Issam Rachi, le régional de l’épate.
Octobre. 2014 \\ Par Jérôme Lamy

Chef du Fouquet’s Marrakech, l’adresse culinaire mythique du Naoura Barrière, Issam Rachi (32 ans) est un surdoué. Cuisinier montant du groupe français, Issam Rachi marche sur les traces des stars de la cuisine marocaine, Moha Fedal et Meryem Cherkaoui. En tout cas, la seconde édition du Marrakchef, organisée au Naoura Barrière et remportée par Richard Toix, offrait une occasion unique de plonger dans la carrière de ce marrakchi, originaire du quartier Mouassine, à deux pas du Naoura Barrière...

La pastilla destructurée fait beaucoup sourire sa tante, Touria. Ancienne responsable des fourneaux du restaurant Dar Yacout, elle connait le poids de la tradition culinaire marocaine. Elle sait que sa cuisine avait séduit Sa Majesté le Roi Mohamed VI qui fréquentait le célèbre restaurant de Bab Doukkala alors qu’il était jeune prince héritier. Elle n’ignore pas davantage que son neveu, Issam Rachi, celui qui joue avec la pastilla, chef de cuisine du Fouquet’s, le phare gastronomique de l’hôtel Naoura Barrière, est un surdoué.
Et un jeune (32 ans) premier, respectueux de l’exemple et du travail de cet ainée adorée. «C’est ma tante qui m’a donné la passion du métier» avoue Issam. « C’est elle qui m’a fait découvrir que les épices étaient des notes de musique dont la juxtaposition était une invitation au voyage.» Celui d’Issam Rachi fut un saut de puce autant qu’un saut dans le vide. Originaire du quartier Mouassine de la médina de Marrakech où sa grand-mère tenait un riad - le Riad Dar Mimouna - Issam a seulement franchi la porte Bab Laksour pour prendre les commandes des cuisines du Naoura Barrière, édifié à l’endroit même où il jouait au football quand il était gamin. «Il y avait juste un terrain vague et un gardien» se souvient-il. «C’était généralement un terrain de football mais aussi parfois un parking de voitures.»
En tout cas, c’est là, à deux pas de la magique Place Jamaâ El Fna que le Groupe Lucien Barrière a décidé de compléter son offre de resort de luxe. C’est là qu’Issam Rachi exprime son talent naissant et fait la fierté de ses parents, Zineb et Abdelaziz, qui travaillent dans l’administration. Après le bac, il s’est dirigé vers la biologie et la géologie, à la faculté des sciences de Marrakech. «Cette parenthèse  universitaire m’a beaucoup inspiré, notamment pour la cuisine moléculaire» précise Issam Rachi qui a intégré ensuite la première promotion de l’Institut Supérieur de l’Industrie Hôtelière et de la Restauration (ISIHR).
Élève brillant, il gagne un diplôme et un stage, en 2001, à Lyon, chez Philippe Labbé, aujourd’hui chef Exécutif de l’Abeille, le restaurant de l’hôtel Shangri-La, à Paris et consacré Cuisinier de l'année 2013 par Gault et Millau. Cette rencontre change la vie d’Issam Rachi. «Quinze jours de stage au contact de Philippe Labbé m’ont fait plus progresser que trois ans de travail aux côtés d’un autre chef» confie Issam. «J’ai eu la chance d’apprendre toutes les bases de la vraie cuisine française.»
De retour, au Maroc, il fait ses armes. Et enchaîne les belles expériences. Au Palmeraie Golf Palace d’abord, comme commis de cuisine (2003). Il rencontre le chef Rachid Maftouh et le directeur Abdou Belkbir qu’il suit à Agadir pour l’ouverture du Palais des Roses (2004) où il est responsable de la cuisine... italienne. Mais une promotion l’attend au?Méridien Marrakech, où il devient chef saucier (2005) sous les ordres de Benoît Pépin, le chef exécutif des frères Pourcel. Quand ces derniers demandent à Benoît Pépin de travailler pour l’ouverture de la Plage Rouge, le Méridien fait appel à Rachid Maftouh, le parrain d’Issam, au PGP.  Il n’y pas de hasard. Débauché par le Naoura Barrière pour l’inauguration du Fouquet’s, Rachid Maftouh amène naturellement dans ses recettes le jeune Issam, à qui il confiera le rôle de chef de parti, spécialiste des viandes, puis celui de sous-chef. Maftouh, parti exercer sous d’autres cieux, au?Mazagan Beach Resort, le numéro deux est devenu numéro un, en 2012. «L’amour du métier et la confiance de l’établissement m’ont permis de relever ce défi géant» confie Issam. «J’ai conscience de la grande responsabilité qui pèse sur mes épaules. Le Fouquet’s est une des Brasseries les plus connues de France, sur la plus belle avenue du monde, les Champs-Elysées.»
Pour que le costume ne soit pas trop grand pour lui, Issam a voyagé pour une formation accélérée made in Barrière. Et ce n’est pas à Paris qu’il a peaufiné son savoir, mais à Cannes, au Majestic. «L’idée, c’était qu’Issam baigne dans une grosse machine comme le Majestic» explique Arnaud Bamwens, le directeur général du Naoura Barrière. «A Cannes, Issam a beaucoup appris notamment dans le domaine de la gestion des stocks.» Déjà, entre 2009 et 2011, il avait forcé l’admiration lors des semaines gastronomiques, au Royal Barrière, à Deauville. Issam a aussi étonné l’assistance au Royal Thalasso, à La Baule, lors d’un diner de gala où il a prouvé qu’il était possible de sortir des fourneaux une cuisine marocaine... diététique.

 

Issam Rachi ne rêve pas d’étoiles.
Il s’imagine en ambassadeur mondial
de la cuisine marocaine.

 

Issam Rachi fera son retour dans le Palace cannois, en juillet, comme chef d’orchestre, pour une semaine consacrée à la gastronomie Marocaine. «Cela offrira au Naoura Barrière une belle visibilité en haute saison estivale française» précise Arnaud Bamwens, qui a toujours cru au destin de son protégé. Surtout après un diner de gala, organisé au?Fouquet’s, où sa verrine de bouillon de couscous citronné en gelée accompagnée d’un médaillon de homard snacké à l’huile d’olive avec petits légumes, fenouil, carottes et herbes de la médina, avait emporté les faveurs du grand chef belge d’origine coréenne, Sang-Hoon Degeimbre, deux étoiles Michelin au restaurant L'Air du Temps. «Dans une si petite portion, on retrouvait toutes les saveurs du couscous» dit Arnaud Bamwens. «Issam aime se remettre en cause et se confronter au jugement des grands chefs européens, lors des diners de gala. C’est une de ses plus grandes qualités.»
Récompensé en 2012 et 2013, lors du Salon CREMAI, à Casablanca, Issam Rachi ne manque pas d’ambition, pour sa carrière et pour la cuisine marocaine. Normal, les deux sont liées. «Avant de prétendre revisiter la cuisine marocaine, il faut être certain de l’avoir déjà bien visitée» lance-t-il. «Il faut respecter les produits, ne pas trop les masquer. Il faut réaliser l’alchimie entre la tradition marocaine et les bases de la gastronomie française.»
Chez Lucien Barrière, il ne faut pas heurter le palais des clients. «On ne peut pas se permettre de choquer» confirme Arnaud Bamwens. «C’est pourquoi, on demande à Issam de ne pas faire trop de mélange. Ainsi, on n’est pas très adepte du sucré-salé.» En revanche, le Parmentier de Tangia, dans sa splendeur originale, ou la pastilla déstructurée sans feuilles de brique avec les ingrédients entiers, font l’unanimité. Idem pour son poulet fermier à l’huile d’argan cuit à basse température mettant en exergue un blanc croustillant avec ses  noisettes et une cuisse  moelleuse avec sa sauce tagine à l’huile d’argan. «Mes études en biochimie m’ont toujours motivé à chercher la cuisson parfaite afin de respecter la saveur» exprime Issam dont le modèle est le chef étoilé du Royal Mansour, Yannick Alléno. «Son assiette est aussi simple que riche en idées» résume Issam.
Le jeune chef croit en l’avenir des grandes tables, au Royaume. «Pour l’instant, il n’y a pas de place pour un restaurant gastronomique, au Maroc. La cuisine marocaine est là où en était la cuisine française en 1970 avant qu’elle ne fasse sa révolution. Là, on travaille pour 2020. Le problème des chefs marocains, ce n’est pas leur talent, l’hygiène ou les portions mais la régularité de la qualité des produits. C’est frustrant car les clients sont là. Les Marocains commencent à avoir une grande culture gastronomique. A l’ouverture du Fouquet’s, 80% de notre clientèle était française. Aujourd’hui, ça s’équilibre avec la clientèle de Casablanca et Rabat.»
Vice-Président, à Marrakech, de la Fédération des arts culinaires au Maroc, Issam Rachi ne rêve pas d’étoiles ou de reconnaissance personnelle. Il s’imagine dans quelques années «en Ambassadeur de la cuisine marocaine.» Il s’imagine parcourir le monde avec ses épices récoltées par les femmes de la médina de Marrakech, son huile d’argan d’Essaouira et sa piscine de safran. «Il faut montrer, il faut partager, il faut transmettre» confie Issam. «Au Maroc, ça ne marche pas comme ça. C’est sans doute ce qui manque le plus à notre cuisine...»