Gabriel Banon, le Kasparov de la géopolitique
On avait perdu le son de Gabriel Banon, un matin de juin, après qu’il a cessé sa collaboration avec Luxe Radio. On l’a retrouvé, en images, un soir de février, à Casablanca, au Sofitel Tour Blanche où une escale littéraire était consacrée à son dernier livre Un regard sur le monde, recueil de chroniques traitant des événements qui ont marqué la Planète, ces cinq dernières années.
Vendredi 20 février, il est 19 h30, nous attendons l’arrivée de Gabriel Banon, personnage que nous n’avions jamais vu, mais entendu, donc, sur les ondes marocaines. Nous sommes partis à la quête d’informations sur cette voix à nulle autre pareille, reconnaissable parmi tant d’autres.
Rien de tel qu’internet pour passer un homme au scanner. On découvre son blog Politiquement incorrect, qui reprend sa vision sur les écueils politiques que connait le monde comme le problème des frontières en Afrique ou le choc des religions et nourrit le livre qui justifie notre présence. Justement, la rencontre littéraire débute au Sofitel Casablanca Tour Blanche. Les journalistes et curieux sont installés dans une salle très tamisée, qui rappelle les ambiances feutrées du monde de la nuit. C’est donc en plissant des yeux et en essayant de sortir de la torpeur qu’impose l’éclairage que Gabriel Banon s’avance, flanqué de Mélanie Frerichs-Cigli, son ancienne complice sur Luxe Radio. La présence de cette dernière, qui anime la rencontre, donne une impression de déjà entendu, plutôt agréable.
Le brillant Gabriel Banon n’aime pas surjouer la fausse humilité de circonstance. Et ça, ce n’est pas une impression. En préambule, il glisse que certaines de ses « hypothèses s’étaient avérées justes et qu’elles offraient une description géopolitique des évènements récents ». Sa déformation professionnelle de diplomate l’oblige à bien définir les termes qu’il utilise comme la géopolitique qu’il décrit comme « l’étude des évènements passés et présents afin de prédire les actions futures ». Ainsi les bons géopoliticiens devraient être capables de prévoir trois coups d’avance sur ce plateau d’échecs qu’est le monde.
Ce maitre du jeu, à travers son livre, nous fait comprendre que tous les évènements qui se déroulent sur cet échiquier ne sont que la partie visible de l’iceberg. Les évènements à venir sont donc prévisibles si on possède une bonne lecture du jeu de l’adversaire. Tout au long de la rencontre, il nous donne, comme son ouvrage l’indique, un nouveau regard sur le monde dont il a fait son laboratoire géant en conseillant les plus grands (Pompidou, George Bush père, Arafat pendant une décennie et Poutine). «Il n’y a pas de hasard» dit-il. «Aucun événement n’est spontané et beaucoup sont préparés depuis plusieurs années ».
Prenez donc place, le Kasparov de la politique va nous expliquer la position des pions de chaque pays. Il est conseillé de ne pas perdre son latin. «C’est le bazar partout» confirme Gabriel Banon. Commençons juste par les tensions qui existent entre la Russie et l’Occident sur lesquels plane l’héritage de la guerre froide. «Lorsque l’URSS s’est effondrée, elle a implosé» rappelle l’expert Banon. «L’Europe n’était pas assez forte et elle se pliait donc aux exigences des Etats Unis. Les Américains pouvaient alors soit faire intégrer l’ancienne URSS dans le système capitaliste, soit l’ignorer. Ils ont finalement choisi une voie fidèle à leur idée protestante qui est fondée sur le besoin de se battre contre un ennemi, pour justifier leurs actions et les présenter comme étant celles des libérateurs et des défendeurs de la démocratie».
Et ce n’est que la mondialisation économique qui a calmé ce jeu bipolaire. «Mais l’idée, l’action du pentagone a continué dans cette voie protestante» précise GB. L’expansion, coûte que coûte, de l’Union Européenne pour imposer l’OTAN dans l’Est en est, d’ailleurs, un parfait exemple. «L’Union encercle aujourd’hui toute la Russie» explique GB. «Il ne manquait plus que l’Ukraine et pour être plus précis la Crimée qui abrite toute la flotte Russe. Il était donc prévisible que Vladimir Poutine réagirait, et il ne cédera jamais sur l’Ukraine».
Impossible de ne pas se rendre compte du jeu néfaste de la politique étrangère américaine dont le système de bipolarisation est le premier virus. «Comme le disait De Gaulle, l’Europe devrait s’établir de Dunkerque à l’Oural» dit Gabriel Banon. «Avec cette semi-guerre froide, on jette la Russie vers la Chine, ainsi qu’en attestent les accords économiques signés entre eux.»
Pas folle la guêpe. La Chine est d’ailleurs le partenaire idéal, en sa qualité de première puissance économique mondiale. D’ailleurs, quand on demande à GB, avec quel chef d’Etat il aimerait travailler aujourd’hui, il répond sans hésiter, Xi Jinping. «J’attends son coup de fil» s’amuse-t-il. «La Chine est en pleine ébullition et une nouvelle économie chinoise va voir le jour. La force de la Chine, c’est sa démographie et la montée d’une classe moyenne, différente de celle du Maroc, car elle a la capacité d’épargner. La Chine connait un vrai chamboulement. Elle se reconvertit et investit dans son marché intérieur et sa main d’œuvre se qualifie. Elle délocalise même son industrie pour trouver une main d’œuvre moins coûteuse, une nouvelle qui va faire pâlir l’occident».
L’alliance économique entre la Russie et la Chine s’étend même au conseil de sécurité des Nations-Unies où ils font bloc. Cette nouvelle force au sein même du conseil de sécurité à de graves impacts sur l’action de la communauté internationale. «La Syrie paie aujourd’hui le jeu de BHL et les autres qui ont joué aux apprentis sorciers» avance GB. «L’intervention en Lybie avait été présentée comme une zone d’exclusion aérienne mais elle est devenue militaire. C’était la seule manière d’avoir l’unanimité au Conseil de sécurité. La Russie et la Chine n’ont pas apprécié ce passage en force. Dorénavant, pour que le conseil de sécurité des Nations Unies agisse, la Russie et la Chine demandent que l’opération soit détaillée dans un programme clair afin que personne ne puisse s’en écarter.» La Syrie est donc, selon le maitre d’échecs «une victime collatérale», le monde est alors «un puzzle, avec un effet domino».
GB n’a pas manqué d’aborder le conflit israélo-palestinien et de rappeler que l’Etat d’Israël a été créé par une résolution des Nations Unies qui précise la création d’un Etat juif à coté d’un Etat palestinien. «Il faut donc lire la volonté de l’ONU d’imposer sa décision et faire cesser ses interminables négociations ou l’attente de l’avènement de deux grands leaders comme Arafat et Rabin, qui avaient su trouver des compromis tout en prenant compte des limites de chacun». Il convient de rappeler qu’à ce moment-là de l’histoire, Gabriel Banon, était le conseiller de Yasser Arafat. Il nous offre donc une plongée dans les coulisses.
Echec et mat...