Ahmed Benkirane: « Marrakech a encore du potentiel ! »
On dit souvent que la fonction fait l’homme. Mais l’homme fait aussi parfois la fonction. Il est difficile de dissocier Ahmed Benkirane et le Sofitel Marrakech, dont il préside aux destinées depuis 2018 avec des résultats qui forcent le respect. Aux commandes du Sofitel Lounge and Spa et du Sofitel Marrakech Palais Imperial, il occupe sans doute un des jobs les plus convoités dans le microcosme du tourisme, au Royaume. Et cette position majeure est aussi méritée que justifiée pour un homme, à la compétence incontestable, qui s’est toujours donné les moyens de ses ambitions.
Et si cette fonction est une invitation à la lumière, Ahmed Benkirane préfère demeurer tapi dans l’ombre, à l’œuvre et à la manœuvre, au soutien de ses équipes et au contact des clients. Pas seulement parce le début de sa carrière professionnelle l’a conduit à épouser le domaine de la finance. Mais aussi parce que sa personnalité, mariage d’humilité, de responsabilités et d’abnégation, le guide vers une discrétion raffinée.
La parfaite maîtrise des outils financiers est une des forces vives d’Ahmed Benkirane qui possède une vision périphérique de son activité. Avec son intelligence humaine, financière et commerciale, il sait donner une traduction opérationnelle à ses stratégies. Surtout, il sait les financer. La dernière rénovation du Sofitel Marrakech est d’ailleurs un modèle du genre tant sur le fond que sur la forme. On comprend mieux pourquoi cet hôtel emblématique de la Ville Rouge rencontre un retentissant succès de fréquentation et de satisfaction depuis la fin de la pandémie de la Covid-19.
Ahmed Benkirane est un véritable leader inspirant pour ses collaborateurs. Le désir des responsabilités, il l’a embrassé très vite. A l’adolescence, il devient moniteur de colonies. Il encadre notamment les enfants des Marocains Résidents à l'étranger (MRE). Pas étonnant, qu’à l’âge de 18 ans, le bac économique en poche, il soit nommé directeur de la colonie de vacances. «J’étais responsable de moniteurs plus âgés que moi» précise-t-il.
«Ça n’a posé de problèmes ni pour eux, ni pour moi.» L’expérience dure quatre ans. Elle
marque sa vie. Lui donne le goût de l’encadrement, le sens du détail pour satisfaire des clients aussi jeunes soient-ils, l’amour du vivre-ensemble et l’envie de goûter au tourisme. Il fait son entrée au sein du grand groupe hôtelier français Accor, en mars 1999. Il ne le quittera plus. Il travaille d’abord sous la férule de Sami Dahech et de Rachid Bennouna qui proposent à Ahmed de renforcer l’équipe de la direction financière, au siège, à Casablanca. Le diplômé en économie n’hésite pas. Il mène à son terme une mission de contrôle qui fait l’unanimité. Il peut voler de ses propres ailes.
Il atterrit à cent kilomètres au sud de Casablanca, à El Jadida où il est nommé Directeur administratif et financier du Sofitel El Jadida, exploité aujourd’hui sous l’enseigne Pullman. Entre 2004 et 2007, Ahmed Benkirane découvre avec plaisir l’autre côté du miroir, celui de l’exploitation. «Lors de tous mes entretiens avec Marc Thepot, l’ancien Directeur Général d’Accor Maroc, je n’ai jamais caché que mon inclination me portait vers l’exploitation et que mon ambition était de postuler pour la direction générale d’un hôtel» confie Ahmed Benkirane.
A El Jadida, il fait des miracles. Il redresse les comptes et optimise les résultats. «J’ai géré les finances de l’exploitation vers le bureau» précise Ahmed qui est muté au siège, auréolé de cette expérience réussie. A tel point qu’il est choisi pour piloter un projet d’un an (2007) pour le lancement d’un outil de consolidation financière. L’idée, c’est de mettre automatiquement les filières étrangères du Groupe Accor en conformité avec la règlementation française. Une nouvelle fois, la mission est une franche réussite. Pays moteur dans le continent africain et dans le monde arabe pour la création de cet indispensable outil, le Maroc devient une référence. Et Ahmed Benkirane, un dirigeant majeur du tourisme marocain, reconnu et respecté, prêt à accueillir la planète lors de la Coupe du monde de football 2030.
Clin d’oeil.- Après une année 2024 qui a dépassé toutes les prévisions, l’exercice 2025 s’annonce comme une année record pour le tourisme au Maroc. La destination Marrakech, en particulier, rencontre un succès qui ne se dément pas. Avec le recul, avez-vous été surpris par la force de la reprise touristique après la pandémie?
Ahmed Benkirane.- En toute sincérité, j’étais optimiste et je pensais que l’activité allait reprendre dès que ce serait possible. Je n’ai pas été surpris par la reprise mais par la force de cette dernière. Le Royaume a réouvert son espace aérien le 7 février 2022. Dès le mois de mars, nous affichions complets. Ce succès colossal s’est confirmé au mois d’avril quand bien même nous étions en période de ramadan. Tant et si bien que nous avons réalisé dès 2022 un chiffre d’affaires sensiblement équivalent à celui de 2019.
Néanmoins, le plus compliqué a été la gestion des ressources humaines. De nombreux collaborateurs sont malheureusement décédés ou ont changé d’orientation professionnelle. Il a fallu reprendre en urgence les recrutements et reformer notre personnel qui avait été inactif pendant la pandémie.
Marrakech a aussi profité pleinement des magnifiques retombées de l’Assemblée annuelle du FMI et de la Banque Mondiale qui s’était tenue dans la Ville Rouge du 9 au 15 octobre 2023…
Du côté du Sofitel Marrakech, nous avions eu le bonheur d’héberger Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international et l’ensemble du gouvernement marocain. L’organisation de cette assemblée a bien sûr été essentielle pour rassurer nos partenaires après le séisme du 8 septembre 2023. Après l‘exercice de solidarité, nous en avons profité pour faire un travail de promotion de la ville qui a été embellie pour l’occasion notamment au niveau des grands axes routiers, des ronds points et de l’éclairage public. L’entretien des infrastructures a été vraiment accéléré. J’aimerais désormais que ces travaux soit étendus sur l’ensemble de la ville et que les routes qui desservent les montagnes soient améliorées.
Le tourisme d’affaires (MICE) a été le plus touché par la pandémie. Peut- on espérer retrouver les résultats obtenus avant la Covid?
La reprise du tourisme d’affaires est plus longue que le loisir. C’est indéniable. Les sociétés subissent encore les conséquences économiques de la pandémie. Non seulement, elles ont revu à la baisse leurs budgets mais elles continuent aussi à privilégier les réunions en visioconférence. Là encore, je ne suis pas inquiet. On aura toujours besoin de mettre l’humain au centre des stratégies, de rassembler les collaborateurs, de dîner ensemble, de partager des expériences. N’empêche, pour séduire les MICE (Meetings, Incentives, Conventions and Events), Marrakech a besoin d’une structure capable de recevoir des événements internationaux majeurs d’une capacité de 15000 à 20000 personnes. Ce sera bientôt chose faite avec le futur Palais des Congrès bâti sur le domaine de Noria.
L’aérien devra être à la hauteur de ces futurs marchés…
Aujourd’hui, il n’y a pas assez d’avions. Ce n’est pas suffisant. Il faut multiplier les lignes aériennes, renforcer nos liaisons avec l’Europe et aller chercher de nouveaux marchés en Amérique, en Asie et au Moyen-Orient.
Comment expliquez-vous le désir de découvrir le Maroc exprimé par de plus en plus de touristes internationaux ?
La sécurité est toujours citée en premier dans les questionnaires de satisfaction clients. Les touristes se sentent en confiance au Maroc et à Marrakech. Pour la sécurité, le Maroc est en avance sur les autres pays. Le Maroc est une terre de tolérance, d’acceptation de la différence où les confessions cohabitent en totale fraternité. L’hospitalité marocaine et le sens du service sont aussi loués par tous les visiteurs. La formation du personnel hôtelier est également la clef du succès. Chez Sofitel, nous faisons appel à des cabinets de formation internationaux sur la base d’un programme annuel. Nos formations sont très performantes car nos concurrents recrutent chez nous !
La destination Marrakech a-t-elle atteint son plafond de verre ?
Certainement pas ! Marrakech oscille aujourd’hui entre 6 et 7 millions de visiteurs annuels. L’ambition, c’est de passer la barre des 10 millions. Nos modèles, ce sont Paris, Dubaï ou Barcelone. Ces villes mythiques ont plusieurs années d’avance sur nous. Mais on grandit, on grignote notre retard. Ce défi, nous pouvons le relever car le taux d’occupation de la Ville Rouge est seulement de 54%. Il faut simplement plus de travail, plus d’avions, plus d’infrastructures, plus de qualité dans l’accueil des clients. Il est indispensable par exemple de créer des parkings et des toilettes près de la médina de Marrakech. Et de développer l’offre de bornes électriques pour les voitures au centre ville. Aujourd’hui, nous maitrisons les leviers du développement touristique. Accor n’est plus la seule chaine hôtelière internationale. Royal Mansour, Hyatt, Marriott, Hilton, Four Seasons, Ritz Carlton, Mandarin Oriental et autres Pestana poursuivent leur développement au Royaume. C’est un signe qui ne trompe pas…
Quel est la positionnement du Sofitel Marrakech?
Nous avons maintenu et accéléré notre programme de travaux pendant la Covid-19. Nous avons réduit notre offre de 15 chambres pour proposer plus de suites. Nos 330 clefs sont équitablement réparties entre les chambres et les suites. Après la rénovation, nous avons aussi augmenté le niveau de nos prestations avec du mobilier plus luxueux et monté en gamme. Aujourd’hui, nous assumons un positionnement sur le marché du luxe aux côtés des autres marques du Groupe ACCOR comme Fairmont. Même si nous avons sensiblement augmenté nos tarifs, nous avons largement dépassé nos objectifs pour le taux d’occupation et le taux de satisfaction. Les clients satisfaits sont nos premiers prescripteurs. Et ces derniers nous font l’honneur d’une fidélité rare. Le taux de clients habituels est très élevé entre 25 et 30%. Les clients viennent souvent seuls la première fois et reviennent avec des amis lors de leur prochain séjour. Voilà notre fierté. Et c’est une implication de tout le personnel du serveur au cuisinier, de la femme de chambre au directeur commercial qui autorise cette performance.
Les visiteurs de Marrakech se sont internationalisés. La France est-elle toujours le premier marché émetteur du Sofitel Marrakech ?
Oui et c’est logique car Accor est un groupe français et Sofitel est une marque française qui inspire confiance à la clientèle hexagonale. Les Marocains occupent la seconde place du classement devant les Américains, troisièmes, qui confirment la croissance du succès international de la destination. Sur l’ensemble de Marrakech, ce sont les Anglais qui occupent la troisième position. Ce sont de grands amoureux des riads en médina…
L’ouverture du Royal Mansour à Casablanca a donné encore plus de lumière à la capitale économique du Royaume. Peut-on imaginer que les touristes qui visitent Marrakech profitent de leur séjour pour passer une journée à Casablanca ou Rabat?
Casablanca et Rabat sont des destinations dédiées au tourisme d’affaires. Comment les rendre plus attractives pour le loisir? Voilà la question. Les responsables du tourisme marocain sont en train de préparer le produit avec la création de lieux d’hospitalité, de
loisirs, de culture, de sports notamment le golf. Cela demandera du travail. Mais rien n’est impossible. Quand Hamid Bentahar a lancé les f’tours du Sofitel à Marrakech en 2008, personne n’y croyait. Tout le monde disait que l’on perdait notre temps, que les marrakchis restaient en famille pendant le mois sacré. Dès 2010, on affichait complet chaque soir pour les f’tours du ramadan…
Quelle qualité faut-il pour diriger un hôtel?
La passion est le mot clef. Si tu n’aimes pas, ne t’oblige pas.
Quel est votre endroit préféré à Marrakech?
Le Sofitel Marrakech ! C’est ma première maison. J’y passe plus de temps que chez moi. Mon bonheur est le travail en partage avec mes collaborateurs pour satisfaire nos 50000 clients annuels.