Jean-Robert Reznik: le goût des autres
Il aurait voulu être un artiste. Il aura été un acteur du tourisme mondial. Attention, pas un second rôle. Encore moins un figurant. Jean-Robert Reznik a été un personnage principal, véritable héros d'une industrie qui représente aujourd’hui plus de 10% de l’économie planétaire.
Il est la folie et la rigueur. Extraverti et bosseur. Il est le feu et la glace. C'est un homme de gauche avec un destin de notable de droite. Il est tout et son contraire. Il possède un CV long comme un confinement. Ainsi, il convient de lui accorder la paternité du développement du Groupe Accor au Maroc - 50 hôtels créés avec la holding Risma – et en Égypte sans oublier la Thaïlande, Bali et les Maldives. Il appartient aussi de lui adjuger l'essor du Club Méditerranée dans le monde avec pas moins de 20 Clubs à son actif, le déploiement de 6 clubs de vacances Air France quand il était à la tête du pôle touristique de la grande compagnie aérienne française, la création de l’alliance T des grandes agences de voyages européennes. Il est également fondamental de ne pas zapper son bilan majeur à la tête du département tourisme de Carlson Wagonlit Travel, leader du tourisme d'affaires, qu'il dirigea et dont il fut longtemps administrateur
Il est surtout important de lui attribuer de grandes idées comme autant de fulgurances novatrices qui ont rapproché les hommes en gommant les frontières physiques et culturelles. Avant les autres, il a compris que l'art était un bien commun où les différences étaient une chance dans le grand combat des humanistes contre la défiance, la peur de l'inconnue et le repli communautaire. Et ces idées ont changé le destin des entreprises où il a exercé son incontestable talent et la vie de ses collaborateurs.
Il est allé où personne n'était allé. Il a cru à des pays où personne n'aurait misé le moindre kopeck. Sans forfanterie aucune, on doit lui créditer la découverte de destinations mythiques comme Cancun, spot festif au Mexique bordé par la mer des Caraïbes ou Punta Cana, oasis de rêve en République Dominicaine avec ses eaux transparentes. J2R masque derrière une excentricité assumée - il a troqué les cheveux longs d’hier pour un borsalino bleu aujourd’hui – une exigence professionnelle incomparable et une ambition inaltérable. Jean-Robert Reznik est un faux romantique. C'est un vrai pragmatique.
Sa vie est sinon un roman, au moins un voyage. Né en Algérie, à Mostaganem, ville portuaire de la Méditerranée, situé à l’ouest d'Alger, Jean-Robert grandit à Saida, aux portes du désert. Il est bercé par les odeurs de mimosas d'une cité qui tourne le dos à un plateau montagneux, le Dahra. Il n'oubliera jamais les effluves de ses origines orientales. Il n'oubliera jamais le chemin de l'école sur les épaules de Kaidiri, l'ordonnance d’un père militaire. Il n’oubliera jamais ses parents qui lui ont donné la foi du cœur et le poids des valeurs.
La maman, Mike Dennery, est une femme aimante et protectrice. Née à Oran, d'une maman marocaine, elle est championne de bridge. Et organise les tournois les plus huppés entre Deauville et Biarritz, Djerba et Marrakech, Tokyo et Pékin où elle joue avec le Président Deng Xiaoping. Proche du théoricien de ce jeu, Pierre Albarran, elle se lit d’amitié avec l'acteur Omar Sharif, passionné de bridge, qui ouvrira plus tard ses contacts à Jean-Robert.
Le papa, Serge, parisien d'origine ukrainienne de la région d'Odessa, est un immense personnage, étudiant communiste, officier supérieur de l'armée française, militaire de renom qui fut un des proches compagnons du Général De Gaulle. Sauvé des griffes de la police pétainiste, lors de la seconde guerre mondiale, sur le port d'Alger, par ses amis Arabes musulmans de la cellule communiste de résistance, Serge a notamment combattu au sein de la mythique 8e armée britannique dirigée par Bernard Montgomery.
Il a rejoint l’Égypte pour participer à l'ensemble de l'incroyable campagne des corps francs d’Afrique, unité expérimentale qui signe le renouveau de l’armée avec la reconquête de la France dans le sillon de la 2e Division Blindée, issue des forces françaises libres. « Dans les corps francs d'Afrique, il n'y avait que deux français : mon père et mon grand-père » précise J2R. « Il n'y avait que des Marocains, des Sénégalais, des Algériens, des Tunisiens… Voilà pourquoi j'ai toujours voué une profonde attirance pour l'Afrique et le Maghreb. Voilà pourquoi, au matin de ma vie, j'ai été ouvert à l’expression de la diversité. En tout cas, mes parents ont façonné mon esprit, mon caractère, mon âme et ma différence. » Il la cultivera dès son arrivée à Paris où il se lance dans des études de droit et de sciences économiques qu’il avale brillamment. En 3 e année, il a un professeur d'économie politique qui deviendra célèbre : Raymond Barre, futur premier ministre de la France. Il réussit son Droit. Mais il n'a pas la foi. « J’ai été un avocat qui ne voulait pas être avocat et un businessman qui ne voulait pas être businessman » résume froidement Jean-Robert. Il voulait être artiste.
Il lui tardait d’exprimer son goût pour l'art et la littérature qu'il a toujours dévorés. Il planche dur pour obtenir son diplôme. Mais il voulait surtout monter sur les planches. C’est sa grand-mère, Viviane Sayak, née à Inezgane au Maroc, qui lui inocule le virus du théâtre « Elle m’amenait dans tous les théâtres notamment ceux qui rendaient hommage à la comédie française et au Théâtre National Populaire (TNP) » se souvient J2R, avec une gourmandise non feinte. Quand il n'est pas au théâtre, il est aux cinémathèques, rue d'Ulm ou au Trocadéro. Il fréquente aussi les salles d'art et d'essais du Quartier Latin, rue Champollion, qu’il squatte trois fois par jour aux côtés de sa plus fidèle amie, Béatrice Costantini, actrice, chanteuse et patronne de l'agence DI. Dépité par son tropisme et par ses aspirations de troubadour, son père, élevé à la dure, prend ses distances. « Voilà 200 francs ! » lui dit Serge. « C'est 200 fois plus que mon père m'a donné. Au revoir… » Avec 200 francs en poche et le divorce de ses parents à digérer, J2R multiplie les petits boulots. Il n'en veut pas à son paternel.
Loin s'en faut… « C'est le plus grand service qu'il m'a rendu » avoue- t-il. « Il me répétait aussi : ‘Quand on est un imbécile, il faut mieux avoir de la mémoire…’ »
Il a de la mémoire et du courage. Il vend du tissu, réalise des études de marché. Il devient même chauffeur de taxi. Il se partage le volant avec un ami : ils arpentent les rues de Paris, 5h30 chacun. La passation de l'outil de travail a lieu chez Régine, au New Jimmy's, situé au 126 Boulevard Montparnasse, un phare de la nuit parisienne. « A Régine, on doit les fameuses pâtes de 5h du matin au goût éternel » dit J2R. Il patiente au vestiaire auprès de la reine de la nuit qui sera son amie pour la vie. Et reconduit « les filles qui sortaient le soir pour se défendre » dit-il joliment. « Soyez généreux, ce sont des étudiants » exhortait Régine aux clients qui montaient dans le tacot.
Chez Georges, rue des Canettes, à Saint-Germain des Prés, il escalade une enclume pour réciter des poèmes, notamment le mythique « Tiens, Tiens » qu'il nous a encore gratifiés, après un déjeuner au Club des Siciliens, sa cantine, rue du Dragon.
Jean-Robert rejoint sa maman installée à Nice et la Compagnie de théâtre Bernard Fontaine. « Je gagnais des clopinettes mais j'étais tellement heureux » dit-il. Il n'a pas forcément les codes du milieu qui magnifie la libération sexuelle des années soixante. Lui, préfère les femmes. « J'ai toujours essayé d'être un séducteur » lâche J2R. « Séduire, c’était le challenge du petit rond qui doit baratiner pour plaire. »
La femme renvoie à Jean-Robert l’image iconique de la maman et de la grand-mère. On n'y touche pas. On ne l'égratigne pas… « J'ai toujours aimé le contact des femmes qui me l'ont bien rendu » confirme-t-il. « Je les ai toujours respectées, valorisées, protégées, défendues, promues… »
Avoir du bagout, badiner, bavarder, courtiser, voilà l’extension du domaine de Jean-Robert qui excelle dans le maniement et la juxtaposition des mots. L’humour n'est ni un accessoire, ni un détail dans sa vie. C'est essentiel. Ça lui a ouvert de nombreuses portes et mêmes une kyrielle de fenêtres quand la porte était fermée. « Je suis le roi du bullshit » rigole-t-il avec une autodérision qui masque à peine une inclinaison égotique, dénominateur commun de ceux qui réussissent à lever la tête pour courber leur destin.
Celui de Jean-Robert Reznik passe par les Etats-Unis. Il négocie une équivalence d'une année à l’université Colombia, située dans le Nord-Ouest de l’arrondissement de Manhattan, à New-York. Le Provo l'aide à contacter la Banque Mondiale où il est accueilli par Barbara Tyger, la responsable de l'Afrique de l’Ouest. L’institution financière est dirigée par Robert McNamara. Secrétaire de la défense sous les présidences de Kennedy et Jonhson, c'est une immense personnalité politique américaine qui a présidé au destin des troupes américaines, au début de la guerre du Vietnam, avant de prendre la direction de la Banque Mondiale.
Barbara Tyger prend le jeune Reznik sous son aile protectrice. Lui parle tout de go d'une future mission au Maroc pour la relance d’Agadir, soufflée par un tremblement de terre. Et lui promet qu’elle usera de son influence pour qu'il monte dans… Air Force 2 aux côtés de la délégation américaine. Il n’avait pas échappé à Barbara Tyger les attaches marocaines de J2R dont la grand-mère était originaire d'Inezgane, petite ville lovée au sud-est… d'Agadir.
Il faudra patienter pour voir Agadir. Air Force 2, aux formes astronomiques, est obligé de se poser à Rabat où le jet de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II attend McNamara and co pour un rapatriement vers Agadir. Là, un tapis rouge leur souhaite la bienvenue. A son extrémité trônait la Mercedes décapotable du Souverain. « Robert McNamara était impressionné » se souvient J2R. « Hassan II, que Dieu ait sa Sainte Garde, s'est arrêté devant la colline dévastée par le tremblement de terre. Il nous a raconté ce triste drame. Derrière des lunettes de soleil découpées en deux qui cachaient à peine ses beaux yeux bleus, des petites larmes perlaient sur le visage de McNamara qui avait pourtant promis de ne pas financer le tourisme… Sa Majesté avait un talent incomparable pour faire naître les émotions. Barbara Tyger a osé briser le silence en racontant l’histoire de ma grand-mère née à quelques kilomètres d'ici… »
Sa Majesté ne pipe mots… La délégation rejoint l’hôtel Marhaba de la Compagnie Paquet, palace des années 50, qui dominait la baie d'Agadir. A 5h du matin, J2R est réveillé par la police. Une voiture banalisée patiente au pied de l'hôtel, devant sa façade néo-mauresque. A l’intérieur, trois personnes attendent l’étudiant. « Deux grands et un petit » précise J2R. « Il y avait Mustapha Tarik et Abderrahmane Benomar, les deux grands. Le petit se nommait Abdelaziz Alabouch. »
La voiture de police prend la direction de Aït Melloul. « Malgré l’obscurité, je reconnais le panneau Inezgane écrit en Français » dit Jean-Robert « Nous nous arrêtons devant une maison. On m'apprend que c'est celle de ma grand-mère et que les autorités l’ont placée à ma disposition. Après cette émotion incroyable, les responsables marocains pouvaient me demander la lune. J’allais essayer de la leur décrocher… »
L’expérience américaine et la parenthèse enchantée au Royaume du Maroc n’étiolent pas son désir créatif. De retour à Paris, J2R se lance dans l'aventure du Tekki. Situé rue de Sèvres, le lieu est une célébration du mariage des arts martiaux - Jean-Robert a pratiqué le judo à Carcassonne - avec le bien-être. Le fameux bain japonais, la plage en mousse autour de la piscine et la restauration rencontrent rapidement leur public. D’autant que J2R utilise les réseaux de sa maman pour commercialiser le Tekki et attirer la lumière médiatique.
Sabine de Fouquière, épouse de Jean-Jacques Servan-Schreiber, et Simon Nora, haut fonctionnaire, auteur du discours sur la nouvelle société prononcée par le Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas sont les premiers clients du Tekki où Jean-Robert se lie d’amitié avec Gainsbourg et Michou. Les oiseaux de nuit Jean-Marie Rivière, Pierre Benichou et Antoine Blondin passent régulièrement une tête. Le Tekki est au sommet de la branchitude parisienne. A cette altitude-là, la seule concurrence est celle de l'Alcazar. Marianne Kohler, la plume spirituelle de l’hebdomadaire Elle, sort un papier laudateur ! « J'ai commencé à vraiment m’intéresser au monde de l’animation » raconte J2R qui excelle alors dans la satire de son ami Régine.
Surtout, il est attiré et aspiré par les événements de mai 1968. Il accompagne Sabine Servan-Schreiber à Charléty où Pierre Mendès France tient un meeting historique, le 27 mai. Au-delà du vent de liberté qui souffle sur la société française, Sabine prend langue avec Jean-Robert au sujet du Club Méditerranée où elle a créé les mini-clubs. « Tu es fait pour le Club » lui lance Sabine Servan-Schreiber. Elle lui propose de rencontrer le boss, Gilbert Trigano.
J2R n'est pas chaud. Il trouve le Club trop bobo. « N’empêche, j'ai fini par accepter le rendez-vous. Je ne voulais pas exercer le métier d’avocat et mes activités théâtrales étaient au point mort. En plus, l'issue politique des événements de mai 1968 n'était pas favorable au gaucho que j’étais. Du coup, je n’avais rien à perdre. »
Il gagnera tout. La première entrevue avec Gilbert Trigano est rapide et efficace.
Trigano : « Qu'est ce que vous savez faire ? »
Reznik : « Je pratique les arts martiaux et le bridge. Je ne joue pas trop mal au tennis. Je lis des poèmes. Et je suis capable de monter des spectacles. »
Trigano : « Ça tombe bien ! Il n'y a pas de bridge et de tennis au Club. Allez voir les gens du recrutement... »
Difficile de rêver meilleur entretien d'embauche. La rencontre avec Claudine Blitz, responsable des ressources humaines et épouse de Gérard Blitz, le fondateur du Club, est plus lunaire. « Elle m'a demandé ma main gauche, puis la droite afin de me lire les lignes de la main » assure J2R. Les mystères divinatoires de la chiromancie tracent son destin et sa carrière au Club qui commencera à Agadir. Tiens, Tiens…
Agadir hébergera le 16e village du Club Med, le premier qui rompt avec la tradition des cases. Jean-Robert retrouve les traces de son passé et les trois personnes qui l’avaient guidé à Inezgane. Ils ont fait carrière : Mustapha Tarik, avec qui Jean-Robert remportera un grand tournoi de bridge, est désormais gouverneur de Tan Tan, Abderrahmane Benomar, pacha d'Inezgane et Abdelaziz Alabouch, chef de la police de l'aéroport. Ce dernier deviendra même patron de la DST. Dire que Jean-Robert est bien entouré est un euphémisme.
A Agadir, il est accueilli par Ali Imane, valet qui deviendra le chef de village le plus connu du Club Méditerranée. « Je l'ai vu surfé, ça a changé sa vie » dit Jean-Robert. « Je l'ai nommé directeur des sports. Il a gravi tous les échelons. Et dirigé les Clubs les plus mythiques aux quatre coins de la planète. La carrière d'Ali, c'est une de mes plus grandes fiertés. »
Jean-Robert ne change pas seulement la vie d’Ali Imane. En deux années, il transforme le Club. Ce n'est pas une évolution. C'est une révolution notamment dans le créneau des spectacles. Pierre-Jean Laplace, le chef du Village, n'en croit pas ses yeux. Jean-Marie Rivière et Pierre Benichou répondent présents pour aider leur ami et enrichir l'animation. Le chanteur québécois Robert Charlebois souffle le show aux soirées cabaret. Alexandre Arcady, un futur grand cinéaste et Gérard Chambre, qui deviendra le créateur des Festivals de Pierre Cardin, sont aussi de l'aventure ! L'onde de choc atteint Paris. Serge Trigano, fils de Gilbert, pose ses valises à Agadir…. en pleine animation Tour de France du Village organisé par J2R.
Pierre-Jean Laplace subtilise le passeport de Jean-Robert pour ne prendre aucun risque au cas où le Zébulon aurait des envies d'ailleurs. Sa carrière est lancée d’autant qu'il enfonce le clou en Guadeloupe. Pierre-Jean Laplace et Simone Schmit sont de l'aventure. La clientèle américaine est sous le charme. Il déchire son premier contrat de 650 francs, renvoie le second de 1100 francs et accepte le troisième de 1600 francs, une somme rondelette pour l'époque.
J2R revient à Paris avec une nouvelle étiquette sur le front. « La vie est un croisement de circonstances » dit-il. « On croise toujours. L'enjeu, c'est d’identifier le croisement. » Il participe au grand séminaire du Club Méditerranée, organisé au Trianon de Versailles. Il fait son entrée dans la grande famille. Et s’étonne des attractions contraires « entre le grand charismatique Gérard Blitz et l’astucieux Gilbert Trigano qui était également très actif ».
Il devait rester 1 mois au Club. Il rempilera 21 ans ! Après un retour comme patron, à Agadir, où le tout Paris se presse, il dirige le village de cases de Santa Giulia, près de Porto Vecchio en Corse où il invite les filles du Crazy Horse. Le succès est aussi fort que la fiesta qui enivre les lieux. Toujours en Corse, il ressuscite le village de Cargèse avec l'aide de son ami Pierre Benichou. « J’ai aimé transformé l’animation » avoue Jean-Robert. « J'ai aimé ouvrir le petit bureau du club où je lisais, avec un grand plaisir, la lettre de Didy, la sœur de Gérard Blitz, qui a imaginé les villages du Club. Bien sûr, j'ai apporté un vent de folie et de fraîcheur. Mais j’ai toujours préservé l’institution, l’histoire. »
En Sicile, au Village géant de Cefalù, J2R passe la vitesse supérieure. Il crée une version de Roméo et Juliette en son et lumière. Il guide aussi les touristes sur les pentes de l’Etna qui vient de se réveiller. Surtout, il gère, une semaine durant, 1400 clients, privés de cuisine, après une coupure de courant qui déclenche un feu dans le village. Il appelle l'armée au secours et réquisitionne les frigos des bouchers des villes voisines. Le charbon de bois embrase le barbecue H24 ! Sa courbe de popularité est au sommet. Au siège du Club Méditerranée, Place de la Bourse, à Paris, J2R est une star.
Il deviendra également vite incontournable… en Tunisie. Sur le chantier du Village de Djerba La Douce, il rencontre, en 1971, le Président Habib Bourguiba venu étancher sa curiosité devant l’ampleur des travaux. Reznik parle des vieux oliviers et palmiers qui seront préservés, des menzels qui seront rénovés et de l'école de formation hôtelière qui sera une fierté du pays. Bourguiba repartira avec des réponses, des rêves et une référence : Jean-Robert Reznik dont les cheveux longs à hauteur d’épaule ajoutaient au charisme évident.
Flairant la bonne pioche, Habib Bourguiba ne musarde pas en chemin. Dès le lendemain, il organise une réunion entre Ahmed Smaoui, futur ministre du tourisme et président de la compagnie Tunisair, Moncef Bel Hadj Amor, secrétaire général du gouvernement et J2R qui sort de son chapeau le plan des 5 zones entre Hammamet, Tunis, Sousse, Djerba et Tozeur. Voilà le tourisme tunisien sur orbite ! Le développement du tourisme en Tunisie était également une bonne nouvelle pour les ambitions locales du Club Méditerranée… «L’aide de Mondher Ben Ammar, de son épouse et de ses fils ont été une des clefs de ma réussite » précise-t-il. « Tout le monde pense que j'ai appris mon métier au Maroc, ce n'est pas complètement exact. En Tunisie où j'ai eu la chance de gagner la confiance de Habib Bourguiba. Et grâce à la vision et au soutien de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II, j'ai ensuite pu réussir le développement au Maroc. »
Gilbert Trigano ne regrette pas également d'avoir donné du crédit à Jean-Robert. Cela étant, leur histoire ne sera jamais une mer d'huile. Point de vagues scélérates non plus, mais une relation qui s'établit sur le thème du ‘Je t'aime moi non plus’. Pour résumer, Gilbert Trigano a autant d’admiration que de craintes à l’endroit de J2R. Il a besoin de son brio, à nul autre pareil, pour doper le chiffre d’affaires du Club. Mais il est terrorisé à l'idée que Jean-Robert occupe dans l’organigramme du groupe et dans le cœur de ses collaborateurs une place proportionnelle à ses fulgurances commerciales.
A l'évidence, et c'est sans doute humain, Gilbert Trigano protégeait instinctivement son fils Serge… Pour Gilbert Trigano, cela revient à résoudre la quadrature du cercle. « Me donner des responsabilités, oui ! Servir, oui mais loin… » confirme J2R. « Si Gilbert Trigano avait pu m'envoyer sur la lune, il l'aurait fait… »
Il n'ira pas sur la lune mais il la décrochera si souvent au cours d'une carrière unique. En 1973, Jean-Robert Reznik est nommé directeur d’exploitation de la Turquie, la Grèce, le Maroc, l’Égypte, les Pays de l'Est et la Suisse. Là, il transforme le Palace de Villars, station des pré-Alpes vaudoises, en spot du Club. Le grand Serge Lama vient répéter ses spectacles. A Agadir, Jean-Robert signe un coup de maître qui changera la vie du club. Il entame les premières discussions pour l’absorption du Centre Européen du Tourisme. J2R négocie avec Jacques de Fouchier, président de Paribas, premier actionnaire du CET. Gilbert Trigano se pressera de prendre l'avion pour finaliser le magnifique accord.
A son retour, Place de la Bourse, il impose son fils comme unique directeur d’exploitation du Club. Il place Charly Benillouz à la tête des clubs Maeva. Shalom Hassan devient responsable de GO. Jean-Robert à une nouvelle mission : la réunification des secteurs aériens et commerciaux. « C’est une fusion que j’appelais de mes vœux depuis longtemps » se félicite Jean-Robert. Mais c'est un cadeau empoisonné : en interne, personne n'en veut. « Gilbert Trigano était piégé par ses promesses » rigole J2R qui héritera finalement de la fonction… d'adjoint du boss. Ce dernier lui fait préparer un petit bureau à côté du sien. Jean-Robert refuse. « La seule façon de travailler avec Gilbert Trigano, c’était de partager le même bureau » dit-il. « A ma grande surprise, il accepte ma requête… Huit mois au centre du réacteur, au cœur de la décision, huit mois au bout de la table de Gilbert Trigano, huit mois à arriver avant lui, à partir après lui, huit mois à connaître tous les dossiers, je devenais insupportable pour la famille Trigano, pour son fils et pour sa fille. Et, en même temps, je lui devais tout… »
Il est exfiltré à la Valtour, le concurrent italien du Club, dont l’acquisition est étudiée avec la famille Agnelli devenue actionnaire du Club. Jean-Robert devra patienter pour visiter les bureaux. Il est accueilli, avec tambours, banderoles et trompettes, dans la rue où les salariés de la Valtour manifestent leur hostilité face à l’appétit des Français. Comme souvent, comme toujours, Reznik remporte l'adhésion de son auditoire. Après une nuit de fiesta et de Pastachutta sans fin, dans les bureaux, les employés de la Valtour reprennent le job dans le sillage de leur nouveau guide. Avec l'aide inestimable de Filippo Garifo, l’avocat de Cefalù, de Mario Salzano et Luigi Rumi, dirigeants de la société Insud, actionnaire de la Valtour, il accomplit des réformes indispensables.
En 1976, année électorale, Jean-Robert ose une pub iconoclaste. Il met en scène trois personnages grimés de toutes les colorations politiques : « I bianci, i rosso, i nero, avete pensato, ora pensi alla tua tintarella » (NDLR : Aux blancs, aux rouges, aux noirs, tu as déjà pensé, maintenant pense à ton bronzage). En jouant sur l'image des démocrates, des communistes et des fascistes, J2R n'était pas sans savoir qu’il marchait sur une ligne de crête. Son culot est récompensé. Il remporte son pari. Publiée sur tous les journaux avec le résultat des élections et sur le train arrière des bus des grandes villes italiennes, la pub fait un tabac. Le chiffre d'affaires de la Valtour passe d'un déficit de 10 milliards de lires à un excédent de 10 milliards de lires.
Place de la Bourse, au siège du Club, le fan club de Jean-Robert affiche complet ! Olivier Michel, patron du pôle financier et Jacques Girault, responsable commercial, deviennent des soutiens indéfectibles de l'homme qui monte. Et légitiment, si besoin était, la confiance que Gérard Blitz et Gilbert Trigano avaient placé, huit ans plutôt, dans le jeune Reznik. N’empêche, Gilbert Trigano siffle la fin de la récréation italienne. Il est temps pour J2R de rentrer à Paris. Le boss lui refile une patate chaude : la multipropriété. Il vient de racheter Maeva et Club Hôtels « sans audit » dixit Reznik. Ce dernier ne connaît rien à l'immobilier, ni à la multipropriété. Surtout, il n'y croit pas. Il s’engage dans cette mission avec humilité et curiosité. « C'est mon père qui m'a donné la soif d’apprendre et de maîtriser de nouvelles connaissances » confie Jean-Robert.
Il consulte beaucoup. Et s'entoure des meilleurs notamment Gérard Brémond, fondateur du Groupe Pierre&Vacances et Jean-Pierre Pelletier, juriste spécialisé dans l’immobilier. Il rencontre Henri Emmanuelli, ministre du budget, lors du second mandat de François Mitterand. L’enjeu, c’est la réforme de l’exonération fiscale des ventes immobilières. Emmanuelli est convaincu par les arguments de Reznik. Ça commence bien. Robert Lion, patron de la Caisse des dépôts et consignation, nouvel actionnaire du Club, veut miser sur les résidences hôtelières à la montagne. Ça sent bon pour J2R qui devient le chantre de la multipropriété. A Courchevel, Saint-Tropez, Saint-Raphaël, Cannes, les résidences touristiques poussent comme des champignons.
Son plus gros coup, c'est le célèbre Mont d'Arbois, à Megève. Edmond de Rotschild, actionnaire du Club, acceptent de transformer son hôtel mythique en club hôtels. La pub signée Reznik fait une nouvelle fois grand bruit. On y voit Edmond de Rothschild et son épouse Nadine poser avec une Rolls Royce devant le Mont d'Arbois. L'image est barrée du slogan : à vendre ! « L'effet était garanti » jubile Jean-Robert. « Mais l'immobilier, ce n’était pas notre métier. »
Il conseille à Gilbert Trigano de vendre les résidences hôtelières. Et lorgne sur le continent asiatique. « C’était l’Asie ou rien » coupe-t-il. Trigano ne voit pas d'un mauvais œil l’éloignement de Jean-Robert dont l'aura au sein du Club sonne comme une inévitable concurrence avec son fils Serge. En tout cas, les actionnaires Robert Lion (Caisse des dépôts et consignation), Jean Peyrelevade (Crédit Lyonnais) et Edmond de Rotschild (Groupe Rotschild) sont chauds bouillants pour développer le Club en Asie.
Avant de prospecter en Malaisie, en Indonésie, aux Maldives et en Thaïlande, Jean-Robert prend ses quartiers à Hong Kong où l’assistante chinoise d'Edmond de Rotschild, Julia Lee Lemée, lui ouvre son carnet d'adresses. Huguette Savoyet, Anne-Marie Speranza, Richard et Danielle Segalovitch lui offrent encore et toujours un appui considérable. « En 15 jours, je connaissais tout le monde » sourit Jean-Robert qui se lie d’amitié avec l’auditeur Peter Wong et l’avocat australien, David Baffsky. « Avec l'avocate Paulette Tsoï, une véritable sœur loyale et talentueuse, David a été mon plus fidèle soutien dans les bons et les mauvais moments » confie J2R.
En Malaisie, le premier ministre Mahathir Mohamad l’invite à son domicile. « Tous pensaient qu'il était antisémite et opposé au club » précise Jean-Robert. « Or, il nous a accueilli en chantant, avec sa fille, le fameux chant israélien, Ava Naguila. » Par-dessus tout, il lui permet d'exploiter la côte Est du Pays, qui fait saliver tous les décideurs du tourisme.
En Indonésie, le Président Soeharto modernise l'aéroport international Denpasar à Bali. Et rénove la route entre l'aéroport et le village du Club. Plus rien ne s'oppose à son ouverture qui sera un événement majuscule. « Cette décision a changé le développement touristique de l’île » confirme J2R « La clef du tourisme, ce ne sont pas les hôtels. C'est l’aérien ! »
En Thaïlande, Jean-Robert fait des miracles ! Il présente le projet du Club dans un temple, à Bangkok et séduit son auditoire. Le premier ministre, Prem Tinsulanonda, lui fait découvrir le Royaume en hélicoptère. Après une pause, qui permet une improbable visite nocturne du temple d'Angkor, le grand oiseau à hélices se pose à Pukhet. Le premier ministre propose un terrain de 30 hectares avec 3 kilomètres de côtes sur l'océan indien, le long de la mer d'Andaman.
Jean-Robert se pince pour y croire. Trigano père et fils prennent le premier vol pour la Thaïlande. Il fallait mettre 1 million de dollars sur la table pour finaliser l’accord et poser la première pierre. « Serge a freiné des deux pieds » se souvient Jean-Robert. « Heureusement pour le Club, Gilbert s’est penché sur mon épaule et m'a murmuré : ‘Vas-y, fonce'… »
Jean-Robert commence par construire une école avant le lancement du chantier. Il finit par emballer tout le monde dans sa poche. L’inauguration du Village de Pukhet, en présence de Nadine de Rotschild et Robert Lion, est aussi magique que les retombées commerciales. Les six clubs asiatiques rapportent, en 1989, la bagatelle de 32 millions de dollars de profit. « Il serait injuste de ne pas louer le travail essentiel de Vincent Grémond qui était le patron du secteur financier en Asie » précise J2R. « Je l'ai formé sur le terrain aux Maldives. En retour, il m'a appris beaucoup de choses dans la négociation financière. »
Jean-Robert Reznik est, une nouvelle fois, de retour à Paris. Ainsi en a décidé Gilbert Trigano qui digère assez difficilement la comparaison entre les 16 millions de dollars perdus par son fils aux Etats-Unis et les résultats asiatiques. « Gilbert m'a proposé de devenir DG de la Zone Europe » précise Jean-Robert. « Pour afficher son soutien, il m’a encore fait préparer son bureau du 6e étage. »
C’est le moment que choisit Edmond de Rotschild pour proposer la création d'un conseil de surveillance avec son directoire. Son idée est de siéger au conseil avec Gilbert Trigano et Robert Lion. Et de placer Jean-Robert à une parfaite égalité avec Serge Trigano dans le directoire. La coupe est pleine pour Gilbert. C'est la fin des haricots pour Reznik dont la nomination à la tête du pôle américain est retoquée. « Si tu réussis… » lui lance Gilbert.
La balle est désormais entre les avocats qui s’étripent sur la devise pour calculer la prime de départ. Côté Reznik, on parle en dollars, à une hauteur qui respecte son poids dans l’histoire passée du Club et dans le chiffre d’affaires présent. Après une diffamation dans la presse - que Gilbert Trigano reconnaîtra de manière manuscrite à la fin du protocole de rupture -, J2R obtient gain de cause. « Loyauté n'est pas génuflexion » écrira Philippe Lacourt, le journaliste du Figaro. « C'est Philippe Labro dont la gentillesse est aussi infinie que le talent qui avait organisé l'interview » se souvient Jean-Robert.
Il retrouve sa liberté après 21 ans d’un mariage passionnel. Il quitte le Club Méditerranée sans se retourner. Dans la transaction, il reprend même le vllage de Molliets dans les Landes négocié, à l’époque, avec Henri Emmanuelli.
Le lendemain, Reznik commence sa nouvelle vie dans des bureaux, Avenue Foch où son assistante Paulette Tsoï lui témoigne une nouvelle fois son attachement sincère. « Elle possède vraiment l’intelligence du cœur » dit J2R. Avec David Baffsky et Iroko Kikutchi, il crée la société Klingford consultant. Son ami Dominique Strauss-Kahn est un visiteur régulier. Le téléphone sonne déjà. Gérard Brémond, le brillant Patron de Pierre&Vacances, lui demande de devenir son conseiller personnel. Six mois plus tard, il lui proposera d'entrer au capital du groupe en échange des opérations développées dans les Landes. « Les aides de l'ancienne ministre Michèle Alliot-Marie, de son père Bernard Marie et de son compagnon Patrick Ollier ont été très appréciables » avoue J2R.
Il y a une vie sans le Club Méditerranée… Jacques Attali, conseiller spécial de François Mitterand, lui conseille de rejoindre son frère Bernard chez Air France. Reznik hésite. Mitterand le convoque à l'Elysée. « Votre père à été un grand serviteur de l'Etat » lui lance l'illustre Président avant d'ajouter : « Je ne doute pas que vous allez servir Air France. »
Jean-Robert travaillera quatre ans, chez Air France, où il dirigera le pôle touristique aves des collaborateurs de valeur comme Michèle Martinage, Isabelle Reich ou Gilles Berl, « le meilleur d'entre tous » dixit J2R. Aux côtés de Bernard Attali et Jean-Cyril Spinetta, il est l'homme de la fusion de toutes les activités touristiques d’air France, Air Inter, Jet Tours et UTA. Forcément, il commercialise les hôtels du Groupe Accor et croise régulièrement, au dessus des nuages, Paul Dubrule et Gérard Pélisson, les deux fondateurs du groupe hôtelier hexagonal. Quand les deux patrons l’invitent, en 1994, pour un rendez-vous, Tour Montparnasse, au siège d'Accor, il navigue en terre connue. Il n'a pas échappé aux deux capitaines d’industrie que Christian Blanc a succédé à Bernard Attali à la tête d’air France. Et que Jean-Robert Reznik pourrait être une sacrée prise de guerre.
J2R n'est pas insensible à cette danse du ventre. Mais il est témoin de la complicité prégnante entre Dubrule et Pelisson. « J'ai déjà affronté le lien père et fils au Club Méditerranée » explique-t-il. « Du coup, je ne voulais pas prendre le risque de revivre le scénario du troisième homme chez Accor. » N’empêche, il a son plan en tête. « Accor ne possédait qu'un seul hôtel en Asie, un Novotel à Singapour » résume Reznik. « J'ai donc demandé à Dubrule et Pélisson la responsabilité du développement du Groupe en Asie avec des objectifs chiffrés d'ouvertures d’hôtels à réaliser par pays. »
Il restera 15 ans chez Accor et marquera d'une empreinte indélébile la trajectoire du groupe. En Asie, il est en terrain conquis. Avec son fidèle ami David Baffsky, futur Président d'Accor Asie Pacifique, il renverse des montagnes. Sous l’impulsion du nouveau directeur du pôle tourisme d'Accor, le Groupe passe, en quatre ans, de 1 à 200 hôtels sur le continent asiatique. Les chiffres ne disent pas tout. Mais ils suggèrent beaucoup. Du Club Méditerranée au Groupe Accor, Jean-Robert Reznik rencontre semblable succès. C'est un monstre sacré du tourisme international.
Ce qu'il a réalisé sur le continent asiatique, il le réalisera sur le continent africain, au Maroc et en Egypte où Marie-Claire Bizot Grégory est irremplaçable. En Jordanie, au Moyen-Orient, avec le regretté Ali Ghandour, il sortira de terre un lieu incroyable : le Taybet Zaman Hôtel Petra, élu resort le plus intégré de la planète à la nature et à l’environnement.
En Égypte, J2R à aussi marqué l’histoire du tourisme local. « Avec l’appui indéfectible des Présidents Anouar El Sadate et Hosni Moubarak, j’ai pu œuvrer sur une cinquantaine d’ouvertures d’hôtels aux côtés de la famille Maghrebi. Je me félicite aussi de ma rencontre et de ma collaboration avec le fondateur des Émirats Arabes-Unis, le Cheikh Zayed, pour le développement de l’enseigne Palmariva au Caire, à Luxor et à Charm-El-Cheikh. »
J2R est au siège d'Accor, à Hong Kong quand il reçoit un appel d'André Azoulay, conseiller de Feu Sa Majesté Hassan II. Le souverain attend Reznik le lendemain, au Palais Royal de Bouznika. Un jet privé du Royaume patientera à l’aéroport du Bourget, à Paris, pour conduire celui que Sa Majesté surnommera l'impudent.
Jean-Robert s’exécute. On ne refusait rien à Hassan II. Leur première joute verbale, à Bouznika, au bord de l’Océan, justifie d'avoir traversé la planète !
« Qu'est ce qu'on peut faire pour le tourisme ? » lance le souverain.
« Mais vous n'aimez pas le tourisme. Vous êtes Pompidolien. Vous aimez l’agriculture, l'industrie. Vous avez raison… » répond Reznik.
« Et la Mamounia, ce n’est pas du tourisme ? »
« La Mamounia, c’est du luxe. Il faut des hôtels 2 étoiles, 3 étoiles. Si la population locale n’accède pas au tourisme, elle finira par jeter des pierres aux clients du tourisme. »
« Tu ne vas pas me faire les cages à lapins que tu as faites chez Bourguiba ? »
« Je n'ai pas fait de cages à lapins en Tunisie. »
« Bon, écris moi deux pages. »
Jean-Robert Reznik n’écrira pas seulement deux pages. Il écrira une des plus belles histoires du tourisme marocain. Il organise la visite de Gérard Pélisson, au Maroc. Entre un parcours de golf sur le joyau de Dar Es-Salam, à Rabat et une visite en hélicoptère des trésors touristiques du Royaume, le fondateur d'Accor est conquis.
Il rencontre Feu le Roi Hassan II qui s’inquiète : « Monsieur Pélisson, pourquoi le tourisme ne marche pas au Maroc ? »
« C'est ce que j'allais vous demander Majesté. »
« Le petit va vous expliquer »
Ainsi commence une des plus importantes réunions qui scellera l'avenir du tourisme marocain. En présence d'André Azoulay, de Mohamed Kabbaj, Ministre des Finances, d’Hassan Bernoussi, brillant financier, Reznik et Pélisson jettent les bases de l'implantation du Groupe Accor, au Maroc. « Il ne restait qu'à obtenir le feu vert de Dubrule » confie Reznik. « Dubrule viendra à son tour au Maroc et validera le projet. Dans leur duo, Pélisson avait la force de travail et l’intelligence pratique ; Dubrule avait le talent de dénicher les marques et de les décliner. »
C'est Jean-Robert que se colle au modèle financier. A l'instar du modèle asiatique, il monte un fonds d’investissement au capital de 100 millions de dollars. Convaincu par André Azoulay, Othman Benjelloun, propriétaire de la banque BMCE et Abed Yacoubi Soussane, fondateur de la MAMDA montrent l’exemple et signe le premier chèque de 10 millions de dollars. Gérard Pélisson lui emboitent le pas. Risma-Accor est né. « Nous avons commencé par transformer les hôtels Moussafir en hôtel Ibis » dit Jean-Robert. « Je regrette néanmoins notre entêtement à ne pas conserver le nom Moussafir… ».
Les marques Novotel, Mercure, Pullman et Sofitel compléteront l'offre du Groupe. A l'époque, Jean-Robert est aussi aux commandes de Carlson Wagonlit Travel, leader du tourisme d'affaires et de l'alliance T des agences de voyages européennes. Avec le regretté Philippe Demonchy, patron de Selectour et grand ami du Maroc, Jean-Robert organise un mouvement de marketing support pour résister aux baisses de commissions des compagnies aériennes. «Les réseaux de Carlson Wagonlit et de l’Alliance T étaient indispensables pour remplir nos hôtels » avoue Reznik.
Sous la bannière du Groupe Accor, il développe 50 hôtels au Royaume. Il collabore en parfaite harmonie avec l'ancien ministre du tourisme Adil Douiri, dont le talent est encore loué aujourd’hui. Pour la communication, il mise sur la vision et l'empathie de Mounira Benarif. A l’évidence, il déniche des grands talents. Promeut des jeunes. « La plus grande fierté de ma carrière » dit-il. Impossible de les citer tous tant la liste est longue et la mémoire parfois sélective. Hamid Bentahar, que Jean-Robert a rencontré à l’hôtel Palmariva, à Marrakech, s'impose comme une évidence. Directeur Accor Maroc et vice président exécutif AccorHotels, il est un des hommes de Reznik. « Hamid, c’est un de mes fils » confie Jean-Robert. «Il a remarquablement compris le lien entre la communication et la commercialisation. S'il n'avait pas de talent, il ne serait pas là où il est aujourd’hui. J’avais demandé au DG du Palmariva la mutation de Bentahar à l'animation. Comme il ne réagissait pas, je l'ai pris sous mon aile. Je l'ai nommé responsable des animations des Resorts et de la formation… »
On connaît la suite. La carrière de Khalid Anib est tout aussi exceptionnelle. « Quand j’ai rencontré Khalid, il travaillait à l'animation du Palais des Congrès à Marrakech » précise Jean-Robert. « Il avait des qualités hors normes. Il comprenait vite. En fait, il devançait mes attentes. Et il avait une relation humaine très forte avec les clients. C’était peut-être le meilleur… » Après une carrière remarquable au sein de Groupe Accor, il est aujourd’hui président de Abu Dhabi National Hôtels. « Il gère plus de 30 hôtels ! » se félicite Jean-Robert qui n'oublie pas de louer les qualités de Daniel Karbownik, DG Accor Afrique de l’ouest et Afrique Centrale, « le plus fort pour réussir le mariage de directeur, d’animateur… et de chanteur », Ahmed Benkirane, DG du Sofitel Marrakech, « un très grand professionnel qui pourrait diriger n'importe quel hôtel dans le monde », Jalil Chebihi, DG du Pullman Mazagan, « un homme qui a autant de qualités professionnelles qu'humaines », Hassan Bargach, DG du Sofitel Rabat, « une énorme connaissance du métier », Hakim Maamar, « un grand patron des Ibis et Novotel du Maroc qui gère les points de vente les plus rentables », Jérôme Lobier, DG du Sofitel Casablanca et Amin Trabelsi, DG du Novotel Marrakech. « Jérôme et Amin, voilà la belle relève du Groupe Accor » précise J2R. « Je leur prête un très grand avenir ». Il n’oublie pas de citer Nadia Sourta, - « un maillon fort dans le développement d’Essaouira, talentueuse et fidèle » - et Rachid Bennouna, ancien directeur financier de Risma, aujourd’hui directeur général du Groupe Atlas Hospitality.
A l'heure de se tourner sur le passé, Jean-Robert concède quelques regrets dans la croissance du Groupe Accor au Maroc. « Tout n'a pas été parfait » avoue-t-il. « Nous avons peut-être trop misé sur le développement des cités impériales, pas assez des zones littorales alors que le Maroc possède une chance unique d’être entourée par la Méditerranée et l’Océan Atlantique. Nous avons peut-être aussi raté un peu le timing. Nous aurions dû séquencer davantage les ouvertures dans le temps et veiller à diversifier les produits. Nous ne sommes pas allés au bout de notre projet de Marina, à Larache. Et bien sûr, nous avons raté la bonne vague, à Dakhla…»
Éternel insatisfait, à l’image de ceux pour qui l'excellence n'est pas une option, Jean-Robert ne lâche jamais. Il ne désespère pas que le Groupe Accor largue les amarres à Dakhla et rattrape le temps perdu. « De toutes façons, Sébastien Bazin, le PDG d'Accor, n'a pas besoin de mes conseils » dit Reznik. « Il est suffisamment intelligent et visionnaire. Il fera peut-être de la politique, un jour… Il a particulièrement bien géré la Covid. C’est un homme de culture sensible aux pays émergents. Forcément, l’opportunité de Dakhla sera tôt ou tard sur sa table. Néanmoins, on peut se consoler avec le Sofitel Mogador Golf & Spa. Portés par les autorités, l’aéroport d'Essaouira et la qualité des infrastructures routières ont contribué au développement d’Essaouira qui est une des perles du Royaume en attendant le futur de Dakhla. »
Reznik, lui, a déjà pris sa décision. Flanqué d’investisseurs canadiens, il travaille sur l’ouverture d'une structure hôtelière, au centre-ville et sur le lac intérieur. « Dakhla a la chance d'avoir un Walli à l’extrême compétence, Lamine Benomar » confie JRR. « Il est fabuleux. Avec cette personnalité, on peut envisager un programme de développement à la hauteur de la destination. »
Jean-Robert n'a jamais mis le pied sur le frein. Il a accompagné l'OCP dans l’étude de rachat de la Mamounia. Et a soufflé quelques conseils à l'oreille de Mostafa Terrab, le talentueux PDG du Groupe OCP. « J’espère qu’il reprendra quelques-unes des idées que j'ai pu lui transmettre… » dit Reznik. Il ne désespère pas aussi de convaincre André Bos, - « une de mes plus belles rencontres au Maroc » - le propriétaire de Oasiria à Marrakech, de copier et coller son projet à El Jadida, à proximité de Mazagan et à Dakhla. »
Jean-Robert n'a pas peur de vieillir. Il marche 8 kilomètres par jour. Il a toujours une longueur et un projet d'avance. Il est fidèle à ses amis et à ses idées. Il voudrait être plus proche de ses fils Ronald, Gregory et Vadim. « En tout cas, plus proche que j'ai pu l’être dans le passé » précise J2R.
Ronald, l’aîné, s'est expatrié aux États-Unis, à Los Angeles. « C’est un banquier devenu acteur et chanteur » dit J2R. « Son talent est indécent. » Gregory vit entre New York et Paris où il seconde Jean Madar aux commandes d'Interparfums. « C'est un brillant négociateur mais aussi un artiste » précise J2R.
Scolarisé au sein de la célèbre école hôtelière suisse Les Roches, Vadim, 20 ans, mâture et humain, marchera peut-être dans les pas de son père surnommé Monsieur Tourisme. « Surtout, je souhaite qu'ils se consacrent, tous les trois, en priorité à leur bonheur dans le respect de la différence des niveaux sociaux et des origines. »
J2R a la recette du bonheur. « Dans la vie, il faut un tiers de rêve, un tiers de matérialisme et un tiers d’humour pour ne surtout pas prendre trop au sérieux les deux premiers tiers… »