Au Chien qui fume: Rachid aux mains salés.
Apeine 20h, un mardi soir comme un mardi, à la sortie « Berger »du Forum des Halles dont l’escalator crache des nuées de transportés en commun, désabusés par un début de semaine qui hésite entre crachin et petit vent cinglant.
A peine 20h, alors que les parisiens regagnent leurs pénates, les lumières chaleureuses du Chien qui Fume les égayent un peu. Rachid lui, commence sa longue nuit. Un fond de jazz, une ambiance typique de grande brasserie parisienne, cohue et grand service tout mélangés, voici planté le décor de la vie de l’écailler.
Ici, jamais ne se croisent les britanniques aux estomacs précocement affamés et les amateurs de théâtres et de tardifs soupers . Rachid lui, leur ouvre à tous, depuis 27 ans, ses huîtres les plus goûteuses. Simone, Alain et leur petit-fils, Cyril, s’installent au fond de la salle, tout or, miroirs et chiennes affiches et breloques ornée.
Ils viennent depuis 15 ans, de loin, depuis Antony, au moins une fois par semaine, en RER. Ils commandent à dîner. Rachid lui, entame son deuxième café de la soirée. Il va saluer Simone, Alain et Cyril puis part s’exiler dans sa cahute. 17 ans qu’il en fait le petit tour chaque soir.
Avant le Chien qui Fume, à son arrivée à Paris, il a commencé à faire du coquillage à La Coupole, au Lutétia, et de l’autre côté des Halles, Au Pied de cochon. Le milieu de la nuit il connaît, «toute ma vie est nocturne».
Il en connaît les plaisirs, les écueils: « Au début, en arrivant d’Algérie où j’étais restaurateur, Paris m’a étourdi. On oublie alors ses valeurs, ses racines ».
Pourtant Rachid aime la nuit, Paris est la seule ville où il se verrait vivre justement car c’est la seule ville en France qui vit tous les jours 24/24h. « Dans aucune autre ville du pays on ne trouve autant de restaurants ouverts toute la nuit ».
Et la nuit, chacun sait que les chats ne sont pas tous gris, beaucoup rivalisent à briller parmi les étoiles. « Les plus grands amateurs d’huîtres restent les Français, malgré notre clientèle très internationale. Les Italiens aussi les apprécient. Mais les Français se différencient en cela qu’ils commandent un plateau pour 12 alors qu’ils sont simplement en couple pour être certains d’avoir la plus belle table du restaurant.» Peut-être les coquillages à perles sont-ils vraiment à la hauteur de leur réputation de grand aphrodisiaque ??? Rachid pour sa part confie qu’ils n’ont aucun effet sur lui. Le spécialiste ne s’en est cependant jamais lassé. Il l’aime nature, sans artifice, ni citron, ni vinaigre, « bons pour les débutants » selon lui.
En ce moment il a un faible pour la Gillardeau de Marennes « c’est le top » lance t’il, « il faut qu’elle soit pleine, qu’elle remplisse bien la coquille et surtout qu’il y ait de l’eau à l’intérieur ».
27 ans à ouvrir des huîtres, cela pourrait vous saler les mains à les en faire tomber. Celles de Rachid sont impeccables car il a un secret, il rince ses mains entre chaque huître.
Il se souvient pourtant qu’il y a quelques années, le métier était beaucoup plus dur. Les huîtres étaient moins chères, les commandes plus importantes. « Lorsque je travaillais Au Pied de cochon, il y avait 8 écaillers, aujourd’hui ils ne sont plus que 5. Au Chien qui Fume, nous ne sommes que deux. L’ambiance est plus conviviale, plus intime».
Tout intime soit-elle, il n’en reste pas moins que Rachid ouvre, en moyenne, chaque soir, 1200 coquillages et honore les commandes des plus exigeants gourmets. « J’ai des clients qui viennent de Lille pour un de mes plateaux, lorsqu’ils rentrent chez eux, plus tard dans la soirée, ils m’appellent toujours pour me remercier. »
Rachid est fier de son métier, de sa place, de cette brasserie, institution du quartier des Halles où il a choisi de poser ses bourriches. Il regrette un peu que les grands noms de la brasserie parisienne cèdent leur valeur gastronomique à celle de l’euro et soient rachetés les uns après les autres par de grands groupes sans âme. Il n’est pas 20h, des ombres grises accélèrent le pas rue du Pont-Neuf car elles ont froid. Rachid lui, réchauffe tout le monde.