Comptoir de la gastronomie: de père en fille.
Dès l’âge de 8 ans, Fanny jouait à la marchande et tenait la caisse de la boutique de son papa. Pour elle, le 34 de la rue Montmartre fourmille des souvenirs d’une enfance passée dans la mémoire des anciennes Halles.
Le quartier des Halles, chez les Loï, c’est toute l’histoire de leur famille. Dominique lorsqu’il était enfant suivait déjà son père à travers l’effervescence des pavillons Baltard. Plus tard, alors qu’il vendait lui-même des œufs à l’emplacement de l’actuel Mokuba, toujours rue Montmartre, il se souvient que les cartons d’œufs servaient de terrain de jeu à ses deux infatigables filles, Fanny et Lucie.
A l’époque où Dominique se dirige vers les métiers de la cave, Fanny se souvient que « papa nous emmenait, chacune un dimanche sur deux, faire la tournée de ses boutiques ». Il en a eu jusqu’à 22 dont celle actuellement occupée par Le Repaire de Bacchus, rue Montorgueil. En 1989, Dominique entame son aventure au Comptoir de la Gastronomie, l’incontournable épicerie fine à l’angle des rues Montmartre et Etienne-Marcel. « Mes filles ont vécu au rythme de la boutique, le 25 décembre, nous étions obligés de travailler pendant que les petites testaient leurs jouets au milieu des foies gras et des saumons fumés » explique Dominique. «Pour moi, ce ne sont que des bons souvenirs » ajoute Fanny.
L’attendrissant papa poule se rend bien compte qu’alors que sa fille aînée, Lucie, file vers une carrière dans le cinéma, la plus jeune ne se découvre pas une passion irréversible pour les études. « J’ai su avant Fanny que l’école ne lui convenait pas, lorsqu’elle m’a dit qu’elle aimerait se former aux métiers de l’hôtellerie et de la restauration, je l’ai encouragée, à la seule condition qu’elle fasse un vrai apprentissage ».
Fanny étudie donc à l’école Médéric dans le XVIIè. Alors qu’elle a 18 ans, en 2002, le hasard veut que la boutique voisine du Comptoir, une épicerie bretonne, vende son local. Dominique en profite pour la reprendre et créé un restaurant dans la continuité de l’épicerie. Lui se levant très tôt le matin, il laisse vite Fanny aux commandes du restaurant le soir. Il sait que c’est un défi de taille pour une jeune femme de 18 ans, mais elle le relève sans faiblir.
Quand on leur demande s’il est difficile de travailler ensemble, les deux sourient, un peu gênés, une complicité muette les lie, une pudeur, sans doute reflet de leur professionnalisme à cet instant les retient mais on les sent si fiers l’un de l’autre. Pour briser ce moment de tendresse flottante Dominique lance avec humour « Je crois que je suis un éternel papa poule, et les guêpes ne sont pas folles, elles savent que le miel est bon ! »
Ici, il n’y a pas que le miel qui soit bon. Foie gras de la Maison, truffes fraîches, saumon sauvage de la Baltique, champagnes, Pantagruel lui-même ferait ici son marché et s’attarderait sans aucun doute à la table du restaurant de Fanny. Le concept du restaurant est double. D’un côté, les spécialités du sud-ouest, vendues également à la boutique sont servies dans la plus pure tradition, de l’autre, le chef américain, William, laisse libre cours à son imagination et a mis en place une carte originale et très créative. Cela dit, comme tout américain qui se respecte, la blanquette de veau reste son plat français fétiche !
Depuis quelques mois, Fanny a tenu à restaurer la mémoire des Halles et l’esprit bistro. Dé-sormais, on peut venir déguster une belle planche de charcuteries et un verre de vin à toute heure de la journée puisque le restaurant est ouvert en service continu de 12h à 23h. C’est l’occasion de goûter les produits de la boutique et de trouver l’inspiration pour préparer Noël.
À l’heure du thé, on peut aussi venir découvrir l’un des desserts maison. Fanny est en train de mettre en place d’amusantes formules apéritives autour de « tapas » à sa façon, où un verre de Quincy accompagnerait un peu de saumon, de blinis et de tarama, pendant qu’une autre assiette de rillettes, magrets fumés et de saucisson ferait la fête à un Saint-Estèphe.
A propos des merveilleux saucissons de la Maison, lorsque l’on demande au père et à la fille, indépendamment, ce qu’ils emporteraient sur une île déserte, les deux optent sans se concerter pour un saucisson, du lomito pour mademoiselle, une rosette nouvellement référencée à la boutique pour son père. Ils tombent décidément d’accord sur tout. Il y a autre chose enfin qui va réunir tout le monde, et surtout les connaisseurs du quartier, c’est qu’au mois de décembre, le fameux brunch du dimanche au Comptoir reprend du service puisque l’épicerie et la boutique ouvrent 7 jours sur 7 durant tout le dernier mois de l’année. Le plus délicieux endroit sans doute pour faire ses cadeaux dans le quartier, tranquillement chouchouté à l’une des tables de Fanny, faites emballer pour toute la famille les plus belles découvertes culinaires de son papa.
Dominique Loï: «Il n’y avait pas de bureau dans les Halles, tout se traitait au bistro...»
Dès qu’il fut en âge de la faire, Dominique Loï accompagnât son père dans les fourmillantes Halles. Un peu plus tard, il travaillât avec lui dans les produits laitiers, rue Etienne Marcel et rue Montmartre.
Clin d’Oeil : Quels souvenirs gardez-vous de l’ambiance des Halles ?
Dominique Loï : Quand on n’a pas connu les Halles, on ne peut pas imaginer ce que c’était. La nuit il y avait une activité phénoménale, c’était la fête. Aujourd’hui, il y a des grossistes dans chaque région, à l’époque, les Halles fournissait la France entière. Je me souviens de monceaux de bananes qui arrivaient par paquebots entiers.
Y’a t’il des anciens des Halles aujourd’hui à Rungis ?
Très peu. Je travaillais dans les produits laitiers or aujourd’hui il y a trois grandes coopératives européennes mais plus aucun indépendants quasiment. La Maison Baudoin qui possédait la moitié du pavillon des produits laitiers a été le premier à faire faillite à Rungis. Il n’y avait pas de bureau dans les Halles, tout se traitait au bistro. J’ai travaillé un peu à Rungis, il n’y a plus d’ambiance. "
Vous êtes nostalgique ?
J’ai passé des années fabuleuses dans les Halles, sans être nostalgique, je préférais le quartier tel qu’il était avant. Tout le monde gagnait sa vie, même les clochards étaient gras. On ne pourra jamais refaire ce genre de village dans Paris. Imaginez, les chauffeurs des camions gagnaient suffisamment d’argent pour payer des étudiants à décharger leur camion pendant qu’ils allaient faire la fête ."
La fête ?
Le quartier a beaucoup changé, il y a avait énormément de professionnelles… je me souviens tout jeune, passant devant les nombreuses filles du boulevard Sébastopol avoir demandé à mon père ce que faisaient ici toutes ces femmes. Il m’a répondu très gêné qu’il s’agissait de secrétaires ! Mon père était sarde, très traditionnel. Quand je suis devenu un jeune homme, un de ses amis était venu me dire discrètement qu’une fille m’attendait… je n’ai pas eu le temps d’en profiter, mon père m’avait rattrapé dans l’escalier de l’hôtel de toutes les promesses envolées ."
Pourquoi êtes-vous resté quand tout a été démoli ?
En réalité, à ce moment là j’ai revendu le local que nous occupions. Aujourd’hui il s’agit de Mokuba. Une fois vendu j’ai eu un vrai coup de blues à l’idée de quitter le quartier. Je n’aurais jamais cru que cela me ferait un tel effet. C’est alors que j’ai repris le Comptoir. Je ne regrette pas d’être resté, les premières boutiques de fringues se sont installées et la mère de mes enfants étaient l’une des responsables de ces magasins de vêtements qui faisaient leur trou entre deux vieux bouchers déboussolés. "