Benazzi: Au Maroc, évolution rime avec tradition
Avril. 2016 \\ Par Jérôme Lamy

Ancienne star  du rugby mondial  sous le maillot français,  Abdelatif Benazzi se bat aujourd’hui, au Maroc,  pour changer le destin  d’enfants défavorisés, à la tête de son association Noor. Il mise sur le développement social et le potentiel économique de son pays, le Maroc et de sa ville d’origine, oujda. Et nous a confié son bonheur d’intégrer la Fondation Mohammed VI des champions sportifs.

Zinédine Zidane a confié, récemment, avoir découvert le rugby grâce à lui, lors de la Coupe du Monde 1995, en Afrique du Sud où Abdelatif Benazzi a échoué à cinq centimètres du bonheur en demi-finale sous le maillot français contre les protégés de feu Nelson Mandela. Abdelatif Benazzi, c’est le Tabbouz (le grassouillet). C’est ainsi qu’on surnommait le gamin d’Oujda ! Très grand et trop bien portant: Abdelatif Benazzi traverse son enfance avec un surnom aussi lourd à porter qu’un sac rempli de plomb.
Replié sur lui, c’est dans le sport qu’il trouve le moyen de s’exprimer et dans l’amour de ses parents, qui possédaient la plus grande fabrique de farine d’Oujda, qu’il obtient le réconfort. C’est sans doute pour cela, qu’aujourd’hui, il s’occupe avec autant de sacrifice et d’abnégation des jeunes de la région d’Oujda où il est né. «Quand la vie t’a beaucoup donné, il faut savoir rendre; c’est un juste retour des choses» précise la star du rugby mondial.
A la tête de l’Association Noor (lumière en arabe), depuis 2002, celui qui fut le premier Nord-Africain, à porter le brassard de capitaine de l’équipe de France de rugby (79 sélections de 1990 à 2001) essaye, en effet, de changer  le destin d’enfants défavorisés et de les faire bénéficier d’infrastructures scolaires et sportives dans la grande région d’Oujda. C’est dans ce cadre-là qu’il a organisé récemment la 2e édition de l'Oriental Legend Pro-Amateur au Palmoral Golf de Saidia (6 au 9 juin 2013) avec la participation, notamment, du nouvel entraîneur du PSG, Laurent Blanc.
Golfeur accompli - il est 11 de handicap , Abdelatif Benazzi nous a reçus au Golf de Meknès. Il nous a confié son bonheur d’intégrer la Fondation Mohammed VI des champions sportifs, ainsi qu’en a décidé le conseil d’administration présidé par l’ancien ministre des sports (2009-2012) Moncef Belkhayat et honoré par la présence d’Abdeslam Ahizoune, président de la Fédération royale marocaine d’athlétisme.

Clin d’œil.- Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le sport a été un exutoire dans votre enfance?

 

Abdelatif Benazzi.-

A 14 ans, je pesais déjà plus de 100 kg pour 1m90. Mon gabarit était marginal, à tel point que j’ai eu droit à quelques moqueries. N’empêche, j’ai eu une enfance heureuse à Oujda surtout grâce à la pratique du sport qui gomme toutes les différences. J’ai commencé par le foot, une institution. A Saida, il y 14 kilomètres de plage et, chaque soir, à partir de 17h, des matches de football étaient organisés sur toute la longueur de la plage. J’étais lent, emprunté à cause de ma taille. Alors, on m’a confié le poste de gardien de but. J’étais vexé.?Du coup, j’ai basculé vers le lancer de disque. C’est là que j’ai commencé à apprécier la saveur de la sueur.

Comment avez-vous découvert la pratique du rugby, marginale au Maroc?

Au contraire, le rugby est très populaire dans la région d’Oujda. J’ai découvert ce sport au collège grâce à un éducateur, Souilmi. Cela a été une vraie révélation. Nous avons été champions du Maroc scolaire. Ensuite, un entraîneur Allemand, Reinhart Janik, qui appartenait au club de L’union Sportive Oujda, m’a convaincu de prendre une licence. Il a eu raison car j’ai été sélectionné en équipe du Maroc juniors avec laquelle j’ai participé à un tournoi international, à Bruxelles, en 1986. C’était ma grande découverte du rugby français. Nous avons été battus par la France 82-0. Je suis rentré à Oujda avec le sentiment d’humiliation et un nez cassé. Moi, qui faisais le dur dans mon quartier, je suis revenu à Oujda, tête basse, et vexé d’avoir pris une leçon par les Européens.

N’avez-vous pas eu envie d’arrêter le rugby ?

Non, j’ai mesuré le chemin à parcourir pour atteindre ce niveau-là. Avec l’équipe du Maroc, nous avons disputé des rencontres plus équilibrées dans les pays de l’Est, à Moscou et à Prague. Et, c’est en Tchécoslovaquie, en 1988, que j’ai été remarqué par des dirigeants du petit club français, d’Auch. Ils ont rencontré mes parents pour obtenir l’autorisation de m’inviter dix jours, en France. Là-bas, j’ai découvert les douches chaudes, une salle de musculation digne de ce nom et une ferveur populaire incomparable. La première année fut merveilleuse. J’ai terminé meilleur marqueur d’essais de 2e Division alors que je jouais 2e ligne. L’exploit m’a permis d’être contacté par une demi-douzaine de clubs de 1ère Division, notamment Agen où j’ai décidé de poser mes valises.

Comment avez-vous vécu ce changement de vie?

Mon intégration à une culture différente fut un peu difficile. Le rugby français était un peu conservateur. Le fait de ne pas manger comme tout le monde, de ne pas boire d'alcool, ça fait de vous un extra-terrestre pour certaines personnes. Mais si on dialogue avec tout le monde et si on reste fidèle à ses convictions, il apparaît évident que cette différence est une richesse. Rapidement, j’ai trouvé dans le sport et dans le rugby une seconde famille. J’ai fait mes preuves sur le plan sportif. Tant et si bien qu’en fin d’année, j’ai été sélectionné en équipe de France pour la tournée en Australie où j’ai eu le bonheur de vivre ma première sélection même si j’avais été expulsé. J’ai eu mon passeport français en une semaine.

Avez-vous hésité à accepter de jouer pour les couleurs de la France?

J’avais déjà été sélectionné avec l'équipe du Maroc contre l'équipe de Belgique, en 1990. Je ne me suis donc pas forcément posé cette question. Mais mon ambition sportive et ma réalisation personnelle passaient par ce choix-là. L’important, c’est de ne pas perdre ses valeurs, ni sa culture. C’était aussi une opportunité de faire briller les couleurs du Maroc, dans le monde entier. Je crois que les Marocains ont compris tout cela.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué, en France?

A mon arrivée en France, j’ai été frappé de constater que beaucoup de personnes âgées étaient livrées à elles-mêmes, ce qui est inconcevable dans ma culture arabe et musulmane. Les maisons de retraite n’existent pas, au Maroc. Avant sa disparition, mon père et mes oncles se disputaient la garde de ma grand-mère. Parce que chez nous, c’est un honneur et un devoir de veiller et de prendre soin de nos anciens.

Est-ce que les valeurs de votre jeunesse, au Maroc, vont ont aidé durant votre carrière?

Certaines valeurs sont universelles. La valeur travail, le respect, c’est fondamental pour avancer et pour réussir à faire accepter sa différence à l’autre. On s’approprie toutes nos différences et ça fait une seule personne. On ne peut pas réfléchir avec une seule culture dans cet univers. Et notre différence est un bien commun.

Aujourd’hui, cette différence, vous la mettez au service de l’association Noor qui doit permettre aux enfants défavorisés d'accéder à la scolarisation dans la région d'Oujda...

Quand on termine une carrière, il semble normal de mettre sa notoriété et sa personnalité au service des autres. S’engager dans la région d’Oujda qui n’est pas encore assez touristique et un peu isolée du reste du Maroc, est forcément pour moi un retour aux sources. Il y a ici une vraie demande de la jeunesse sur le plan sportif et scolaire. En onze ans, l’Association Noor a construit ou rénové huit écoles. Ces écoles permettent d’éclairer les destins d’enfants défavorisés et de leur faire bénéficier d’infrastructures pour avoir une vie décente et un espoir d’avenir. Nous favorisons également l’insertion des enfants par la pratique du sport, notamment par le rugby. Avec des amis sportifs qui croient au projet, comme Laurent Blanc, l’ancien sélectionneur de l’équipe de France de football,  j’organise aussi des événements. Ainsi, la 2e édition de l'Oriental Legend Pro-Amateur de Golf à Oujda (6 au 9 juin 2013) a été un succès. Ce genre d’opération nous permet de mobiliser des ressources pour financer la construction de ces structures scolaires dans un périmètre de 100 kilomètres autour d’Oujda. On a également invité des enfants qui n’avaient jamais vu la mer pour qu’ils s’initient au sport avec les champions.

Comment jugez-vous l’évolution du Maroc?

Le Maroc est en mouvement perpétuel et exceptionnel. C’est un pays qui change mais qui sait changer en restant fidèle à son histoire et ses coutumes. Au Maroc, évolution rime avec tradition dans le sens du progrès social et économique. Le Maroc est un trait d’union unique entre l’Orient et l’Occident. Je viens au Maroc tous les deux mois et, lors de chaque séjour, je découvre quelque chose de nouveau.  Depuis l’accession au Trône de sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc bouge non seulement sur le plan des infrastructures, sur le plan des relations et des partenariats avec les pays étrangers, mais aussi et surtout sur le plan social, notamment avec l’accès aux soins. Lors de mon dernier repérage pour chercher un emplacement pour une école, j’ai été surpris de voir l’arrivée de l’électricité au pied d’une montagne alors que quelques mois auparavant il n’y avait rien. Dans un pays aussi rural que le Maroc, ça fait chaud au cœur.

Comment expliquez-vous ces changements?

La transformation du?Maroc est liée à la personnalité de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Son sens de l’unité nationale, sa proximité avec les gens simples donnent une vraie dimension d’apaisement et de confiance aux Marocains. C’est inestimable et extraordinaire si on compare la situation de notre pays avec les tensions actuelles dans le monde arabe.

On parle souvent de crise identitaire. Vous sentez-vous marocain ou français?

Vous ne pouvez pas me demander de choisir entre ma mère et mon père ! Nos deux pays sont tellement proches et tellement importants pour moi. Le Maroc fait partie de mon corps, de mon cœur et j’ai adopté la France. J’ai quarante-quatre ans, j’ai vécu vingt ans au Maroc et le reste du temps en France. Je reste toujours  fidèle à mes convictions,à mes traditions liées au Maroc. Et en France, j’ai également une vraie implication, un rôle à jouer notamment au contact de la communauté marocaine. Aujourd’hui, en 2013, on ne fait pas attention à nos différences.

Vous avez été nommé par le Président Jacques Chirac, en 1997, au Haut Conseil à l'Intégration. Quel bilan avez-vous dressé après cette expérience républicaine?

En participant à cette cellule de réflexion apolitique de 1997 à 2001, j’ai eu la chance de rencontrer une femme exceptionnelle comme Simone Veil. L’intégration, c’est bien sûr respecter les lois et les valeurs de son pays d’accueil mais c’est aussi rester soi-même, ne pas se renier. Quand on change son identité, on se perd. On est en manque de repère. De la même façon, ce n’est pas parce que quelqu’un est en France depuis quatre générations, qu’il doit imposer sa supériorité. ça ne doit pas exister.

Etes-vous tenté par une expérience en politique en suivant le modèle de Nawal el Moutawakil, au Maroc ou de Bernard Laporte et David Douillet, en France?

Un sportif de haut niveau, consciemment ou pas, est en mission. Il est porteur d’un message. J’ai horreur des clans, des camps et des réseaux.?Ma liberté n’a aucun prix. Je travaille avec tout le monde, je comprends tout le monde mais je ne choisis personne. J’ai reçu la Légion d’Honneur des mains de Martine Aubry et j’ai été fait Officier de l’Ordre National du Mérite par Nicolas Sarkozy. M’engager dans un parti politique est inconcevable. Ce n’est pas dans mes compétences. La politique est un milieu à part. Il faut y être né. Cela étant, je respecte les choix et les engagements des autres sportifs.

Votre projet de promotion immobilière dans la région de Saidia, avec la star de la publicité française, Jacques Séguéla, est-il toujours d’actualité?

C’est un projet qui existe, c’est vrai. Jacques Séguéla fait partie des personnes qui croient à ce projet, à l’avenir du Maroc en général et de la région de Saidia en particulier, malgré la conjoncture actuelle. Personnellement, je m’inscris, au Maroc, non seulement sur le plan social mais aussi sur le plan économique. Je crois en mon pays avec force et conviction.

Pouvez-vous nous parler de votre passion pour le golf?

J’ai commencé lorsque je suis arrivé en Angleterre, en 2001. J’ai été piqué par le virus. Depuis la fin de ma carrière en 2003, c’est devenu ma passion. Je joue donc régulièrement, surtout au Maroc qui est devenu la paradis des golfeurs du monde entier.

Quel est votre parcours préféré?

Le Palmoral Golf de Saidia ! C’est le golf le plus près de Paris à 2h05 en avion (rires). Il n’a que 4 ans et demi d’existence, et c’est déjà un must.

Quel est votre meilleur souvenir de golfeur ?

J’avais parié et gagné 150 euros sur un match de rugby avec Ernie Els, la star sud-africaine du golf. Il me connaissait depuis une troisième mi-temps mémorable que nous avions passée ensemble en 1995 durant la Coupe du monde. Le lendemain de ce pari, je jouais avec lui le Pro-Am du Trophée Hassan-II. Et il a gagné le tournoi ! Ernie Els a un swing fabuleux. Quel souvenir !

Pouvez-vous nous citer vos meilleures adresses de restaurants?

J’ai un coup de cœur pour Le Palais du Jardin, le restaurant du Sofitel sea and spa, à Agadir. Toujours à Agadir, j’adore le Golf Royal, pas seulement pour pratiquer le sport mais pour goûter le meilleur tajine de la ville. Pour le couscous, c’est à Oujda que ça se passe, chez ma mère; table ouverte en permanence ! Enfin, à Marrakech, je passe toujours au Studio, chez mon ami Steeve Verbeek, un gars du nord, sommelier de métier,  vraiment sympa qui fait beaucoup pour le rugby dans la ville rouge...  Et comme son associé, Didier Beckaert, est un chef cuisinier de talent, je ne rate jamais une occasion de leur rendre visite.