Hassan Baraka, super héros
Qui a dit que les sportifs de haut niveau avaient dans les muscles ce qu’ils n’avaient pas dans la tête? Il suffit de rencontrer Hassan Baraka pour tordre le cou à ce cliché dépassé. Au fond, sa trajectoire est assez normale.? C’est l’histoire d’un enfant de la balle, d’un gamin qui se dessinait un grand destin, d’un adolescent qui voulait écrire son nom au firmament du sport et planter le drapeau de son pays lors des grands événements mondiaux.
Parce que son rêve de goûter au sport de haut niveau s’est fracassé sur le mur des blessures et de la faiblesse du nombre d’élus, Hassan Baraka a décidé d’enfiler le costume du super héros, celui d’un aventurier au long cours qui joue avec le chronomètre et sa vie pour repousser ses limites et graver son nom dans le marbre de l’histoire.
Hassan Baraka, beau brun d’1m81, tête bien faite et bien pleine, a pris un malin plaisir à mettre ses pas là où personne ne les a encore posés. Non content d’avoir franchi le Détroit de Gibraltar à la nage, en 2013, l’aventurier marocain a relié les cinq continents, toujours à la nage, en 2014, sous la présidence et l’œil bienveillant de SAR la Princesse Lalla Hasnaa.
Pareil exploit n’a pas éteint son appétit. Et s’il lui a valu d’être décoré, à l’occasion de la fête de la Jeunesse, le 21 août 2015, du Wissam Alaouite grade officier par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, il a repoussé encore un peu plus ses limites en début d’année en devenant le premier Marocain à participer au World Marathon Challenge, épreuve assez incroyable où il faut parcourir 7 marathons en 7 jours sur 7 continents.
On en oublierait presque qu’il a été le premier marocain à représenter le Royaume aux championnats du Monde de Swim & Run, à Otillo, en Suède où il a alterné la course à pied et la natation sur 75 kilomètres entre les îles de l’archipel Suédois dans des conditions rendues extrêmes par les températures glaciales de l’eau. Impossible en revanche de zapper son enfance car c’est le nœud qu’il faut dénouer pour comprendre Hassan Baraka, l’homme et le sportif de l’extrême. Né à Tétouan, en 1987, Hassan a eu une enfance itinérante au gré des mutations professionnelles de ses diplomates de parents.
Le hasard a rapproché son destin du ballon rond. En Argentine, en 1998, il a 11 ans et porte les couleurs du club local, le Jockey Club. Surtout, il est un fan invétéré du mythique de Boca Juniors. En 2000, papa et maman posent leurs valises à Madrid où il passe un test au Real de Madrid. Recalé, il ne savait pas que son destin suivrait les rebonds capricieux d’un ballon de rugby. C’est au Lycée Français de la capitale espagnole qu’Hassan tâte du ballon ovale. Très vite, il intègre une sélection des 25 meilleurs joueurs de Madrid disputant les championnats espagnols des comunidades autónomas. Il poursuit l’expérience à l’Université Complutense de Madrid où il étudie l’éco-gestion. Il rejoint les rangs du club CR Liceo et goûte à la 1ère Division espagnole. Et, sans surprise, il prend la direction de la France où le rugby est un sport national.
Il profite d’un échange universitaire entre l'Université Complutense avec Sup de Co Montpellier pour signer une licence au Rugby Club Jacou Montpellier Nord, au Pic Saint-Loup, où les futurs internationaux François Trinh-Duc et Fulgence Ouedraogo faisaient leurs armes. Et s’il a commencé sa carrière dans les lignes arrières, au centre précisément, c’est en 3e ligne que le jeune Marocain s’impose. Il a pour idole Serge Betsen, le 3e ligne du XV de France, et est promis à une belle carrière dans un sport où ses qualités physiques sont un atout incontestable. Seulement une fracture de l’humérus, le 26 novembre 2009, l’éloigne des terrains et brise son rêve. Le train de l’élite passe rarement deux fois.
Il en prendra d’autres. A Toulouse, en 2011, il suit un master de gestion des institutions et des activités sportives de l’ESC Toulouse et s’adonne à la course à pied pour retrouver son poids de forme. C’est un coup de foudre. Il s’élance très vite pour un semi-marathon, monte à vélo et enfile les longueurs des piscines comme on enfile les perles. Surtout, il s’invente des défis qui nourriront sa vie. «Comme je n’avais pas réussi à devenir un athlète de haut-niveau, j’ai décidé que je ferais du dépassement de moi-même, de mes limites un moyen pour écrire ma propre histoire» dit celui qui n’a pas beaucoup de concurrence sur le terrain de la volonté et de l’abnégation.
C’est Khalid Watanabe, son instructeur de judo, sport qu’il a débuté à l’âge de 4 ans, à Rabat, qui l’a guidé sur le chemin des valeurs sportives qui construisent un homme. «Aujourd’hui, encore, je pense souvent à lui» témoigne Hassan qui est au départ, le 26 juin 2011, de l’Ironman de Nice, la piste noire des triathlons avec 3,8 kilomètres de natation, 180,2 kilomètres à vélo et un marathon de 42,195 kilomètres pour terminer la punition. Il remettra ça chaque année, en relevant à chaque fois un défi encore plus fou.
Le 8 juillet 2012, il s’illustre dans le Francfort Ironman European Championship. Le 25 juillet 2013, il s’invite dans le concert médiatique, en devenant le plus jeune Marocain à traverser le détroit de Gibraltar à la nage. En 4h01, il relie les 16,6 kilomètres qui séparent le Maroc de l’Espagne. «J’ai réalisé ma traversée dans le sens de l'Espagne vers le Maroc, dans le but de mettre en exergue l’inversion actuelle du flux migratoire, afin de démontrer le potentiel du Royaume et surtout, son sens de l'accueil et de l'hospitalité» précise Hassan qui n’oublie jamais le citoyen marocain qui sommeille en lui.
Cette traversée entre l’Europe et l’Afrique lui donne de la notoriété et des idées. Il décide de se lancer dans une aventure insensée: relier les cinq continents à la nage (1). A l’impossible Hassan est tenu. Du coup, il s’entraîne comme un forcené. Il nage 8 kilomètres par jour. Il installe un camp de base en Sibérie, au lac Baïkal où le champion marocain se prépare dans une eau à quatre degrés.
C’est en traversant les 6,61 kilomètres du Détroit du Bosphore qu’Hassan Baraka relie l’Asie et l’Europe, le 20 juillet 2014 et boucle la seconde étape de son défi. L’athlète a participé à la 26e édition du Bosphorus Cross Continental, une compétition sportive validée par le Comité olympique turc à laquelle ont pris part plus de 1.800 personnes. «Les autorisations individuelles pour couper le trafic maritime du Bosphore étant en effet très difficiles à obtenir» confirme Hassan qui a joint la mer Noire à la mer Marmara dans le cadre de cette compétition en s’octroyant une belle 16e place, à Istanbul.
Il n’y a qu’un kilomètre entre l’île de la petite diomede américaine et la grande diomede russe en plein milieu du Detroit de Béring qui sépare l’Amérique et l’Asie. Malgré quelques gerçures sur les lèvres nées de la température polaire de l’eau, Hassan relie sans souci la Sibérie orientale à l'Alaska (le cap du Prince-de-Galles) puis relie la mer de Béring (partie septentrionale de l'océan Pacifique) à l'océan Arctique, validant ainsi le 3e challenge. «Le but de ce voyage était aussi de sensibiliser les enfants du monde au nettoyage des plages» dit Hassan. «J’ai pu leur transmettre certains gestes écocitoyens simples. En Alaska, j’ai même organisé des petites conférences sur le sujet dans un centre de conservation marine, le SeaLife Center, à Seward.»
Il devra surmonter beaucoup plus d’obstacles, le 11 septembre, entre la Papouasie Nouvelle-Guinée et l’Indonésie sur les 9 kilomètres séparant l’Océanie à l’Asie. «La grande difficulté physique a été de combattre les méduses venimeuses de l’Océan Pacifique, lors de cette avant-dernière étape» avoue Hassan. «Cela m’a provoqué des petits picotements, comme lorsqu’on se passe de l’alcool sur le visage après s’être rasé. C’était plus gênant que douloureux… Puis, au bout de trois heures de nage, un autre type de méduses, invisibles à l’œil nu, m’a piqué aux mains et aux pieds. J’ai eu une paralysie partielle, au niveau des doigts, qui s’est propagée jusqu’aux épaules et au niveau des pieds. Dieu merci, après quelques heures à l’hôpital en observation, tout est rentré dans l’ordre. C’est sûrement le pire souvenir de mon expédition. Ces traversées sont bien plus complexes que ce que l’on pourrait croire.»
Personne n’a pensé que la dernière étape du record serait un long fleuve tranquille. Entre l’Afrique et l’Asie, entre la ville égyptienne de Dahab et la ville saoudienne de Maqana, il y a 28,8 kilomètres pour parcourir le golfe d’Aqaba. En 8 heures et 30 minutes, Hassan a bouclé la boucle et remporté son pari fou de relier à la nage les cinq continents. Reste qu’il s’est offert une des plus grandes frayeurs de son existence.
Quinze minutes durant, il a nagé en compagnie d’un requin qui avait aussi un appétit de champion. «Je m’étais préparé à cette éventualité, je m’étais projeté mais ça n’a rien à voir avec la réalité» confie-t-il. «Pour faire abstraction d’une ombre aussi immense sur ma gauche, il a fallu un énorme travail mental. J’ai absolument tout fait pour ne pas trop me focaliser dessus… A ma droite, sur le Zodiac qui m’escortait, un homme a mis son pied équipé d’un “Shark Shield” à l’eau, un instrument qui émet des ondes magnétiques afin d’éloigner les potentiels requins. Il y avait donc bien un squale à mes trousses ! Mais c’était la dernière étape et il était hors de question que je cède à la panique. J’ai regardé droit devant, la côte se rapprochait et la ligne d’arrivée finale me tendait les bras. J’ai mis des œillères et n’ai rien lâché.»
Visage tendre, volonté de fer, Hassan entre dans la lumière. Placée sous la présidence d’honneur de SAR la Princesse Lalla Hasnaa, Présidente de la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement, cette performance unique transporte aussi dans son écume un message de solidarité, de paix, de fraternité et de bienveillance environnementale. «La préservation de l’environnement maritime est évidemment une cause qui me mobilise» confirme Hassan.
A peine remis de ses émotions, Hassan n’a pas hésité à se lancer à nouveau dans le grand bain lors de sa participation aux championnats du monde Otillo 2015, en Suède, grand rendez-vous planétaire du Swin and Run (NDLR: nager et courir). En septembre 2015, sur la petite île de Sandhamn, à 2h en ferry de Stockholm, Hassan a rallié 26 îlots à la nage et les a traversés en courant pour 75 km au total, dont 10 de natation dans une eau à 12 degrés. Premier marocain à dompter cette course dantesque, Hassan Baraka a bouclé l’épreuve en 13h. «On a passé beaucoup de temps dans l'eau et il fallait faire très attention à la température du corps qui peut descendre assez vite» confie celui qui ne goûte la joie d’une prouesse qu’en jetant les bases de la prochaine.
Rien d’étonnant qu’au retour de Suède, il trace les contours de son prochain défi: le World Marathon Challenge dont le principe est de courir 7 marathons (2) en 7 jours sur 7 continents. Une nouvelle fois, Hassan Baraka est entré dans l'histoire, comme le premier Marocain à réussir semblable performance sous le signe de l’endurance. Entre le 23 et le 29 janvier dernier, entre l’Antarctique, le Chili, Les Etats-Unis, l’Espagne, le Maroc, les Emirats-Arabes-Unis et l’Australie, le super héros marocain a affronté le manque de sommeil, le décalage horaire et la fatigue des trajets quotidiens en avion.
«C’est mon défi le plus fou» lance-t-il. Véritable ambassadeur du Royaume et de ses trésors, l'athlète a offert des cadeaux typiques marocains lors de chaque étape. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, le jeune homme de 28 ans a trouvé le temps d’organiser des ateliers d’éco-école, en partenariat avec la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement, pour sensibiliser les enfants, notamment à la préservation de l'environnement marin. Ainsi, à Padre Hurtado, une localité rurale à une cinquantaine de kilomètres de Santiago, Hassan Baraka a organisé une activité ludique de plantations d’arbres, et de sensibilisation au recyclage des déchets ménagers par le compostage à l’aide de lombrics.
Manager et consultant sportif, celui qui a fait un stage à l’INSEP, à Paris, où il a notamment côtoyé Teddy Riner (Judo), Tony Parker (Basket) ou Paul Henri Mathieu (tennis) et autres grands sportifs champions du monde ou médaillés olympiques - «c’était un monde merveilleux pour moi, j’étais comme à Disneyland» précise Hassan.-, est disponible pour s’investir dans les instances sportives marocaines, notamment le comité Olympique. Cet été, il encouragera le champion marocain d’équitation Kebir Ouaddar, lors des JO de Rio. «Je ne rate jamais une minute des retransmissions télévisées des JO» dit Hassan qui partage cette passion avec sa femme Fairouz, prof de danse classique et de zumba. «Je peux rester plusieurs heures devant le curling. En fait, mon plus grand regret restera de ne jamais avoir participé aux Jeux.»
A écouter Serrana Fernandez, porte-drapeau de l’Uruguay aux JO d’Athènes, sa coach en natation ou Elena Garcia, championne espagnole de 3000m steeple, son entraîneur de course à pied, Hassan a les gènes d’un athlète de très haut niveau. A trop avoir marché sur l’eau, à trop avoir dompté la terre, il a décidé que l’air sera le terrain de jeu de son prochain défi. «C’est encore assez vague» avoue Hassan. «Cela peut être la voile, le parapente. En tout cas, ça sera sans moteur...»
Histoire de tutoyer les anges et de se rapprocher des sommets qu’il mérite.
(1).- Europe – Afrique (25 juillet 2013) : Espagne au Maroc Détroit de Gibraltar 16,6 km – 4 heures – Température de l’eau : 20 degrés. Europe – Asie (20 juillet 2014) : Istanbul Est à Istanbul Ouest 6,61 km – 57 minutes – Température de l’eau : 20/22 degrés. Amérique – Asie (7 août 2014) : Île de la Petite Diomède (Alaska) à l’île de la Grande Diomède (Russie) 1 km – 34 minutes – Température de l’eau : 6 degrés. Océanie – Asie (10 septembre 2014) : Papouasie Nouvelle Guinée à l’Indonésie 9 km – 3h46 – Température de l’eau : 18 à 25 degrés. Afrique – Asie (20 octobre 2014) : – Dahab (égypte) à Magna (Arabie Saoudite) 28,11 km – 8h30 – Température de l’eau : 20 à 26 degrés
(2).- Antarctique : 5 heures et 29 minutes. Punta Arenas - Chili : 4 heures 37 minutes. Miami - États-Unis : 4 heures et 24 minutes. Madrid - Espagne : 4 heures et 46 minutes. Marrakech - Maroc : 4 heures et 32 minutes. Dubaï - Émirats Arabes Unis : 4 heures et 41 minutes. Sidney - Australie : 4 heures et 29 minutes.