Arthur Benzaquen: "Je veux démocratiser le luxe"
Il y a une petite histoire qui raconte que plus jeune vous vous étiez fait virer par vos parents du Ken Club. Est-ce que vous confirmez?
J’ai commencé à travailler assez tôt après un embryon d’étude de droit. Tout d’abord, comme responsable d’un Moule à gâteau à Neuilly, puis à l’accueil du Ken Club où j’ai effectivement été viré par mes parents. Je ne travaillais pas assez. En fait, je fourmille d’idées mais je n’ai jamais été travailleur. Quand je prends du plaisir, je fais néanmoins tout pour mener mon idée à son terme.
Vous avez baigné très tôt dans le milieu artistique en écrivant notamment des textes pour les Guignols ou Raphaël Mezrahi. Comment est-née cette passion? Mes parents sont arrivés d’Afrique du Nord avec des complexes d’intégration. Ils ont eu deux enfants. Le premier devait faire partie de l’élite intellectuelle de la France et le second devait se rapprocher de ce qui brille, du show-bizz. Il faut savoir que mon oncle, Frankie Jordan, a été un des pionniers du rock dans les années 60 avant de se consacrer au métier de dentiste. Pour la petite histoire, mon faire-part de naissance est un 45 tours avec mon père qui chante : “j’ai le plaisir de vous annoncer la naissance de mon fils: il s’appelle Arthur”. A la fin du disque, mon frère qui avait deux ans et demi parle et dit : “je m’appelle Frank-Elie, je veux être ingénieur en chimie thermo-nucléaire et pour y arriver je veux faire polytechnique.” On peut dire qu’au niveau programmation, on est aux taquets.
Rien d'étonnant à ce que vous soyez devenu directeur artistique chez EMI...
J’ai forcément été un peu poussé dans le monde artistique par des influences familiales. Dès mon arrivée chez EMI, j’ai lancé deux titres de Larusso et Laam qui on été premiers. J’ai cru que j’allais me régaler dans ce milieu et que l'histoire allait se répéter. J’ai donc monté ma société de producteur indépendant. Cela a été ma première expérience comme entrepreneur. Je me suis quand même rendu compte que c’était bien d’avoir des oreilles, du coeur et surtout des rêves. Mais qu’il fallait les réaliser et que ça s’appelait du labeur, ce dont j’étais incapable. J’avais tous les ingrédients pour réussir mais il m’a manqué l’essentiel: le travail. J’ai donc déposé le bilan de ma boîte de prod’ en pleurant.
Et finalement vous êtes mis au travail au Ken Club...
Quand je baisse les rideaux de ma société de production en 2000, cela fait deux ans que mes parents négocient la revente du Ken Club pour profiter de leur retraite. J’ai eu une montée de lait. Pour moi, c’était impossible que mes parents revendent l’endroit où j’ai grandi. Le Ken Club, c’est Benzaquen, c’est Avenue du Président?Kennedy, c’est chez nous. Je pensais qu’on avait un très bel avenir devant nous. Mon frère était un peu plus mitigé car si on reprenait l’affaire, nos parents faisaient une croix sur leur retraite. Il a donc essayé de me décourager.
Qu’est ce qui vous a poussé à croire aussi fort au développement du Ken Club?
On rentrait dans les années sport comme on était rentré dans les années rock en 1970. Aujourd’hui, les sportifs sont considérés comme des stars du rock. Tu mets Zidane à côté de Johnny Hallyday: il n’y a pas photo. On fait des films sur Cantona, c’est Tony parker qui défile pour Defursac..?Aujourd’hui, on achète beaucoup plus cher un match de foot que n’importe quelle super production hollywoodienne.
Clin d’oeil.- Est-ce que votre clientèle a changé durant ces années sports?
Arthur Benzaquen.- Clairement ! A l’époque de mes parents, le coeur de cible du Ken, c’était l’homme d’affaire de 55 ans, au ventre bedonnant, qui aime la bonne bouffe et le cigare. Aujourd’hui, notre clientèle s’est considérablement rajeunie. Entre 30 et 45 ans, les hommes font désormais du sport pour avoir la tablette de chocolat. Ils ont une vraie hygiène de vie. Mes parents ont été les inventeurs du club de fitness haut de gamme. Ils nous restait à créer des salles de sport de luxe. Car le marché proposait soit des salles bas de gamme, moyen de gamme, soit des salles très hauts de gamme, voir luxe dans des hôtels 5 étoiles. Faire du rameur sous un lustre Louis XVI est antagoniste aux valeurs sportives. On avait envie de suivre la même révolution qui celle opérée dans les restaurants. Au début, les Costes sont passés du haut de gamme à la gastronomie. Avant, au restaurant, si on voulait très bien manger, il fallait être en costume et cravate. Et si t’avais pas de cravate, on te la prêtait. Aujourd’hui, cela parait insensé. On a eu envie de suivre la même évolution et de dénouer le noeud. On a continué à offrir des prestations luxes mais on a essayé de les adapter à la clientèle actuelle?
Le pari était ambitieux à l’époque...
Ambitieux et périlleux ! On a quand même quadruplé le nombre de salariés et triplé les tarifs. On a réalisé plus de quatre millions d’euros d’investissement travaux. Et aujourd’hui, force est de constater qu’on est face à un succès.
Est-ce que Mireille et Pierre, vos parents, ont suivi de près votre parcours?
Ils ont été attentifs notamment les premières années. Ils ont sans doute eu un peu le vertige au regard de nos projets et de nos investissements. Aujourd’hui, ils jouissent d’être dépassés. Ils sont admiratifs aussi, fiers de notre réussite, heureux que je travaille avec mon frère et ça, forcément, ça nous donne de la force.
Est-ce qu’il vous demandez parfois des conseils à votre père?
On lui parle de tout et on en débat ensemble. Il ne cherche pas à comprendre comment ça fonctionne, il regarde tout ça avec un regard amusé et des yeux semi-incrédules..
Pourquoi avez-vous décidé de vous s’installer, au 4 bis rue Saint-Sauveur?
On a des projets en cours à Londres, Madrid, Milan, New-York, Singapour, Shangaï, Sao Paulo, Buenos Aires. A Paris, nous avions un lieu de prédilection, rive gauche, pour lancer un second Ken mais cela ne s’est pas fait. Et puis, j’ai eu un vrai coup de foudre pour le 4 bis, rue Saint-Sauveur. J’ai tourné le problème dans tous les sens. J’ai convenu que le Ken était compliqué à amener ici à 2900€ l'abonnement auquel il faut ajouter 1000€ de droit d’entrée. Non pas que n’aurions pas eu la clientèle mais cela aurait été anachronique par rapport au quartier. C’est un peu comme si on montait un Tati dans le XVIe même si Montorgueil n’est pas Barbès.
Du coup, vous avez changé tous vos plans de développement...
On a repensé tout le projet avec moins frère. On a réfléchi très longuement. On a décidé de démocratiser le Ken Club, en rendant le luxe accessible à tout le monde. On a positionné notre abonnement annuel à 1490€, soit le prix d’un moyen de gamme, en laissant l’intégralité des prestations du Ken Club. On a fait tourner les chiffres et on s’est rendu compte que notre business modèle tenait la route. On se demandait : “mais pourquoi personne ne l’a fait?” Au Ken Club, il y a énormément de prestations, énormément de luxe. Il y a 1000 membres pour 2900€ d’abonnement, donc grosso modo 3 millions d’euros de chiffre d’affaire. Les calculs étaient simples, rapides, à 1500€ l’abonnement au Klay, il nous fallait 2500 membres?
Pourquoi personne n’a jamais lancé ce concept de la salle de sport de luxe au prix d'un moyen de gamme?
Je ne sais pas ! On s’est rendu compte que l’argent qu’on mettait dans les prestation de service, dans la fidélisation du client, les autres le mettent à perte dans le commercial pour aller chercher de nouveaux membres au lieu d’investir dans les prestations. Nos commerciaux, ce sont nos membres. Dans un club de sport, la moyenne du taux de fidélisation oscille entre 25 et 40%. Au Ken, on a 80% de taux de renouvellement, soit seulement 200 membres qui nous quittent chaque année, perte compensée par notre liste d’attente de 300 personne qui nous font des demandes spontanées. Chez nous, par exemple, il y a des serviettes à volonté partout dans le club, des vestiaires aux étages. Pas besoin de donner sa carte en arrivant pour avoir une serviette...
C’est pourquoi on retrouve beaucoup de serviettes du Ken Club sur les plages de Saint-Tropez...
Je ne fais pas chauffer nos membres pour qu’ils volent nos serviettes (sic) mais à la limite ça nous fait de la pub... Je crois surtout qu’il faut focaliser son énergie ailleurs. Elle est mieux employée. C’est comme colmater un trou dans une barque avec son doigt: si ça fuit, ça fuit...
Pourquoi avez-vous changé le nom de votre second club?
L’offre est moitié prix, donc le Klay est une marque différente du Ken Club. Le point commun, c’est le luxe et la prestation de service. Au Klay, on va s’appuyer sur 25 ans de réflexion, au Ken, sur la prestation de service. Mettre à profit ces 25 ans d’expérience, c’est ça la vraie excitation. On s'est dit : “mais ce club, il n’existe pas, ni en France, ni ailleurs.” En tout cas, on veut faire du Klay une vraie marque. On va d’ailleurs lancer une gamme sportswear. On a déjà fait des gants de boxe, des sacs de frappe.
Klay, c’est en référence au boxeur Cassius Clay?
Cassius Clay, c’est le pile bon compromis entre la danse et la boxe. Boxeur, on fait difficilement mieux et il faut voir comme il bougeait sur un ring... Et puis, ça nous a permis de récupérer le K du Ken dont on avait envie.
On a l'impression que vous êtes très sensibles aux valeurs de la boxe...
La boxe, ça devient glamour, ça devient sexe, ça devient trendy: il y a tout à la fois. On a pensé le Klay par rapport aux valeurs de la boxe et ce sont les valeurs de la boxe qui m'intéressent vraiment. On a voulu réhabiliter l’effort, le dépassement de soi, la discipline, l’éthique, le respect. La boxe est est un formidable exutoire, c’est ludique par essence. Se défouler sur un sac de boxe, c’est agréable et ça fédère. Un homme de 65 ans et une jeune fille de 16 ans parlent le même langage devant un sac de boxe. C’est assez incroyable. En plus, c’est très bon pour le cœur et ça sèche les graisses. Et puis, le Klay est un mélange entre Rocky et Flashdance avec la cage d’escalier en bois, le monte-charge à la new-yorkaise, les structures métalliques, les voûtes en pierre. C’est aussi pour cela que la boxe devait avoir sa place chez nous. D’ailleurs, on peut d’ores et déjà annoncer que de grands boxeurs viendront s’entraîner au Klay. Ce qui me plaît c’est que nos partenaires, que ce soit Technogym ou Reebok, avec qui on sera les premiers à faire des cours de fitness en trapèze, ont les mêmes valeurs que nous.
Quelle seront les autres prestations qui distingueront le Klay des autres clubs?
L’appareil de cardio-muscu avec son écran 21 pouces et son Plug iPod, par exemple, n‘aura pas d'équivalent dans cette gamme de prix. Pour moi, la vie est un amusement, faire du sport doit donc aussi être ludique. Je cherche à me convaincre d’aller sur un tapis et je suis sans doute le plus difficile à convaincre...?Notre restaurant sera bio, allégé mais on n’est pas des intégristes du régime. Celui qui voudra manger calorique chez nous pourra bien manger. Il y aura un spa bien sûr, un espace piscine, 2 cabines de soin. Le bar lounge et l’idée du lobby d’hôtel sont essentiels par rapport au quartier. On milite contre le principe de montrer patte blanche pour entrer dans un club de sport. Si tous les habitants du quartier viennent au moins une fois prendre un verre au bar lounge dan le lobby du Klay, on aura réussi notre pari. Notre lobby, il appartient à tout le monde, il appartient au quartier Montorgueil, il vous appartient. Et après si vous voulez montez dans les étages, vous êtes tous les bienvenus.
Vous semblez confiant dans le succès du Klay et plutôt sûr de vous...
On connait les prestations, on sait ce qu’elles coûtent et ce qu’elles ne coûtent pas. Quand tu ne connais pas, tu as peur et tu ne fais pas. Tu as peur d’aller dans un gouffre. Nous, on sait où on va. C’est l’intérêt d’avoir un frère polytechnicien. On fait de la comptabilité analytique. On analyse tout. On sait que notre juge de paix, c’est le taux de fidélisation. Personne ne réfléchit comme ça. Le client qui est à l’intérieur du club, celui qui a payé, il est deux cent fois plus important que celui qui est à l’extérieur. Ca change toute la mentale. Dans les autres clubs, c’est exactement l’inverse: une fois que le client a payé, plus personne ne le regarde. Chez nous, le client est notre meilleur prescripteur.
Quel sont vos rapports avec Franck-Elie, votre frère?
On s’est toujours très mal entendu mais dans notre éducation, “ton frère, c’est ton frère, tu peux te frapper, te tirer les cheveux, mais tu t’entends parfaitement”. C’est une incroyable thérapie de travailler ensemble. Cela nous a appris à nous écouter l’un, l’autre et à se respecter. On est surtout vraiment complémentaires. Il est soumis à la loi de la gravité quand moi je suis sensible à la loi de l’attraction. Il est conservateur, je suis fonceur. On a souvent des divergences, je regarde vers l’avant, lui vers l’arrière. Quand on lui pose la question, on a l’impression que c’est moi qui regarde vers l’arrière. En tout cas, ça crée des débats très riches. Quand on prend une décision tous les deux, c’est que le projet tient la route.
Qui a le dernier mot?
On essaye de se mettre d’accord. Mais s’il y a un problème concernant un mode de financement, une assurance, on est discute mais c’est lui qui a le dernier mot. Quant à l’image, au développement, c’est davantage moi...
Est-ce que vous avez eu des doutes?
Depuis notre première visite au 4 bis rue Saint-sauveur en 2005, nos seuls doutes ont été financiers. On n’est pas une chaîne, on a besoin d’un lieu mais surtout d’un concept qui va avec le lieu. Les négociations ont un peu traîné. Mais on a eu la chance de se lier d’amitié avec monsieur Ktorza et sa famille, qui sont les anciens propriétaires des murs. Ce sont gens formidables, qui sont venus au mariage de mon frère et au mien. Je crois qu’ils ont été heureux de redonner vie à leur lieu. On avait deux écueils: le premier était de s'offrir le lieu, le seconde de faire les travaux pantagruéliques. Quand on a mis le premier coup de pioche de démolition en septembre 2007, on savait qu’il y avait de très belles choses à faire ici.
Quel regard portez-vous sur le quartier Montorgueil?
Je connais très bien le quartier car j’ai vécu pendant deux ans en face du Lezard avec un de mes premiers amours. Je suis sous le charme du quartier depuis toujours. Je le trouve tellement exceptionnel que ça nous a donné le challenge de faire ce lieu à la hauteur et à l’image du quartier. Tous les restaurateurs du quartier ont une exigence de qualité. Ici, il n’y a pas de faux commerçants, il n’y a que des vrais. J’en profite d’ailleurs pour remercier les commerçants de leur accueil.
N’avez-vous pas peur des problèmes de stationnement?
Déjà, on cible une clientèle de quartier qui viendra chez nous à pied ou en vélo. Mais, on a la chance d’être adossé au parking Dussoubs. On a d’ailleurs beaucoup d’idées pour utiliser le toit de ce parking...
Coté soirée, on peut donc s’attendre à ce que le lieu soit très animé...
L’idée n’est pas qu’on devienne une boîte de nuit. On va travailler sur des soirées avec Olivier Rasmus, sur des soirées bar à eau, aussi. De temps en temps, il y aura également un DJ dan la salle de cardio.
Au ken Club, vous avez rencontré le gratin du monde politique et du show-bizz. Est-ce que ce microcosme vous fait rêver?
Rêver je ne sais pas.... J’ai toujours baigné dans un milieu assez paillette. Quand mes parents ont fondé le Ken Club, en 1985, il y avait cent anonymes sur huit centre membres. Il y avait tous les médias parisiens, le show-bizz, la politique. J’ai grandi au contact de tous ces gens-là qui me faisaient sauter sur leurs genoux. Je ne connais pas un enfant qui n’aurait pas été émerveillé.
Est-ce que vous es narcissique?
Je préfère egotique. Je suis un artiste, il faut que je sois sous la lumière. Il ne faut pas être avec moi en public: je suis insupportable....