misère du monde est tellement banalisée dans les journaux télévisés que c’est peut-être nécessaire de la prendre de plein fouet dans la figure.
Vous militez pour le droit à l'adoption des couples gays. Est-ce que vous avez aujourd’hui envie de prendre davantage position sur les problèmes de société?
On ne peut pas vivre avec un mouchoir devant les yeux. Il y a 6 millions de personnes qui vivent en France en dessous du seuil de pauvreté. Il y a 2 millions d’enfants non scolarisés. Il faut avoir ces chiffres en tête afin de faire avancer les choses et ne pas rester sur son quant à soi. Concernant les droits de la communauté homosexuelle, j’ai énormément d’amis gays, qui sont en couple, parfois depuis plus de quinze ans. Et je peux dire que ce sont gens sains, normaux, lucides, qui s’aiment. Ils doivent avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels notamment en matière d’adoption. Le PACS était une belle idée, un pas en avant mais le gouvernement ne va pas assez loin aujourd’hui. On a énormément de retard.
Votre discours est empreint de maturité, de sincérité et de finesse. En tout cas, il est assez loin de l’image renvoyée par certains médias et notamment la télévision...
Malgré les apparences, je suis une fille très maligne (rires). Parfois, lorsqu’une interview m’agace, j’amène le journaliste là où je veux qu’il aille. C’est sans doute un tort car je ne me dévoile peut-être pas assez. Mais je sais qu’on véhicule de moi l’image d’un bonbon sucré, d’une fille gentille, sans trop de personnalité.
Est-ce que cette image de femme lisse vous blesse?
Elle ne me blesse pas mais ça m’ennuie un peu. Ceci dit, je suis avant tout une chanteuse. Et ce qui compte le plus pour moi, c’est ce que les gens pensent de moi artistiquement.
Est-ce que le succès vous a déjà fait perdre la tête?
Je suis issue d’une famille modeste. Je connais la valeur des choses, de l’argent. Je n’ai jamais été prise dans un tourbillon parce que je sais d’où je viens. Je n’oublie rien du passé. Je m’en sers pour me guider et ne pas me disperser.