Antoine Cabot fait son cinéma
Antoine Cabot, le directeur de l’UGC Ciné Cité des Halles, nous a ouvert les portes du premier cinéma d’Europe et nous a parlé de son métier. Rencontre avec un homme raffiné, cultivé... et passionné de ciné
Pour comprendre Antoine Cabot, directeur de l’UGC Ciné Cité des Halles, il faut pénétrer dans son bureau. Il faut se laisser submerger par l’atmosphère qui y règne comme on est transporté par la musique orientale dans un cabaret à Marrakech. Il faut scruter les murs comme on contemplerait les danseuses.
Peu d’affiches mais quelles affiches ! La poison de Sacha Guitry (1951) avec Michel Simon et Pauline Carton, l’inoubliable mercière, La guerre des boutons (1961) de Yves Robert: on savait, au premier contact qu’Antoine Cabot était un homme raffiné et cultivé, fin et malin, on sait désormais que c’est un homme de goût.
Pas très loin d’une magnifique photo de Monica Bellucci trône une affiche d’un meeting de la campagne à l'investiture démocrate d’Obama, à Los Angeles, où Antoine Cabot aime se ressourcer loin du vacarme des Halles. “Los Angeles, j’aime la ville” précise-t-il. “Ce n’est pas le cinéma qui m’attire là-bas ou alors c’est inconscient. C’est une ville à taille humaine loin de l’image de la mégalopole”.
Pour comprendre les responsabilités, qui pèsent sur les épaules plutôt carrées posées sur le corps aux allures sportives d’Antoine Cabot, il faut lire les chiffres suivants en prenant garde de ne pas risquer des maux de tête. Celui qui est originaire de Troyes dans l’Aube est en effet à la tête de deux cinémas: l’UGC Ciné Cité donc, mais aussi l’Orient Express, ce qui correspond à 3.540.000 entrées annuelles - leader européen du taux d’occupation et de fréquentation - 120 collaborateurs entre les deux cinés, 19 salles à l’UGC Ciné-Cité, 7 à l’UGC'Orient Express, 3200 fauteuils au premier et 700 au second. “L’Orient Express, c’est 20% des entrées mais c’est plus de 20% de mon travail...” précise Antoine dans un sourire contenu.
On comprend aussi très vite l’honneur qui nous ait fait de disposer du temps (précieux) du directeur des lieux et de forcer les portes (secrètes) des entrailles de l’UGC. Derrière un garage à bobines - l’UGC résiste encore au tout numérique -, Antoine Cabot, qui appelle tous ses collaborateurs par leur prénom, est fier de nous faire découvrir les vestiges de l’ancien musée du rock, fermé en 1995, et dont les murs sont encore coiffés d’un poster des Sex Pistols, qui est un défi au temps.
Celui d’Antoine est compté, d’autant que la séance photo programmée dans la salle 6, celle de l’ancien auditorium Cousteau, doit être réglée comme du papier à musique pour ne pas gêner la seconde séance de Coco Chanel qui s’annonce. Né en 1968, Antoine Cabot remonte ses premiers souvenirs dans les salles obscures à Robin des Bois et E.T., au cinéma Le Français, à Troyes.
Conseiller d’éducation de formation après des études de droit, Antoine Cabot a rejoint UGC et l’exploitation cinématographique, en 1998, lors du développement du Complexe UGC à Rosny-sous-Bois. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Du coup, Antoine descend en Province (Caen, Toulouse et Lyon) mais remonte à Paris avec des responsabilités chevillées au corps. Tant et si bien, qu’il est placé aux commandes de l’UGC Georges V sur les Champs, pour son retour dans la Capitale, en 2003, un an avant de présider aux destinées de l’UGC Ciné Cité les Halles, le vaisseau amiral de la maison UGC.
Quand on est directeur du plus grand cinéma d’Europe, est-ce qu’on voit beaucoup de films?
Je n’ai jamais vu autant de films qu’aujourd’hui. Je passe beaucoup de temps dans mes salles. Je vois énormément de films.
Déjà, je suis un passionné et ça me donne l’occasion de faire des breaks et d'assister aux films que je ne veux pas rater. Ensuite, je m'astreins à voir tous les films que je présente en avant-première.
Clin d’oeil.- Comment devient-on directeur de cinéma?
Antoine Cabot.- A l’école, à la question “que voulez-vous faire plus tard?”, on répond rarement directeur de cinéma. La plus simple explication, c’est la passion du cinéma, même s’il convient de préciser que j’ai vécu une passion de cinéphile comme beaucoup de gens sans jamais avoir voulu en faire mon métier.
Le plaisir est-il intact?
Clairement, le plaisir est toujours là. La machine fonctionne toujours de la même façon au moment où je rentre dans une salle. C’est pourquoi je crois autant à l’exploitation cinéma. Simplement, le contexte est différent: je ne suis plus dans un mode « sortie » mais dans un cadre professionnel. Il n’y a pas d'équivalent à l’expérience de la projection d’un film dans une salle de cinéma lorsque les lumières s’éteignent et que vous êtes seul face à l’écran. Le cinéma, c’est un lieu de vie, un lieu de partage, un lieu d’évasion, un lieu d’émotion, un lieu de consolation parfois aussi.
Est-ce qu’on arrive à ressentir cette palette de sentiments quand on dirige un cinéma au quotidien?
On arrive plus facilement à mettre des mots sur ses sentiments avec un peu de recul.
Pouvez-vous nous décrire votre journée type?
Je quitte Vincennes et mon domicile, vers 8h. Quand j’arrive aux Halles, la séance de 9h vient juste de débuter. Après une matinée consacrée à l’administratif, je profite du déjeuner pour travailler les relations extérieures avec mes collègues distributeurs, par exemple. L’après-midi est davantage centrée sur l'exploitation avec le management des équipes et le suivi des plans d’action. A partir de 18h30, je m’astreins à être sur le terrain. Il faut sentir ce qui se passe, être au contact des clients et des équipes aux caisses ou dans les halls, à l’accueil. Faire tourner un navire comme celui-ci demande un travail de terrain conséquent. Avec ou sans avant-première, la journée ne finit jamais avant 22 heures.
Quand trouvez-vous le temps de voir les avant-premières que vous présentez au public?
Je n’ai pas le choix, je les vois le matin à 7h. C’est l’occasion de vérifier que la bobine est en bon état. C’est un moment privilégié car c’est la chance unique de voir un film avant tout le monde, d'autant que quand on voit un film à 7h, on arrive dans la salle vierge de tout ce qui peut alourdir une journée. On rentre dans le film immédiatement. L’écueil, c’est que vous pardonnez moins et que si vous ne rentrez pas dans le film, c’est qu’il y a une raison...
Les avant-premières constituent la valeur ajoutée de l’UGC Ciné Cité des Halles. Est-ce un moment important pour vous?
Incontestablement, on est le premier cinéma, on doit donc être le premier lieu pour les animations autour du cinéma. On est justement le premier cinéma car le spectateur sait qu’il se passe toujours quelque chose chez nous. On doit créer l’événement. On organise deux à trois avant-premières avec équipe par semaine, ce qui correspond à 50% de de la production française. Nous ne sommes pas sur les Champs-Elysées, donc il nous est difficile de mettre des tapis rouges. N’empêche, toutes nos avant-premières sont des soirées réservées au public.
Personnellement, comment vivez-vous ces instants privilégiés au contact des stars du cinéma?
C’est une chance de toucher au côté glamour du cinéma. C’est à moi qu’ incombe la responsabilité de choisir les avant-premières, les organiser et les animer. C’est donc aussi une lourde responsabilité d’en faire à chaque fois un évènement.
Y-a t-il des avant-premières qui vous ont marqué plus que d’autres? J’ai de vrais souvenirs avec Ken Loach et Dany Boyle. Mais toutes les avant-premières sont des événements authentiques. On ne banalise jamais une telle organisation. Ca doit rester un moment magique pour le spectateur au contact de l’équipe du film, qui ne doit pas avoir l’impression de faire de la promotion.
Quel est votre contrainte quotidienne la plus importante?
C’est de coordonner et de doser. C’est un travail de détail et d’équilibre dans des métiers différents.
Le choix des salles doit être un véritable casse-tête...
C’est la course aux grandes salles: la 1 et la 10, qui ont une capacité de 500 places et la 6, qui contient 330 personnes. On doit évidemment affronter le souhait de chacun d’y être diffusé, mais on essaye de coller le plus possible à la réalité de l’exploitation. Pour décider du maintien ou de la sortie d’un film, le service de programmation arrête ses chiffres le dimanche soir pour statuer le lundi, le tout en appliquant notre ligne éditoriale, celle qui a fait notre succès. Une réunion téléphonique avec le service programmation d’UGC, le mercredi soir, permet de réajuster nos choix à la marge.
Dans combien de salles avez-vous programmé Bienvenue chez les Ch’tis?
On a été un des seuls cinémas de cette taille à ne proposer qu’une copie des Ch’tis. On proposait une offre alternative. Du coup, on affichait très souvent complet dans l’ensemble des salles.
Est-ce que vous avez les yeux rivés en permanence sur les chiffres de fréquentation?
Si je répondais non, je serais un menteur. Mais j’ai la chance de gérer le succès, donc je les regarde sans une impatience démesurée. Les chiffres, ce n’est pas un jugement, c’est mon moteur.
Quelles ont été les grandes évolutions de l’UGC Ciné Cité les Halles ces dernières années?
Quand j’ai pris la direction du site, il y a 5 ans, la première mission était un travail de rénovation. Le dernier chantier, qui a permis le passage des caisses vers les bornes et le transfert des caisses à l’étage inférieur pour fluidifier le trafic des spectateurs et les accès aux salles, a été une très belle réussite. L’objectif, c’était de faire disparaître l’effet foule.
Aujourd’hui, nous avons réussi car les caisses ne constituent plus un barrage à l’entrée. Depuis 5 ans, nous avons aussi fait le choix de l’extension des séances en programmant le plus de séances possibles. En semaine, on est le cinéma qui propose les séances les plus tardives entre 22h30 et 22h45. Ces horaires de programmation permettent de faire du Forum des Halles un vrai lieu d’activité, de vie, de diversité et pour tout dire de sécurité jusqu’à 23h.
Ca doit vous lasser de lutter contre l’image du Forum des Halles qui est un peu écorné...
C’est un combat permanent. C’est mon travail, c’est celui de Laurence Herszberg, la directrice du Forum des Images. C’est pourquoi on a créé la Rue du Cinéma. C’est aussi le travail d’Espace Expansion et de Véronique Margerie, la directrice du Forum. Aujourd’hui, la sociologie du Forum, nichée entre Montorgueil, Rivoli, le Palais Royal et le Marais, ressemble au centre de Paris. Parfois, c’est un peu compliqué de communiquer cette image vers ceux qui ne le fréquentent pas et c’est toujours frustrant que l’image du sous-sol soit entachée par une réputation, qui s’est forgée autour d’événements datant de plus de 15 ans.
Ce combat est-il frustrant?
Ce serait frustrant si on ne réussissait pas. Mais quand on regarde les flux dans les Forum ou les chiffres d’entrée, à l’UGC, on peut avoir le sourire. Le succès est là. Le but c’est de convaincre les derniers récalcitrants, à descendre au Forum. La séance de 9h, qui a été lancée avant votre entrée en fonction, a également été une étape importante dans la vie du cinéma.
Quelle est la morphologie de ce public?
Les personnes, qui vont au cinéma à 9h, sont des personnes qui vivent en décalage et qui veulent tirer le bénéfice de salles très calmes. Je pense aux infirmières, par exemple, qui travaillent la nuit, aux insomniaques. Ce ne sont pas des gens qui commencent leur journée par le cinéma. C’est une suite logique dans leur rythme de vie.
La séance de 9 heures est-elle une bonne séance pour l’UGC Ciné Cité?
On ne partage pas le gâteau donc c’est une bonne séance. On est les seuls sur le créneau. On est donc les premiers à diffuser les films le mercredis matin. C’est un avantage considérable. On attire le public de fans. La première séance de Millenium, qui n’a pas été présentée en avant-premières, a été une très belle première séance. On a déjà fait salle comble, à 9h, pour Harry Potter par exemple. A 9h, les producteurs et les réalisateurs viennent aussi assister à la toute première séance en exploitation. C’est un moyen de récupérer les premiers chiffres, examiner la tendance et déchiffrer la typologie de leur public. On organise d’ailleurs tous les mercredis matin “le petit déjeuner des distributeurs”. C’est une rencontre décontractée, plus informelle que les avant-premières. Et c’est aussi un moyen pour nous de rencontrer les équipes des films. Gad Elmaleh, par exemple, était présent le mercredi à 9h pour la sortie de Coco.
La création de la Rue du Cinéma est-elle une bonne chose pour l’UGC Ciné Cité les Halles?
La Rue du Cinéma, que l’on a créée avec Laurence Herszberg, est très importante. Aujourd’hui, il y a une vraie synergie entre l’UGC Ciné Cité les Halles, le Forum des Images et la Bibliothèque François Truffaut, qui représentent trois conceptions différentes du cinéma. Cette Rue du Cinéma, qui est unique au monde, a un vrai sens. On trouve dans cette rue tous les atouts actuels du cinéma à quelques mètres les uns des autres. Par exemple pour la journée de l’Europe, au cours de laquelle on a diffusé 27 films aux couleurs des 27 pays européens, on a invité les abonnés du Forum des Images. Le but est de diversifier nos publics respectifs.
Quelle est votre vision de la rénovation des Halles?
Cette canopée, telle que je l’imagine, peut devenir un lieu de visite incontournable comme l’est la Pyramide du Louvre, comme l’a été Beaubourg. Le moins impacté sera le sous-sol même si on va modifier les flux, les entrées. Donc, clairement, j’attends cette rénovation avec impatience même s’il y a toujours la contrainte et les craintes légitimes liées aux travaux. Forcément, on suit cela de près.
Commente envisagez-vous votre avenir?
Je suis très heureux comme directeur de l’UGC Ciné Cité Les Halles.