Jean-Stéphane Sauvaire, immersion chez les enfants soldats
Jardin des Halles, premier mercredi de novembre, Jean-Stéphane Sauvaire répond à nos questions escorté par Saint-Eustache. Malgré le froid et la fatigue, il parle doctement, avec passion mais sans excès, de son premier long métrage Johnny Mad Dog, qui sortira en salle le 26 novembre prochain. Normal : ce n’est pas un film, c’est sa vie. En plongeant dans le quotidien atroce des enfants-soldats d'Afrique, Jean-Stéphane Sauvaire est revenu bouleversé à l’image de son film bouleversant et puissant.
A 39 ans, celui qui fut assistant réalisateur de Cyril Collard pour Les Nuits Fauves et qui avait déjà abordé ce thème éprouvant en 2003 dans Carlitos Medellin, documentaire tourné en Colombie, a cette fois-ci relevé le pari de la fiction pour mettre en scène, au Libéria, les parcours parallèles de Johnny Mad Dog, chef de guerre rebelle âgé de 15 ans, et Laokolé, gamine de 13 ans qui fuit les atrocités. Les jeunes acteurs sont pour la plupart eux-mêmes d'anciens enfants-soldats.
Johnny Mad Dog est un film détonnant, qui colle au plus près de la réalité de ces enfants-soldats : une folie meurtrière alimentée par un encadrement d'adultes, la drogue, les transes collectives et les rites guerriers. Au coeur de cette Afrique ravagée et de ces enfances abrégées, Jean-Stéphane Sauvaire a réussi à restaurer la vie d’un peuple qui tente malgré tout de survivre et de sauvegarder sa part d’humanité.
Produit par Mathieu Kassovitz et basé sur le roman éponyme du Congolais Emmanuel Dongala, le film a été salué par la critique. Récompensé lors du dernier Festival de Cannes par le Prix de l’Espoir dans la section Un Certain Regard et lors du Festival de Deauville par le Prix Michel d’Ornano, Johnny Mad Dog a également séduit à l’étranger. Prix “Die Elfe” du meilleur jeune talent au Festival de Hambourg et Grand Prix du Festival du Film International 2morrow de Moscou, Johnny Mad Dog devrait réussir à s’exporter en dehors de nos frontières d’autant que la critique de la presse anglo-saxonne est dithyrambique.
Il lui reste à s’imposer en France où le nombre de copies et la sortie très médiatique du second Mesrine lui compliquera la tâche. Mais Jean-Stéphane a déjà relevé des défis bien plus improbables pour ne pas baisser les bras maintenant.
Clin d’Oeil : Johnny Mad Dog va sortir sur les écrans le 26 novembre prochain. Etes-vous encore en contact avec les enfants ?
Jean-Stéphane Sauvaire : Je suis en contact permanent avec les enfants car trois d’entre eux vont venir assister à l’avant première du film. Je me bats pour obtenir les visas en passant par l‘ambassade du Congo. Mais le soutien de Rama Yade, qui assistera à l’avant première, nous aide dans cette démarche.
A l’image de Laurent Cantet, Palme d’Or à Cannes, vous semblez vraiment bienveillants avec les enfants...
Ce serait criminel de faire un tournage avec eux et de tourner les talons sans donner signe de vie. Il était inimaginable pour moi de reproduire le schéma que les enfants avaient connu pendant la guerre: le général qui vient, qui prend les enfants et les abandonne dès que c’est fini. L’année de préparation et le tournage ont créé des liens très forts, un sentiment de groupe très soudé. Je voulais continuer à suivre les enfants, à essayer de les aider dans leur réinsertion. Je ne me force pas, j’ai besoin de ce contact avec eux. Je me nourris aussi de leur énergie. Aujourd’hui, ils font partie de ma vie.
Cela explique pourquoi vous avez créé la fondation «Johnny Mad Dog»...
En attendant, elle présente plusieurs fois par semaine l’émission de poker Cash TV sur IDF1 et tourne en ce moment un programme produit par Cauet où en tant qu’amie proche de Magloire, elle l’aide à suivre un régime draconien qui doit lui faire perdre 40kg. En off elle s’inquiète d’ailleurs un peu quant aux résultats attendus mais ne doute pas du succès de l’émission qui sera diffusée à partir du mois de mars.
Même sa vie privée vit au diapason de ses rêves d’enfant, elle vit en couple mais ne pense pas encore à devenir maman. « Mon compagnon n’est pas dans le show business, deux artistes ensemble c’est peut-être plus intense pendant un temps mais c’est surtout plus destructeur » confie Célyne. Et lorsqu’on lui demande si elle quitterait tout par amour pour suivre son homme au bout du monde, malicieuse, elle rétorque que si ce bout du monde était Los Angeles elle n’hésiterait pas, mais elle retourne surtout la question en déclamant : «qui m’aime me suive».
Bien sûr ! Lors de la préparation, des cours leur étaient donnés tous les matins. Depuis, on a gardé l’éducateur, une maison et créé la fondation «Johnny Mad Dog» où ils savent qu’ils peuvent aller pour manger, recevoir des cours, dormir, être écoutés. Ces enfants vivent encore aujourd’hui au jour le jour, heure après heure, dans une logique de survie difficile à concilier avec un projet sur le long terme. C’est de là qu’il faut repartir. Mais c’est aussi de cette immédiateté qu’ils ont tiré leur force pendant le tournage : ils vivaient tout dans l’instant présent, ils ont énormément donné, je crois que ça se ressent très fortement dans le film et je les en remercie. En espérant que le film puisse permettre de parler de la problématique des enfants-soldats dans le monde, malheureusement toujours d’actualité, qui reste inacceptable et intolérable.
Comment les enfants ont-il digéré le tournage du film? Sont-ils les coqs du village?
Dès la fin du tournage, ils ont replongé dans la réalité de leur vie. Ca leur évite de perdre la tête. Forcément, ils sont fiers. Ils ont grandi grâce au film. Durant l'année passée ensemble, les gamins ont évolué, ils sont devenus plus apaisés, équilibrés. Pour eux, c'est vraiment notre film. Ils sont restés au Libéria mais je les ai eu au téléphone pendant le Festival de Cannes par exemple et ils me demandaient : ‘Alors, comment ça se passe avec notre film?’
Comment est né le projet ?
Carlitos Medellin que j’ai tourné en Colombie devait être à l’origine une fiction avec des gamins de Medellin en lutte contre les FARC. Mais ça s’est avéré difficile et le projet s’est transformé sur place en documentaire. Après cette expérience, j’ai découvert le livre Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala qui m’a bouleversé et j’y ai vu la possibilité de continuer le projet, d’aller vers la fiction à partir d’un sujet similaire : les enfants plongés dans la violence des conflits armés.
Comment avez-vous trouvé les ex-enfants-soldats qui jouent dans le film ?
Je me suis d’abord tourné du côté des ONG sur place avant de me rendre compte qu’elles restent dans des réseaux très spécifiques. J’ai alors ressenti le besoin de partir sur le terrain. Je me suis concentré sur Monrovia et les zones de ghetto autour de la ville. Les ex-généraux m’ont aiguillé sur des chefs de guerre qui étaient à l’époque en charge des enfants. J’organisais des castings dans les quartiers, avec ceux qui avaient combattu. J’ai du en voir 500 ou 600 pour en sélectionner 15. Au milieu de ces enfants, il fallait trouver ceux qui se détachaient du lot, qui avaient une personnalité forte.
La préparation a-t-elle été cruciale?
Il fallait trouver les enfants, mais aussi gagner leur confiance. Beaucoup nous disaient : des journalistes viennent, font leurs interviews et disparaissent. Je leur ai alors expliqué que pour un film, j’allais devoir partir et revenir, faire des allers-retours, m’engager dans la durée. Je me suis finalement installé avec eux pendant un an, dans une maison à Monrovia, pour instaurer cette confiance, préparer le projet et commencer à travailler ensemble. Curieusement, le fait qu’ils aient combattu dans des camps opposés ne leur posait aucun problème, pour eux c’était révolu et ils avaient la même fierté d’avoir combattu, de quelque côté que ce soit.
Comment avez-vous initié les enfants au travail d’acteur ?
Il y avait le scénario, mais les enfants ne savaient pas lire. Au début, je les ai laissé faire des impros sur les scènes : je leur expliquais la séquence et je leur demandais d’improviser pendant que je les filmais. C’était une façon aussi de s’habituer à la caméra et d’être dans un système de jeu : s’amuser avec ça. Ils improvisaient et se voyaient ensuite dans la télé, comprenaient qu’il ne fallait pas regarder la caméra, ne pas parler tous en même temps, bref comprendre comment se fait un film.
Comment avez-vous trouvé un équilibre entre cette «réalité» et le travail d’interprétation au sens propre ?
Pour la première séquence, l'attaque dans un village, j'avais commencé à les placer et très vite, ils m'ont dit : ‘Laisse nous, on sait très bien ce qu'on a à faire’. J’ai beaucoup réécrit le film en fonction de leurs impros et de ce qu’ils proposaient. Le plus compliqué c’était que les enfants n’avaient pas vraiment conscience du scénario. Les enfants ne voyaient pas le scénario comme un ensemble mais avaient conscience des scènes en elles-mêmes. Johnny est le seul qui se détache de cette dynamique: il a pris peu à peu conscience de l’absurdité de la situation et de la réalité de la mort.
Le sujet est lourd. ça ne devait pas être évident de rester seulement concentré sur votre métier...
On ne peut être que dans le concret. Un jour, Warboy nous a raconté une scène qu’il avait vécue : une femme voulait passer la ligne de front, elle a tenté de discuter et ils l’ont éventrée. Ils ont trouvé un bébé dans son ventre et ont fait la fête toute la nuit : c’est dans cet état de folie sans limite que met la guerre. Je suis choqué par les journalistes qui arrivent et demandent aux enfants combien de personnes ils ont tuées. On ne demanderait jamais à un ancien-combattant de la Seconde Guerre Mondiale combien de personnes il a tué, c’est une aberration. On n’est pas face à des serial-killers, mais face à des soldats mis dans un état particulier.
Le mouvement du film est très direct, avez-vous visé une sorte d’épure ?
Tout est déterminé par cette immédiateté, cette importance de l’instant présent, cette spirale dans laquelle les enfants sont propulsés. Pendant la guerre, le recul et la réflexion n’existent pas pour eux. Mais je ne voulais pas considérer ces enfants uniquement comme de simples innocents qui vont au combat contre leur gré : ils se prennent à ce jeu de la guerre, le regret ne peut venir qu’après coup.
Comment avez-vous abordé la question de la représentation de la violence à l’écran ?
La violence qui intervient dans l'enfance est un sujet qui me passionne. Il y a une certaine violence dans l'enfance, qui peut devenir une atrocité si elle est manipulée. La question c’est : jusqu’où on peut aller dans la violence sans que ce soit complaisant ? Je n'aurais jamais continué dans cette direction si j'avais ressenti le moindre traumatisme pour eux à rejouer certaines scènes. En même temps, le théâtre, le fait de rejouer les choses a beaucoup été utilisé comme une thérapie par les ONG pour évacuer les traumatismes. La violence de la guerre est monstrueuse. C’était important pour moi d’être dans une violence de survie, quelque chose de finalement plus psychologique que sanguinaire. Je ne voulais pas par exemple aborder la question du cannibalisme : ce sont des faits tellement difficiles à comprendre de notre point de vue, c’est trop complexe à traiter. Il fallait éviter le dégoût, le rejet de la part du spectateur : certaines choses ont été si loin qu’elles sont irreprésentables. Il faut être plongé dans la guerre pour en comprendre les origines.
Comment s’est passée votre collaboration avec Mathieu Kassovitz ?
Il s’est impliqué au début, sur le scénario et beaucoup au montage. C’était intéressant car il n’est pas seulement producteur, mais aussi réalisateur, et c’est quelqu’un d’instinctif et talentueux. Il arrive à mettre le doigt sur des choses précises, et m’a poussé à radicaliser le film, le recentrer sur l’histoire là où j’aurais aimé l’amener vers quelque chose de plus sensitif et formel. C’est quelqu’un de respectueux, qui comprend parfaitement les doutes ou problèmes que vous pouvez avoir en tant que réalisateur.