Amphitrite: Le Poséïdon plus près des étoiles
Il n’y a pas que la mer à l’Amphitrite Palace. Il y a aussi la gastronomie. Incontestable signature de ce lieu unique, l’incroyable vue sur mer est à l’Amphitrite ce que la montage est au Michlifen, à Ifrane: un référentiel fort, presque une marque.
Pourtant, il serait injuste de lier la réputation emblématique et le succès mérité du Palace de Skhirat aux délicieux baisers permanents de l’Atlantique. C’est que la gastronomie est devenue, avec le golf, un puissant levier de séduction et de communication. Sous l’impulsion de Didier Escartin, le Directeur Général, les cuisines de l’Amphitrite ont fait leur révolution. Déjà, le petit déjeuner, pris les pieds dans l’eau devant la piscine qui déborde dans la mer, permet de donner le ton de la nouvelle ambition en cuisine.
Ensuite, le chef génial Imad Rabaï, passé par la Mamounia, a placé la barre très haute au Mosaïco, considéré comme une des meilleures tables italiennes du Maroc.
Enfin, Michel Husser, le chef emblématique français a signé, avant l’été, la nouvelle carte du restaurant méditerranéen, le Poséïdon. Celui qui possède une étoile au Guide Michelin et trois Toques au Gault & Millau ne s’est pas contenté de créer de nouveaux plats , il a accueilli, durant un mois, Fahd Souaadi, le chef du Poséïdon, chez lui, au Restaurant gastronomique Le Cerf, à Marlenheim (Alsace).
Dire que Fahd a été à bonne école, dans les cuisines d’un des plus beaux fleurons de la gastronomie française, est un euphémisme. Le Cerf est une immense institution. Voilà 86 ans que l’étoile du Michelin brille, à Marlenheim. «J’ai essayé d’apporter à Fahd l’amour du détail» explique Michel Husser dont la collaboration avec l’Amphitrite est la première du genre pour ce chef qui s’est toujours consacré exclusivement à son emblématique table étoilée. «Je lui ai donné une méthodologie concernant le travail en amont. Je lui ai appris la toute puissance du produit. C’est lui qui commande. On part du produit pour arriver au plat, et non le contraire. On fait le marché avant de faire la carte. Pour avoir des ambitions sur le haut de gamme, il faut que la cuisson et la présentation soient parfaites. Il faut être pointu, exigeant envers soi-même et ses équipes. Le mot passable doit être rayé du dictionnaire. Bien sûr, il faudra du temps mais Fahd est un chef brillant plein d’avenir.»
Michel Husser, présent, une semaine à Skhirat au début de l’été, pour accompagner Fahd lors du grand lancement de la carte, dessine ses priorités. «L’essentiel, c’est de sélectionner et suivre ses fournisseurs» dit-il. «C’est compliqué ici puisqu’on est dans un grand hôtel. Mais nous allons y arriver. C’est un esprit à créer. Didier Escartin, qui croit en notre collaboration, va nous aider. On peut faire de grandes choses dans ce lieu d’une beauté étonnante.»
Michel Husser est, aussi, dithyrambique sur la qualité des poissons. Accompagné par Alain Beller, son second de cuisine au Cerf et grand spécialiste de la cuisson des poissons, le chef a visité les pêcheurs de Skhirat. Il est revenu avec une glacière remplie de trésors. «J’ai été vraiment surpris par la qualité des poissons qui sont d’une extrême fraîcheur» avoue-t-il. «Le Saint-Pierre et le Rouget sont exceptionnels. Les Sparidés, sar et daurade notamment, sont également d’une grande qualité. Si on ajoute les légumes et les épices appropriés, on peut atteindre une proposition très ambitieuse en respectant le terroir et les produits de la région.»
Le chef étoilé a déjà des idées pour la suite de la collaboration avec l’Amphitrite Palace. «J’ai déjà réfléchi à une nouvelle carte d’hiver» confirme ce passionné qui a édité une autobiographie L'artiste du Terroir aux éditions du Signe. «C’est important de connaître la clientèle qui est plus détendue que chez moi. Comme les clients sont présents toute la semaine, ils commandent généralement un plat en direct avec un dessert. Ça nous impose quelques ajustements. Nous ferons aussi des petites mises au point sur certaines sauces. La crème est moins veloutée, ici. Du coup, nous allons davantage travailler autour de l’huile d’olive qui est un pur bonheur pour un chef en cuisine. D’ailleurs, je regrette de ne pas trouver davantage d’huile d’olive marocaine, en France».
Impossible, en revanche, de demander au chef de choisir un plat sur la carte du Poséïdon. «Ils sont tous parfaits» coupe-t-il. «Tous les plats sont mes bébés. Je ne mets sur une carte que ce que j’aime manger. J’ai le privilège de me faire plaisir en espérant faire plaisir aux clients. Je ne fais jamais de sondages auprès des clients pour me déterminer entre un plat ou un autre. Un chef de cuisine est un peu comme un peintre: on ne discute pas ses tableaux. Soit on aime ou soit on n’aime pas.»
Au Poséïdon, c’est le fameux Saint-Pierre qui a la côte. «Le Saint-Pierre représente presque la moitié des ventes» concède Michel Husser. «La terrine de légumes et le gaspacho aux anchois connaissent aussi un beau succès.» Le plus dur c’est de faire simple. Il en va de la cuisine comme de l’écriture. «La simplicité est le fruit d’un long travail» dit Michel Husser avec un large sourire en guise d’acquiescement. «Certains jeunes chefs se cachent derrière la complexité pour épater la galerie. Ça ne sert à rien.»
C’est avec le même souci de classicisme et de dépouillement que Michel Husser a rédigé la carte du Poséïdon. «Nous n’avons pas besoin de mots alambiqués pour éblouir» lance-t-il. «Notre souci, c’est la modestie et l’efficacité. Dans certains restaurants, il faut un dictionnaire pour lire la carte. C’est une mode que je regrette. Pire, les gens ont parfois peur d’aller au restaurant pour ne pas passer pour des crétins...»
Simplicité. Régularité. Cohérence. Voilà les grands combats de Michel Husser. «Parce que ce sont de grands mots clefs qui parlent aux clients» précise le chef emblématique. «Les clients réguliers sont les plus difficiles à satisfaire. Au Cerf, on est confrontés à une forte clientèle fidèle qui venait avec ses grands-parents et qui vient aujourd’hui avec ses petits-enfants. C’est émouvant mais c’est un énorme défi de les satisfaire.» A l’Amphitrite, Didier Escartin constate le même transfert entre les générations: «Chez nous, c’est la plage qui réunit petits et grands au-delà du temps qui passe.»
Bientôt, la restauration sera également un prétexte pour revenir en famille, à l’Amphitrite. C’est le pari de Michel Husser. «Nous devons lancer des plats signatures qui sont autant de marqueurs, de rappels» précise-t-il. «Les clients fonctionnent sur le souvenir. Ça les rassure, ça leur donne de la confiance. Paul Bocuse, le cuisinier du siècle, sera encore connu dans cent ans pour sa fameuse soupe aux truffes VGE. A Roanne, les frères Troisgros, ont inventé le saumon à l'oseille. C’est une spécialité qui parle à tout le monde, encore aujourd’hui.»
Au Cerf, à Marlenheim, dans cet ancien relais de la Poste, devenu un chantre du bon goût sur la route des vins, le plat phare, c’est bien évidemment la choucroute revisitée au foie gras par le chef Husser. «Cela fait vingt-cinq ans que j’ai mis la choucroute à la carte» précise Michel. «La choucroute en Alsace, c’est le couscous au Maroc. Lorsque vous parlez de l’Alsace à un étranger, il entend vin blanc, kougelhopf… et choucroute. Or, beaucoup d’étrangers ne fréquentent que les restaurants gastronomiques où ce plat traditionnel était absent, parce qu’il était assimilé à la cuisine de brasserie. Il y a 30 ans, les Alsaciens en avaient même un peu honte».
La célèbre choucroute de Marlenheim est affinée, allégée. Pour le chou, Michel Husser a opté pour un véritable Quintal d’Alsace, pressé, très peu lavé, pour qu’il soit en mesure d’absorber tous les bons sucs de cuisson. «On ne réinvente plus rien, on redessine, c’est tout» dit Michel Husser qui ne tarit pas d’éloges sur le talent de Imad Rabaï, chef du Mosaïco, le restaurant italien de l’Amphitrite «dont les pâtes fraîches al dente sont uniques et sur la paëlla du cuisinier Bouchaïb, un plat aussi populaire que difficile à toujours réaliser avec la même qualité».
La cuisine marocaine bénéficie aussi d’une popularité qui a dépassé les frontières du Royaume. «La cuisine marocaine fait partie des grandes cuisines du monde» dit Michel Husser. «C’est une cuisine qui marque et qui inspire. Ma devise, c’est de toujours respecter les cuisines locales. Sur le marché, j’ai trouvé des légumes incroyables comme les gombos, les petites courgettes ou les betteraves. Les herbes, la menthe et le basilic sont plus forts au Maroc qu’en France, et c’est une chance. Enfin, les oignons ont une saveur différente assez remarquable. Est-ce que je vais utiliser des plats marocains dans ma carte au Cerf? Je crois que je tomberais sans doute à côté du sujet. Je vais utiliser des notes plus que le répertoire complet. Lors de son stage chez nous, Fahd Souaadi a réalisé une magnifique confiture d’oignons aux épices que nous avons délicieusement mariée avec le foie gras. En tout cas, je me suis toujours nourri de mes nombreux voyages.»
Ça tombe bien, Fahd Souaadi aussi. Entre Casablanca et le New Jersey, entre le Maroc et le Nord-Est des Etats-Unis, le chef du Poséïdon n’a jamais ménagé sa peine pour obtenir les diplômes des écoles de cuisine les plus réputées.
Il a aussi couru les formations les plus prestigieuses à l’image de celles qu’il a suivies auprès du chef Bruno (2 étoiles Michelin) au restaurant le Fouquet’s, à Paris, auprès du chef Jean Maximan (3 étoiles Michelin), chez Alain Ducasse et, bien sûr, récemment, chez Michel Husser, au restaurant-hôtel Le Cerf (1 étoile Michelin).
C’est donc une belle rencontre gastronomique qui s’est nouée autour de cette collaboration unique, entre terre et mer, signée Fahd Souaadi et Michel Husser. «A Marlenheim, j’ai appris le sens du détail, le professionnalisme et la rigueur» précise Fahd, emballé par cette expérience si riche. «J’ai mesuré combien il était important de réaliser un travail de préparation efficace. J’ai appris la notion de respect, le respect des horaires, de la hiérarchie, des produits... J’ai appris que le secret,dans un restaurant étoilé ou dans un restaurant plus modeste, c’est de faire son travail avec amour.»
Pour Fahd Souaadi, qui a aussi collaboré avec la star de la gastronomie marocaine Meryem Cherkaoui, au restaurant de l’Aéropostale, à Casablanca, c’est une manière de rentrer dans la lumière et de prendre son envol, en direction des étoiles, avec un pilote nommé Michel Husser. Face à l'Atlantique...