Crêpe dentelle: Quand Thierry Houel célèbre le mariage de la terre et de la mer.
Thierry Houel porte un nom prédestiné, qui signifie en Bretagne : le mariage de la terre et de la mer. A la Crêpe dentelle, depuis 13 ans, il est fidèle à ces deux influences. Il reproduit les gestes de sa grand-mère pour obtenir des galettes de sarrasins si exceptionnelles qu’elles sont les seules crêpes citées régulièrement au Gault et Millau depuis 8 ans, si fines, que l’on croirait de la dentelle…
Janvier 2009, lundi soir, 19h30. Le froid de ces derniers jours n’entame pas le courage des plus gourmands, bravant les plus bas mercures de l’année pour déguster leurs crêpes préférées. Lorsque Thierry et son épouse, Catherine, arrivent, 4 personnes déjà attendent au pas de la porte d’occuper la table qu’ils ont réservée. Thierry enfile son tablier, et passe dans sa cahute de crêpier. Il vérifie ses sauces, ses ingrédients et, son beurre à porter de tir, s’apprête à dégainer des dizaines de galettes durant la soirée.
“Ma grand-mère était crêpière à Saint-Quai-Portrieux” précise Thierry. “C’est elle qui m’a tout appris. Je travaille ma pâte comme elle le faisait”. Cette remarque semble touchante mais anodine, convenue. C’est là pourtant que réside les secrets de la seule crêperie française répertoriée au Gault et Millau !
Des secrets qui traversent les générations de la Bretagne à la rue Léopold Bellan puisque le meunier de Thierry n’est autre que le petit fils du meunier de sa grand-mère ! Au Moulin de Carmemais, on laisse exceptionnellement la meule un peu plus longtemps faire son œuvre pour la farine des crêpes de Thierry, tout comme on le faisait pour les crêpes de Saint-Quai. “Plus la mouture est fine, plus les arômes du sarrasin se diffusent et prennent corps”.
Mais il y a un second grand secret dans la fabrication de la pâte de Thierry, c’est l’huile de coude. Selon lui, l’erreur est d’utiliser un fouet électrique qui chauffe la pâte et l’abîme. Chaque matin, relavant ses manches, il fouette 20 bonnes minutes sa précieuse préparation à la main. Alors même si leur présence au Gault et Millau depuis 2000 reste une énigme, elle est loin d’être un hasard. “Chaque année, un client mystère vient, et chaque année depuis 2000, nous avons eu la chance de recevoir une notification nous indiquant que notre adresse serait à nouveau citée dans le Gault et Millau. Nous avons été un peu surpris, nous sommes l’unique crêperie du guide. On a tenté d’appeler pour savoir comment ils nous avaient repérés, mais ils ne donnent absolument aucune explication” explique Thierry.
C’est que la chance a souvent marqué les aventures de la Crêpe dentelle. Lorsqu’il décide d’ouvrir sa crêperie, Thierry vient de perdre son emploi de directeur commercial dans une société de cadeaux et d’orfèvrerie, qui dépose le bilan. A 42 ans, on lui annonce qu’il est un vieillard. Pas tout à fait convaincu par cet argument, il se met sur les rangs pour reprendre le local de sa future crêperie. Quinze candidats le briguent. Le propriétaire impose un droit au bail, mais après avoir rencontré Thierry et malgré d’autres dossiers plus assurés, il laisse le lieu au crêpier, renonçant même au droit au bail tant le projet de Thierry lui plaît. Catherine quitte alors son travail dans le prêt-à-porter dans un Sentier, en perte de vitesse, pour aider son mari.
A l’époque le quartier n’était pas aussi vivant qu’aujourd’hui, mais dès le jour de l’ouverture, ils font le plein. Pari réussi, depuis cet heureux jour l’endroit n’a jamais désempli. Mieux, au-delà de l’arrondissement, les galettes de Thierry sont célèbres dans le monde entier : Etats-Unis, Australie, Israël, Japon où Thierry est presque une star. “L’autre jour, Thierry avait pris du retard, des Japonaises sont arrivées et m’ont montré une photo de lui dans un magazine japonais en me demandant si mon mari allait venir. Je suis restée stupéfaite de voir leur visage s’irradier de bonheur au moment où il est arrivé” raconte Catherine! Dernièrement, des investisseurs lui ont même proposé de s’implanter à Dubaï.
Tout ceci bien entendu fait rêver notre marin globe-trotter qui serait très heureux de concilier sa passion des voyages et son savoir-faire de crêpier. Il n’attend pourtant après aucun investisseur pour assouvir ses rêves. Il y a trois ans notamment, il a enfin pris le temps d’en réaliser un qui lui tenait à cœur, franchir le Cap Horn. En bon breton, il n’aime pas que les crêpes, il est également féru de voile. Pour notre plus grand bonheur d’ailleurs, car s’il abandonne son poste de crêpier pour ses quarts de marin, il n’oublie jamais de ramener dans ses valises une belle idée pour faire voyager nos papilles. Les Maldives lui ont inspiré une galette insolite à base de raie, le Cap Horn, une autre étonnante avec du crabe…
Il est inutile de préciser qu’à l’instar du soin qu’il met à sa pâte, celui de la sélection des ingrédients qu’il travaille est tout aussi parfait. Jolie et poétique coïncidence, le nom de famille de Thierry, prédestiné, est Houel, et signifie en Bretagne : le mariage de la terre et de la mer.