Hamid Bentahar, So important
Le mariage d’une étoile et d’un lion. Hamid Bentahar transpire ses origines. Il est l’héritage de son histoire qu’il porte délicatement comme on voyage avec un trésor inestimable. L’étoile, c’est sa mère, fille berbère d’Agadir, guide de douceur et de valeur, de bonté et générosité. D’amour aussi. Le lion, c’est le père, la force masculine, enfant du Rif, enfant de la terre, celle de l’honneur et de l’identité, de la culture et des croyances, fils des montagnes et des traditions.
De cette maman aimante, Hamid a appris le goût du voyage. Au 17e siècle, sous le règne de la dynastie berbère du Tazeroualt, Agadir se mue en une vraie rade, multipliant les échanges avec l'Europe. Il n’y a jamais de hasard. Juste les lignes d’un destin à suivre. Son culte indéfectible voué à la valeur de la sueur et du travail est également une trace de ses origines berbères qui ont aussi enveloppé sa personnalité d’un trait de caractère têtu. Il en a fait sa force. Pas sa faiblesse. «Dans ma carrière, quand j’entendais dire que ce n’etait pas possible, que c’était très compliqué, que ça ne marcherait pas, c’est là que ça commençait à susciter mon intérêt» confie Hamid Bentahar. «Je voyais des opportunités là où les autres voyaient des difficultés. Certains traduiront cet état d’esprit par la face têtue des Berbères. Sans doute... Mais il y avait aussi une timidité et une humilité chez moi qui me laissaient penser qu’euégard à la lourdeur de la tâche, on ne me reprocherait pas d’avoir fait moins bien que les autres.»
Et s’il a fait mieux que les autres, il le doit à ce père qui lui a légué la droiture des gens du Rif et la force de la valeur de la parole donnée. Il lui a aussi donné l’amour de son pays, la pureté et le romantisme des paysages. La poésie rifaine s’est tellement nourrie de ses reliefs accidentés et escarpés. Une fierté identitaire dont Hamid Bentahar ne s’est jamais séparée et qui, forcément, a été une ancre solide, motivant son retour aux sources, au Maroc quand sa carrière l’a mené à l’autre du bout du monde. De là-bas, jamais, il n’a oublié El Jadida, son enfance sucrée, heureuse, joyeuse. Il n’a jamais oublié le sacrifice de ses parents, le père travaillant dans les télécommunications, la mère dans la fonction publique, pour lui offrir, ainsi qu’à son frère et ses deux soeurs une jeunesse rêvée.
Bercé par les sons de sa mère, la musique amazigh essentiellement, la musique orientale également (Abdelhalim Hafid) et la musique française (Jacques Brel, Serge Gainsbourg...), il s’adonne très vite à sa passion pour le sport.?«J’avais déjà beaucoup d’énergie à dépenser» précise Hamid. «J’étais un enfant timide mais quand il fallait organiser des jeux, des parties de sport, c’est moi qui m’y collais.» Il touche à tout au Difaâ Hassani d’El Jadida mais se spécialise dans le football, le basket. Et s’amourache, dès l’âge de 11 ans, de l’équitation qui sera son meilleur passeport pour sa future carrière. Pour sa passion pour les chevaux, il multiplie les concours hippiques avec beaucoup de succès. «Le sport n’était pas seulement un loisir, j’étais déjà très compétiteur et je voulais être le meilleur» avoue Hamid. «Le sport m’a appris le sens de l’effort collectif, la solidarité, la rigueur».
Autant de qualités qui lui permettront de réussir, en 1987, son premier emploi de saisonnier comme moniteur... d’équitation, en France. «J’avais envie de voir ce qu’il y avait de l’autre côté de la Méditerranée» explique Hamid. «La France, c’est la famille de mon père qui me l’a fait découvrir. Mon père est le seul de ses frères et sœurs à avoir choisi de rester au Maroc. Les autres sont partis en Belgique ou en France. C’était intéressant de côtoyer des gens de la même famille avec une construction mentale différente et une richesse de la différence. C’est comme ça que j’ai acquis une double culture et une ouverture d’esprit.»
Avant d’être citoyen du monde, Hamid Bentahar est devenu marrakchi. Après un Bac en sciences économiques obtenu, en 1987, au Lycée Errazi d’El Jadida, il entre à l’université Kadi Ayyad, à Marrakech. «Je voulais faire science-éco mais cette voie-là n’existait pas à la faculté d’El Jadida» raconte Hamid. «Du coup, j’ai été obligé de migrer vers Marrakech. Il faut aussi avouer que j’avais besoin de liberté, de voler de mes propres ailes, loin de mes parents.» Mais la vraie option n’était pas entre la famille et les études mais entre l’hôtellerie et les études. De choix, il n’y eût point, tant il fut évident. «J’ai choisi ce métier pour la chance qu’il m’offrait à voyager pas pour gagner beaucoup d’argent» assure Hamid.
La première opportunité, c’est surtout celle de forcer les portes du premier opérateur hôtelier mondial, présent dans près de 100 pays. : ACCOR. «Un groupe qui permet à des gens ordinaires comme moi, issus de la classe moyenne marocaine, d’avoir une vie extraordinaire» avoue Hamid. En 1989, il est nommé responsable des loisirs. Premier poste chez ACCOR, premier franc succès. Tant et si bien que Hamid hérite non seulement de la casquette de responsable de la restauration et de l’hébergement mais surtout il coiffe aussi celle de numéro 2 de l’hôtel.
Sa carrière est lancée. Il commence par aller là où personne ne veut aller. Pour relever des défis de l’impossible. Un hôtel en déclin, une destination difficile, un changement de dernière minute, et voilà qu’on appelle Hamid Bentahar. «C’est pourquoi aujourd’hui j’estime avoir mérité d’être là où tout le monde veut être: à Marrakech» rigole Hamid. En 1994, la direction du groupe ACCOR lui confie la direction générale d’un hôtel à relancer dans le sud de la Turquie, à Tekirova, dans la région Antalya, après une période tourmentée économiquement et politiquement. «Un petit hôtel de 500 chambres» précise Hamid, dans un rire nerveux. «Les problèmes se succédaient les uns aux autres et, dans ces circonstances, on fait l’évaluation du moindre mal et on prend rarement la meilleure décision mais le plus souvent la moins mauvaise.»
Mission accomplie. En guise de félicitations, la direction l’envoie, en Grèce (1996), à Eretria. «J’acceptais mes mutations sans trop réfléchir» se souvient Hamid. «J’étais célibataire.?Je jouissais donc d’une grande liberté non seulement pour bouger rapidement mais aussi pour m’investir à plein temps dans mes fonctions.» Objectif une nouvelle fois relevé en Méditerranée !
Le test du terrain réussi, Hamid Bentahar est rappelé à?Paris, au siège social du Groupe ACCOR, comme un militaire est rappelé à la base après une période trop prolongée sur le front de guerre. L’heure n’est pas au repos mais au formatage corporate et aux formations stratégiques, avant de repartir avec une nouvelle feuille de route. C’est là, à grands coups de coaching, qu’il apprend à devenir un vrai leader, à maîtriser l’exercice de la prise de parole en public. «J’ai vaincu ma timidité et j’ai appris à maîtriser mes démons» confie Hamid. «Et ce métier a sans doute été aussi un alibi personnel pour aller vers les autres.» Et comme sa passion pour l’art et le théâtre, si elle lui a abîmé la voix, elle lui a aussi donné un supplément de confiance, Hamid Bentahar est aujourd’hui un orateur brillant et écouté qui fut, à l’aube des années 2000, responsable de la formation des directeurs d’hôtel Accorloisirs et tourisme.
Les murs du siège d’ACCOR sont rapidement trop étroits pour son appétit et son talent qui lui permettent déjà d’être considéré comme le spécialiste maison des Resorts. Du coup, en l’an 2000, Hamid Bentahar obtient la direction marketing et produit d’une nouvelle marque, Coralia Club. Il ouvre 12 nouveaux hôtels la première année et 18 au total en trois ans de mandat. Assez pour finir de gagner les galons de sa légitimité. «C’est surtout l’école de l’humilité» précise-t-il.
En tout cas, c’est assez pour nager en eaux profondes.?En Tunisie, à Djerba précisément où il prend la direction de l’ensemble des hôtels ACCOR de la région (2002). Il a bientôt rendez-vous avec son destin, ses origines. Il quitte Djerba, au début de l’été 2004, pour renouer avec ses origines berbères, à Agadir où il préside aux destinées des trois hôtels du groupe français dans la capitale du Sous. Les miracles n’existent pas. Pourtant Hamid Bentahar les multiplie. En à peine deux ans, il accroît le taux d'occupation du Sofitel Agadir de 12 à 75 %. Un secret? «Je crois à l’intelligence collective» confie Hamid sans percer le mystère. «Je préfère fixer des objectifs plutôt que de distribuer des tâches. J’ai partagé avec les équipes la passion de ce métier, le sens de la responsabilité et l’autonomie.»
La vie sourit à Hamid Bentahar. Et sa carrière s’emballe. Parti de rien, il gravit tous les échelons. Il est nommé Area General Manager Sofitel pour le sud du?Maroc (2008), puis Vice Président pour l’ensemble du Royaume (2010) et enfin pour tout le continent africain (2012). «Ma mission première est de faire rayonner la marque Sofitel sur le continent Africain, monter de nouveaux projets et chercher des partenaires publics ou privés prêts à nous accompagner pour développer des hôtels de luxe en Afrique du Sud, Kenya, Tanzanie....» précise Hamid. «Sofitel est la seule marque d’hôtellerie de luxe française qui rayonne à l’international. Notre objectif de nous installer sur le segment du luxe est de ce fait totalement légitime. On doit aussi assurer le rayonnement de Sofitel sur le continent africain auprès d’une clientèle toujours plus mondialisée même si, au Maroc, le premier marché émetteur reste le marché français devant le tourisme national.»
D’ailleurs, Hamid Bentahar a été précurseur dans la volonté d’ouvrir les structures hôtelières aux locaux. «Avant d’être un lieu pour les touristes, le Sofitel de Marrakech est un lieu pour les marrakchis. On a été les premiers à lancer des journées piscine. L’espace thé connait aussi un vif succès auprès de la clientèle marrakchi.» On oublierait presque la réussite phénoménale du club le So Lounge. Après avoir fait ses premiers pas à Agadir, c’est à Marrakech qu’il a pris son envol pour se tailler aujourd’hui une réputation mondiale. Inauguré à l’automne 2010, le So Lounge a bénéficié de l’impact du Festival International du Film de Marrakech qui avait privatisé le lieu pour ses soirées privées.
Hamid Bentahar ne pouvait rêver meilleure communication surtout que le Festival du Film 2010 fut celui qui a réuni le plus de stars depuis la création de l’événement. De George Clooney à Jean Dujardin, de Marion Cotillard à Sophie Marceau, tous ont été vus au SO. «On ne maîtrisait rien: ni les entrées, ni la sécurité» confie Hamid Bentahar. «C’est l’organisation du Festival du Film de Marrakech qui gérait tout de A à Z.»
Aujourdhui, le succès du So Lounge ne se dément pas. «Le So Lounge comme le Sofitel conjugue judicieusement ses origines comme l’élégance française et l’art de recevoir avec le meilleur de la culture de chaque ville. Sofitel est une magnifique rencontre entre le raffinement du monde et l’élégance française, une rencontre qui trouve toute son expression dans l’art de vivre, la décoration intérieure, le design, le bien-être, l’art et la gastronomie. C’est pourquoi chaque Sofitel est unique au Maroc et possède sa propre personnalité, comme le dernier né, le Sofitel Casablanca Tour Blanche qui est une véritable maison des arts. Et c’est toute cette diversité et cette créativité artistique de Casablanca qui font que l'ouverture d'une magnifique adresse des arts comme le Sofitel Casablanca était une évidence. »
Chaque Sofitel offre une étape unique, au Maroc. «Pour chaque Sofitel, on fait du sur mesure» confirme Hamid Bentahar pas effrayé par la nouvelle concurrence, à Marrakech, du Delano à quelques dizaines de mètres, du Four Seasons, du Naoura Barrière et à un degré moindre du Selman, du Taj Palace et du Palais Namascar.
Pas peur, Hamid. «Au contraire, c’est une vraie bonne nouvelle et une opportunité pour nous» lance-t-il. «Marrakech accentue sa notoriété grâce à ces marques, nous drainant une nouvelle clientèle. Une petite ville comme Marrakech devient ainsi une des plus belles marques du tourisme mondial. Nous voyons d’ailleurs déjà arriver, des Américains, des Brésiliens, des Asiatiques.»
Hamid Bentahar a une vision très globale et très exhaustive de la question puisque il coiffe aussi les responsabilités de Président du Conseil Régional du Tourisme de Marrakech. Il évoque le problème de l’aérien dont la croissance est moins rapide que l’offre hôtelière: «il ne peut y avoir de grande destination sans grande compagnie nationale; la RAM a beaucoup fait pour le tourisme marocain et il faut lui donner plus de moyens.» Il parle emploi: «une chambre occupée c’est six emplois créés; il faut passer à une autre étape, celle de la promotion et la conquête de nouveau marché pour aller chercher de nouveaux clients notamment en Allemagne et les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine)».
Un vrai discours digne du monde politique dont il ne veut entendre les sirènes... «Vous ne m’aimez pas? Vous voulez que je me fasse des ennemis?» lance-t-il pour éluder la question. En attendant, il compile les distinctions. En 2010, il reçoit des mains d’Hervé Novelli, secrétaire d’état français, la médaille d'or du tourisme. En 2011, il a été réélu à l’unanimité au poste de Président du Conseil Régional du Tourisme. Un an plus tard, le jury du Worldwide Hospitality Awards lui attribue une place de finaliste Hospitaly Award 2012 du Meilleur Directeur Général luxe.
Aujourd’hui, la quarantaine juste sonnée, il a l’assurance de ceux qui ont réussi et le charisme de ceux qui viennent de loin. La barbe travaillée, les cheveux gominés, il sait que la séduction est une arme.
Il dit, sans réfléchir, sans surjouer la carte corporate du Sofitel, qu’il faut aller à Assouan, en Egypte, pour dénicher le plus bel hôtel de la planète et qu’il faut frapper à la porte du Sofitel Legend Old Cataract. Il dit aimer le printemps pour «vivre à ciel ouvert».
Il dit porter le noir pour son «goût du mystère», confie être très passionné et très tolérant, pardonner beaucoup «sauf peut-être la fainéantise», et rêve d’être un polaroïd pour «capturer des images d’une autre époque avec l’élégance et la beauté du monde d’aujourd’hui».