Hervé Renard: « Si on n’était pas allé au Mondial, j’aurais démissionné...»
Clin d’œil.- Vous êtes devenu l’idole de tout le peuple marocain . On vous souhaite bon courage pour sortir dans les rues...
Hervé Renard.- Les Marocains sont des gens passionnés, dans l’excès. Et c’est une grande qualité. Je vais peut-être vous étonner mais j’ai ressenti une vraie ferveur et une grande attente du public marocain à mon égard dès mes premiers pas, au Royaume. J’ai toujours eu du mal à vivre librement. Après cette qualification historique, j’imagine que cela va être encore plus compliqué (rires). Je vous rassure, je préfère vivre cette situation que recevoir des cailloux, chaque jour.
Participer à la Coupe du Monde, c’est une sorte de consécration personnelle...
C’est le challenge de toute ma vie, une vie remplie de football. C’est un rêve de gosse. En 1978, j’avais dix ans lors de la coupe du Monde, en Argentine. Ma mère m’avait donné des autorisations exceptionnelles pour veiller le soir et regarder les matches. Je me souviens de Bernard Lacombe qui marque au bout de 32 secondes lors de France-Italie. Je peux citer tous les joueurs de l’équipe de France. Dans ma jeunesse, il y avait la grande équipe des Verts de Saint-Etienne et les Coupes du Monde. Quand on devient entraîneur, on rêve d’y participer au moins une fois dans sa vie. Vivre cette consécration, ici au Maroc, après vingt ans d’attente, avec la ferveur de tout un peuple, c’est exceptionnel... Je tiens à remercier Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui nous a mis dans les meilleures conditions possibles et le président de la Fédération Royale Marocaine de Football, Monsieur Fouzi Lekjaa, qui nous a donné tous les moyens pour réussir. J’ai aussi une grande pensée affectueuse pour les glorieux anciens joueurs comme Nasser Larguet, Mustapha Hadji, Mustapha el Haddaoui, Noureddine Naybet ou Aziz Bouderbala. Ils ont été de grands ambassadeurs du Maroc à travers le monde. Je les connais tous depuis longtemps. Et ils m’ont toujours soutenu.
Vous avez toujours travaillé en étroite liaison et en totale confiance avec Nasser Larguet et la DTN...
Effectivement, c’est capital. J’ai connu Nasser Larguet, notre DTN, à Cannes. C’est un homme indispensable. Il fait un travail éblouissant. Jean-Pierre Morlans, son adjoint, laissera également une trace très importante dans la progression du football marocain .
Le public marocain a été formidable en Côte d’Ivoire lors de votre qualification au Mondial...
Émotionnellement, c’était fort. Je remercie le public marocain qui s’est déplacé en nombre pour nous soutenir et la Royal Air Maroc qui a su se mobiliser en créant un pont aérien sans précédent entre le Maroc et la Côte d’Ivoire avec pas moins de dix-neuf avions affrétés !
Dans le journal L’Equipe, vous aviez comparé le «big match» en Côte d’Ivoire à une finale de la CAN...
C’était un match incroyable, un match dont on rêve d’en vivre au moins une fois dans sa carrière. Après une finale de CAN, gagnée ou perdue, tout s’arrête. Alors que là, ça continue. Ce n’est pas la dernière marche. C’est la première marche d’une aventure unique. Cette Coupe du Monde en Russie, je vais en rêver jusqu’au mois de juin.
Avez-vous douté?
Si je vous disais que je n’ai pas douté, je vous mentirais. Pour être sincère, durant toute la phase qualificative, il y a toujours eu une lumière, en moi, qui m’a fait croire à la qualification. Mais je n’aurais pas forcément cru qu’on pouvait atteindre cette force collective, cet aboutissement technique. Le destin bascule sur très peu de chose. Et ce n’est pas parce que nous n’aurions pas atteint l’objectif qu’il aurait tout fallu jeter avec l’eau du bain. Ce ne sont pas seulement les victoires ou les défaites, les qualifications ou les éliminations qui sanctionnent un bilan, c’est le travail en profondeur, c’est la progression sur le long terme. C’est peut-être plus facile de dire ça aujourd’hui. Mais, au moins, je ne prêche pas pour ma paroisse.
Qu’auriez-vous fait en cas d’élimination du Maroc?
Je vais vous faire une confidence. Si nous n’avions pas obtenu notre billet pour la Coupe du Monde, j’aurais sans doute démissionné. Cela aurait été très difficile de continuer. Je suis un gagnant, je suis un homme de défi. Si je ne l’avais pas relevé, j’aurais eu du mal à continuer. Et ce d’autant que plusieurs joueurs auraient sans doute mis un terme à leur carrière internationale. Si le Maroc avait été éliminé, cela aurait été un échec personnel.
Quel a été votre message lors de votre arrivée, en février 2016 ?
Lors de ma première prise de parole, j’ai exprimé aux joueurs qu’ils avaient du talent. Et que s’ils n’obtenaient pas de résultats depuis de nombreuses années, ce n’était pas seulement la faute des sélectionneurs, c’était aussi leur responsabilité. Je leur ai dit que j’allais trouver la solution et que je ne laisserais rien passer.
Désormais, vous allez devenir plus populaire en Afrique que Claude Leroy, votre père spirituel, surnommé le sorcier blanc…
Cela n’arrivera pas. Claude Leroy, c’est la référence en Afrique depuis plus de trente ans. C’est une statue indéboulonnable. C’est mon mentor. Je luis dois tout. En fait, il n’y a pas de mots assez forts pour décrire le respect, la reconnaissance et l’estime que j’ai pour Claude. Quand on me parle de Claude Leroy, à la télé, c’est simple, je pleure. Là, en presse écrite, c’est plus simple. (NDLR : il ravale son émotion). Il est venu me chercher en CFA, à Draguignan en CFA 2. Il s’est renseigné sur moi. Je n’étais rien, personne. Il m’a emmené avec lui à Shangaï, en 2001. Là-bas, en Chine, il m’a très souvent parlé de l’Afrique, de ses souvenirs merveilleux, des gens fabuleux qui vivent sur ce Continent unique. Dans un coin de ma tête, j’avais l’espoir un peu fou d’y aller un jour. J’étais à dix mille lieues de penser que j’y passerais autant de temps… En 2007, il m’a encore pris avec lui comme adjoint de la sélection du Ghana. C’est encore Claude qui m’a recommandé auprès de la fédération Zambienne…
Après avoir remporté une première CAN avec la Zambie en 2012, puis une seconde avec la Côte d’Ivoire en 2015, vous avez réussi à qualifier le Maroc pour la Coupe du monde 2018, vingt ans après sa dernière qualification. Quel est le secret de votre réussite sur le continent africain?
Il faut savoir s’adapter au pays dans lequel on travaille, respecter les gens, leurs cultures et leurs traditions. Claude Leroy m’a appris la tolérance aussi. Il m’a toujours dit qu’une fois en Afrique, il ne faut surtout pas faire de comparaison avec l’Europe. Car les choses ne sont pas mieux ou moins bien: elles sont différentes. Je connais, par exemple, des entraîneurs qui ont interdit la musique aux joueurs africains avant les matches ou pendant les entraînements. C’est une erreur, la musique fait partie de la vie des Africains. Ensuite, il ne faut pas déroger de sa ligne de conduite et faire en sorte que ce soit la même pour tout le monde afin d’être le plus loyal possible. C’est ce que j’essaye de faire depuis bientôt dix ans que je suis en Afrique.
Depuis la qualification des Lions, vous êtes incontournable dans les médias. ça change avec la discrétion du début de votre mandat...
Contrairement à ce que certains on bien voulu dire, je n’ai pas eu la volonté de ne plus communiquer avec les médias marocains. En fait, je n’ai jamais eu de réels problèmes avec la presse locale. Je suis simplement resté éloigné pour me protéger d’autant que le football est un sujet passionnel au Maroc. La communication est un domaine que je ne maitrise pas parfaitement. Plutôt que de faire des erreurs, je préfère faire le minimum. Et ce ne serait pas possible de contenter tout le monde et de répondre à toutes les sollicitations. Et puis, j’intériorise beaucoup mes émotions. Je suis très sensible. Je le suis, d’ailleurs, certainement plus que d’autres. Il y a des choses qui me touchent plus que d’autres. Quand j’ai fait le déplacement à Abidjan, en juin dernier, pour assister aux funérailles du milieu de terrain ivoirien, Cheick Tioté, je ne pourrai jamais comprendre que certains journalistes aient laissé entendre que je me rendais en Côte d’Ivoire pour chercher du travail. En plus, Marc Wilmots venait d’être nommé à la tête des Éléphants... Ce ne sont pas des journalistes. Je trouve ça pathétique.
Vous n’avez pas non plus apprécié que les médias étalent la rumeur de vos contacts avec l’AS Saint-Etienne, l’été dernier...
Là, ce n’est pas la presse marocaine qui est visée. Ce sont les médias français qui ont sorti l’info. Saint-Etienne s’est en effet intéressée à moi pour la succession de Christophe Galtier, cet été.
Saint-Etienne, le club de votre enfance, c’était tentant...
Déjà, je n’étais pas la priorité de l’ASSE. Et même si je l’avais été, je serais resté au Maroc. Il n’y a jamais eu l’ombre d’un doute chez moi. Quand je commence une mission, je vais jusqu’au bout. Je ne lâche pas au milieu du gué.
Durant la CAN au Gabon, en début d’année, l’absence d’Hakim Ziyech a fait couler beaucoup d’encre. Comment s’est déroulée cette réconciliation entre vous deux ?
Avec Hakim, c’était un problème d’hommes. Celui qui m’a aidé à résoudre ce problème, c’est le président Lekjaa, qui a servi de médiateur et qui a fait un travail remarquable en organisant une rencontre. À partir du moment où nous nous sommes parlés, tout a été oublié pour moi. Il faut aussi préciser que notre rendez-vous a eu lieu quinze jours après les obsèques de Cheick Tioté. J’ai donc relativisé les motifs de conflit...
Pourtant, Hakim Ziyech était titulaire à votre arrivée à la tête des Lions...
Quand j’ai pris les commandes de la sélection nationale, je l’ai fait jouer. Mais je trouvais qu’il n’avait pas assez d’impact physique. Comme c’est un grand joueur, il a un égo important. C’est normal. Il a logiquement été très déçu de ne pas participer à la CAN. Je reconnais avoir fait moins d’efforts pour aller vers lui. En retour, il en faisait aussi de moins en moins. Le point de non retour a été atteint. Et nos mots ont malheureusement dépassé notre pensée.
Vous n’êtes pas rancunier...
Non seulement, je ne suis pas quelqu’un de rancunier, je sais même reconnaître mes erreurs. Et j’en commets, comme tout le monde. La plus grande force d’un homme, c’est de savoir quand il fait bien et quand il fait mal.
Avec Hakim Ziyech, vous avez mal fait?
Non, je ne pense pas ça. Et je ne dis pas ça car l’histoire s’est bien terminée. J’ai envoyé un message aux autres joueurs en rappelant que personne n’était plus important que l’équipe, que le collectif, surtout quand on porte les couleurs de son pays. C’est vrai en club mais c’est encore plus vrai en sélection. Toux ceux qui pensent être supérieurs à l’équipe, tous ceux qui pensent être indispensables n’ont pas leur place avec nous. Je tiens à préciser que cela n’a jamais été le cas d’Hakim même quand il n’était pas sélectionné.
La plus grande force de votre sélection, c’est son état d’esprit...
C’est la plus grosse qualité de ce groupe, effectivement. Il y a un état d’esprit exceptionnel avec des jeunes, des très jeunes et des joueurs d’expérience. Finalement, peu importe d’où vous venez, où vous avez été formé, où vous jouez, ce n’est pas le plus important à partir du moment où vous rentrez dans un cadre.
Le symbole de cet état d’esprit, c’est la joie de Sofiane Boufal et Amine Harit pour célébrer votre qualification...
En Côte d’Ivoire, Sofiane Boufal et Amine Harit n’ont pas joué. Pourtant, en effet, au coup de sifflet final, les deux semblaient être encore plus heureux que ceux qui étaient sur le terrain. Amine et Sofiane se sont parfaitement imprégnés de cet esprit collectif qui règne dans cette équipe. Après, ceux qui n’étaient pas prêts à accepter ce cadre se sont éliminés tout seuls. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Je suis là pour former la meilleure équipe du Maroc possible avec mes convictions, que ça plaise ou non.
Au delà du cas Hakim Ziyech, il faut aussi parler de l’énorme retour en sélection de Mehdi Benatia qui avait pourtant mis sa carrière internationale entre parenthèses.
Mehdi c’est le patron, le capitaine, le joueur d’expérience, celui qui transmet les messages, c’est un entraîneur sur le terrain. Je suis retourné le chercher, car j’avais vraiment besoin de lui. C’était indispensable que Mehdi revienne pour qu’on puisse se qualifier à la Coupe du monde. Pour moi, il n’y avait pas de débat. La Juventus de Turin a racheté son contrat, l’été dernier, pour une valeur de 17 millions d’euros. Ça voulait tout dire. Chacun avait son avis sur la question. Moi, j’avais le mien. Et puis son association avec Romain Saïss est très bonne. Ils ont une complémentarité qui est vraiment exceptionnelle.
Lors de votre rencontre avec Mehdi Benatia, en août dernier, vous avez visité les installations de la Juventus de Turin. On imagine votre émotion...
En effet, j’étais fan de Michel Platini qui a laissé une empreinte indélébile à la Juventus. En visitant le club, j’avais l’impression de marcher sur les traces de ma jeunesse. Le succès de Platini à Turin, c’est le début de l’heure de gloire du football français à l’étranger. Platini a montré l’exemple. Et quel exemple !
Le Maroc a terminé la phase de qualification sans encaisser le moindre but. La défense est-elle un domaine sur lequel vous avez énormément travaillé ?
Notre tactique consiste surtout à tenter de récupérer le ballon le plus haut possible avec nos milieux défensifs Boussoufa et El Ahmadi. Car nous sommes capables de faire la différence sur ces ballons de récupérations avec la vitesse de nos attaquants. Après, notre solidité défensive est aussi due à nos latéraux Hakimi et Dirar qui vont très vite sur les côtés et qui ont été excellents dans les duels face à la Côte d’Ivoire.
Cette rigueur, c’est aussi un peu votre signature...
Certes, j’ai la réputation d’être rigoureux avec mes joueurs. Mais, je tiens à préciser que cette discipline, je me l’applique déjà à moi-même. On peut même dire que je suis plus sévère avec moi-même qu’avec les autres. Je cherche aussi à avoir une exigence physique, une hygiène de vie. J’essaye de ne pas me laisser aller, de ne pas prendre de poids. Je ne bois pas d’alcool. Mais bon ce n’est pas trop difficile car je n’en ai jamais bu (rires). Je m’efforce d’avoir une constance intellectuelle, d’être le plus loyal possible. Certains diront que je ne l’ai pas été. Moi, j’estime l’avoir été.
Est-ce que vous avez peur de vieillir?
Non, mon activité physique n’est pas liée avec la peur de vieillir. Je redoute seulement le jour où je ne serai plus capable de faire ce que j’aime, entraîner, courir... J’espère pouvoir le faire le plus longtemps possible. Mais on ne choisit pas toujours.
Cette rigueur est une qualité. Parfois, ça peut être également un défaut...
Certainement, surtout quand je suis un peu trop franc et direct avec les journalistes ! Il y a parfois des choses qu’il ne faut pas dire. Ça m’a valu ma place en Ligue 1, à Lille. Mais c’était peut-être aussi un acte prémédité ou manqué...
Peut-on dire que vous avez donné le bâton pour vous faire battre, à Lille?
J’étais en colère parce que le Président de Lille m’avait donné un ultimatum. Il nous manquait seulement un buteur... J’étais vexé parce qu’on me considérait comme un débutant en France alors que j’avais été sacré deux fois champion d’Afrique. Il faut remettre les choses dans le contexte. En tout cas, dans le rapport de force, j’ai perdu.
Même s’il a fini par être remercié, Bielsa a bénéficié de plus de temps que vous pour réussir à Lille...
Justement, il s’appelle Bielsa et on l’a laissé tout faire. Moi, je m’appelle Hervé Renard, et on me vire tout de suite. Il faut préciser que je coûtais moins cher... En tout cas, je suis surpris. Je pensais sincèrement qu’il allait réussir, à Lille. Avec soixante millions d’euros d’investissement à l’intersaison, il avait pourtant eu le temps et les moyens de choisir son équipe. Dans ces conditions, il est sans doute plus facile d’entraîner Lille que Caen, par exemple. Or, on ne parle pas suffisamment du travail remarquable de Patrice Garande, à Caen.
Avec la France, vous vivez une histoire d’amour contrariée...
En effet, j’ai une mauvaise relation avec le football français. J’aime dire les choses telles que je les pense et ça ne plaît pas à tout le monde. En France, huit personnes sur dix n’accordent aucune importance aux résultats obtenus en Afrique. Mais quiconque a déjà entraîné une équipe sait combien il est difficile d’avoir des résultats que ce soit avec Draguignan ou avec la sélection du Brésil. Et à l’étranger, c’est encore plus dur même en Amérique du Sud ou en Chine. Avoir des résultats dans un pays qui n’est pas le sien, c’est énorme ! Il faut respecter ça. Ce n’est pas moi qui vais changer les mentalités. En France, on a toujours l’impression d’être au centre du monde. Les Français pensent encore que leur championnat est au top niveau alors qu’il y a mieux ailleurs.
Est-ce que vous avez un esprit de revanche?
Non, c’est fini tout ça. A Lille, je suis arrivé avec un esprit de revanche lié à la fin de mon aventure malheureuse à Sochaux. Je le reconnais. A Sochaux, on avait fait une remontée fantastique lorsque j’ai repris le club, en 2014. On a fini 5e sur l’ensemble des matches retours. Et on a raté le maintien d’un cheveu, à la dernière journée.
Peu de gens le savent mais vous avez failli devenir entraîneur de l’Olympique Lyonnais...
J’ai été en effet pressenti par l’OL pour succéder à Rémi Garde, au printemps 2014. J’ai rencontré Jean-Michel Aulas et Bernard Lacombe. Ce dernier était même très enthousiaste... Mais, finalement, l’OL a préféré Bruno Génésio. J’aurais également pu signer à Lyon comme joueur, en 1985. C’était l’époque des Topalovic, Lacuesta, Nikolic, Genesio, Fournier ou N'dioro. L’entraîneur était un certain Robert Herbin, le coach mythique de l’ASSE. Finalement, j’ai rejoint l’AS Cannes. En tout cas, j’ai gardé des relations excellentes avec Jean-Michel Aulas. J’aime beaucoup le personnage. Il est à la tête de l’OL depuis 1987. Forcément, ça force le respect autant que son palmarès. Surtout, j’aime les gens qui ont des convictions. J’aime les gens qui se persuadent qu’ils sont capables de relever des défis incroyables et qui arrivent à persuader les autres. On les prend parfois pour des illuminés mais ce sont des êtres à part. Quand je repétais depuis un an qu’on allait se qualifier pour la Coupe du monde, on a sans doute dû me prendre pour un fou. Mais dans mon for intérieur, j’y croyais...
Jean-Michel Aulas est un président intrusif...
Je comprends les exigences d’un président qui gère un club au quotidien. Le foot, c’est du business. Et un président gère l’opinion publique, les partenaires, les abonnés. Ce n’est donc pas anormal qu’il vienne voir un entraîneur pour essayer de trouver des solutions ou changer quelque chose. Il ne fait pas ça par plaisir. Il ne faut pas toujours le voir comme une attaque contre l’entraîneur.
Vous avez aussi côtoyé Zinedine Zidane...
C’était à l’AS Cannes. Je l’ai vu débarquer dans la 408 Peugeot de ses parents. J’ai passé quatre ans avec Zinedine Zidane, au centre de formation et j’ai joué avec lui en équipe de jeunes. J’ai été spectateur de sa progression. Quel talent incroyable déjà ! Je me souviens qu’il ne montrait aucune émotion... J’ai aussi joué avec Didier Deschamps en équipe de France 17 ans. Mais il ne s’en souvient pas... (rires). J’avais les cheveux de Chris Waddle, l’ancienne star de l’OM, mais je n’avais pas son pied gauche.
Etes-vous surpris par le succès de la reconversion de Zidane comme entraîneur malgré les difficultés rencontrées cette saison?
A vrai dire, pas vraiment car Zidane possède un charisme énorme vis-à -vis des joueurs et inspire un respect immense. Il gère le vestiaire comme personne ne l’a fait avant lui.
Vous aimez passionnément l’Afrique. Et, en retour, l’Afrique vous a tout donné…
Quand on vous aime, quand on vous apprécie, quand on vous le dit, ça flatte l’égo et on se sent mieux. C’est comme ça… Je suis un fan de cyclisme. Et je me souviens des propos de Thomas Voeckler lors de la dernière étape du Tour de France alors qu’il venait de mettre un terme à sa carrière. Il a dit : ‘Le public m’a donné l’amour et la reconnaissance derrière laquelle je cours depuis le début de ma carrière‘. Moi, en Afrique, c’est exactement pareil. Les gens m’ont donné tout ça. J’adore la manière de vivre en Afrique. C’est plus libre, plus drôle. Il y a moins de code. Ceux qui n’y ont jamais vécu ne peuvent pas comprendre.
Comment réagissez-vous quand vous rencontrez des personnes qui ne respectent pas le continent africain ?
Ça me touche, bien sûr. Je suis prêt à sortir les crocs. C’est mon caractère. Je suis comme ça. Mais je sais que je ne résoudrai pas tous les problèmes tout seul. Je ne peux pas rester insensible à l’esclavagisme dont sont victimes actuellement les migrants, en Lybie. J’ai aussi profondément été marqué par l’Apartheid, en Afrique du Sud. Jusqu’en 1994, les blancs étaient d’un côté et les noirs de l’autre. C’est inconcevable. 1994, c’est hier. Je suis fasciné par l’histoire de Nelson Mandela. Quand j’entraînais la Zambie, j’ai souvent organisé des stages en Afrique du Sud. J’ai eu le temps de me documenter sur l’Apartheid, de visiter… Je suis allé sur l’île de Robben Island, située au large du Cap, où Mandela était emprisonné. Bien sûr, j’ai lu Etre Libre, l’autobiographie de Mandela. Je pourrais vous écrire des dizaines de citations. L’histoire de Mandela, c’est important dans ma vie, dans ma construction. Je vais vous faire une autre confidence. Ma mère a été mariée pendant dix-huit ans avec un homme de couleur, un Guadeloupéen qui s’appelait Privat. J’ai été très proche de ce monsieur. Il m’a apporté sa vision de la vie, il m’a fait aimer la musique africaine. Malheureusement, Privat n’est plus là. Même s’il n’était pas Africain, il aurait été fier de mon parcours.
Dans l’émission L’Equipe Enquête, diffusée en octobre 2015, vous avez dit : "On est des anciens colons. Quand on colonise un pays, c’est qu’on est une race supérieure. Ça, ce sont les petits esprits (qui pensent ça, NDLR).". Est-ce que vous regrettez ces propos?
Pourquoi les regretter? Ce sont certes des propos forts mais ils correspondent tellement à ma pensée intime. Et quand je vois comment les Français se comportent à l’étranger, en Afrique notamment, je n’ai pas envie de changer une virgule à ces propos. Bien sûr, il ne faut pas faire de généralités, mais l’évidence, c’est que nous, les Français, on ne se comporte pas toujours très bien. A force de penser que nous sommes des références, on perd le sens des réalités. A l’étranger, comme aujourd’hui au Maroc, avant en Zambie ou en Côte d’Ivoire, je me suis toujours attaché à respecter en premier lieu la culture locale. Il ne faut jamais l’oublier. Et ce respect, les Marocains, les Zambiens ou les Ivoiriens, me l’ont toujours rendu. Ce n’est pas de l’extrapolation, c’est un vécu.
En visite à Alger, Emmanuel Macron, alors candidat à l’éléction présidentielle, avait déclenché une vive polémique en qualifiant la colonisation de «crime contre l'humanité ». Quel regard portez-vous sur ces propos?
Qui suis-je moi, Hervé Renard, pour commenter les propos du Président de la République. ça va encore être mal interprété... Mais, je ne vais sans doute pas vous surprendre en disant que je suis d’accord à 100% avec Emmanuel Macron.
Jusqu’à la Coupe du Monde, vous allez passer beaucoup de temps en Turquie où évoluent de nombreux joueurs de l’équipe nationale...
Oui bien sûr, j’irai en Turquie comme partout ailleurs. Et pour tout vous dire, je vais toujours, en Turquie, avec beaucoup de plaisir. La Turquie est une bonne destination de football. Galatasaray et Fenerbahce, notamment, sont des grands clubs avec des infrastructures étonnantes. Et il ne faut pas se mentir, un joueur touchera toujours un salaire plus important en Turquie qu’en France.
En tout cas, vous préférez aller en Turquie que dans les Pays du Golfe?
Je vois où vous voulez en venir. Et je vais répondre très clairement. Je n’ai aucun problème avec les joueurs évoluant dans un championnat des pays du Golfe comme certains peuvent le laisser entendre. Avec les satellites, la visibilité des joueurs est la même. Bien sûr, le rythme des matches est moins important qu’en Europe. Mais ce n’est pas un problème. La vraie question, c’est l’état d’esprit et la motivation des joueurs. Vont-ils dans un Pays du Golfe pour assurer une fin de carrière lucrative dans une forme de semi-retraite ou vont-ils là-bas pour rebondir, s’arracher, être compétitifs. Le bon exemple, c’est Mbark Boussoufa. Il porte les couleurs d’Al-Jazira, à Abou Dabi. Il a été sacré champion des Emirats Arabes Unis la saison dernière et a relancé sa carrière. Une seule question m’importe: le joueur que je sélectionne est-il le meilleur à son poste?
Vous être proche de l’équipe du Maroc qui dispute le Championnat d'Afrique des Nations (CHAN) des joueurs locaux. Certains joueurs, comme le buteur Ayoub El Kaabi, peuvent-ils marquer des points dans l’optique du Mondial?
J’ai toujours attaché beaucoup d’importance aux joueurs locaux. D’ailleurs, j’ai participé à plusieurs stages. Le Président Lekjaa a tout mis en œuvre pour avoir une équipe A’ compétitive. C’est une belle démarche et il faut la respecter. Je suis, bien sûr, l’équipe du Maroc avec une grande attention. ça permettra d’avoir une véritable idée sur les joueurs qui sont capables d’évoluer un cran au-dessus. Plusieurs sont à la porte de l’équipe nationale. C’est non seulement le cas d’Ayoub El Kaabi mais aussi de nombreux autres joueurs...
Le Maroc est candidat à l’organisation du Mondial 2026. Cette compétition sera donc une marche à ne pas rater en matière d’organisation...
Le Maroc a toutes les capacités pour organiser la Coupe du Monde 2026. Le grand chantier du football marocain concerne les infrastructures. Depuis qu’il est aux commandes du football national, le Président Lekjaa s’est donné tous les moyens de relever ce défi. Aujourd’hui, le Maroc possède des stades de haut niveau. Seuls les clubs doivent encore progresser dans leurs centres d’entraînement. Le modèle, c’est le FUS de Rabat. Je conseille à ceux qui ont une mauvaise image du football en Afrique d’aller visiter ce club. Ils changeront d’avis.
Est-ce que Munir El Haddadi portera bientôt les couleurs des Lions?
C’est un dossier très compliqué. Et forcément, je n’ai pas la main dessus. Pourquoi ne pas jouer notre carte si le joueur désire jouer avec le Maroc?
Etes-vous surpris par la passion des Marocains pour le football espagnol?
Je suis plus surpris par la force de la passion que par la passion elle-même. A trop regarder jouer le Barça ou le Réal, le risque est grand de perdre la notion de la réalité. On ne peut pas tous faire ça ! Et parfois, on a l’impression que le public marocain l’oublie. Les joueurs en rigolent entre eux, d’ailleurs.
Et votre passion du football, elle est toujours intacte?
Le football, c’est ma vie. Je suis un passionné, un boulimique. Je passe mes week-ends à regarder des matches. Un match, ce n’est pas seulement la réalité du terrain. C’est le show autour de l’événement. J’aime tout ça. Je me projette. Et quand on connaît l’envers du décor, c’est encore plus fort. Je lis le journal L’Equipe tous les jours. Je m’informe. Je peux même vous citer le classement de Ligue 2. Sinon, il faut préciser que je suis un passionné de sport en général . J’aime l’athlétisme, notamment le sprinter Christophe Lemaitre, également originaire d’Aix-les-Bains, comme moi. Je connais aussi son entraîneur, Pierre Carraz. J’ai couru quelques cross avec lui. Et comme tout bon Savoyard qui se respecte, je suis un grand fan du Tour de France.
Avec la Coupe du monde en Russie (14 juin-15 juillet), vous aurez du mal à suivre le prochain Tour de France (7 juillet-29 juillet)...
Ce n’est pas grave. En 2018, je ne serai plus Savoyard. Je serai Marocain.