15e FIFM: Plus qu’un festival !
Bien sûr, la 15e édition du festival International du Film (FIFM) de Marrakech a accouché d’un grand lauréat, Very big shot du réalisateur libanais Mir-Jean Bou Chaaya s’octroyant l'Etoile d'or-Grand Prix. Le sacré de ce long-métrage né d’une production libano-qatarie atteste, si besoin était, que le FIFM prend un malin plaisir à mettre ses pas là où personne ne les met. Le grand rendez-vous du septième art avec la Ville Ocre n’hésite pas à promouvoir un cinéma qui ne se fait plus seulement sur la côte Pacifique, en Californie, ou dans les grandes capitales européennes à l’instar du Prix de la mise en scène glané par la Neon Bull du réalisateur Gabriel Mascaro, originale co-production brésilienne, uruguayenne et néerlandaise.
Bien sûr, le FIFM a rendu hommage à l’immense carrière de Bill Murray, un monstre sacré du cinéma, entré dans la lumière grâce à des comédies à succès comme SOS Fantômes et Un jour sans fin et révélé dans un registre plus humain et plus profond par son rôle dans Lost in Translation. Ce film mythique, qu’il tourne aux côtés de Scarlett Johansson, lui permettra d’obtenir le Golden Globe du meilleur acteur et d’être nominé pour l'Oscar du meilleur acteur.
«Bill Murray est un des plus grands acteurs au monde». C’est ainsi que Mélita Toscan Duplantier a, justement, présenté la star américaine aux 25.000 spectateurs réunis Place Jemaa el-Fna pour l’acclamer après que Sofia Coppola, la réalisatrice de Lost in Translation, qui avait écrit le premier rôle masculin pour lui, lui a remis, quelques centaines de mètres plus loin, au Palais des Congrès, sur la magnifique Avenue Mohammed VI, l’Étoile d’Or sous le regard de Francis Ford Coppola, le président du jury. Entre les deux hommes de sa vie, sa star de papa et la star de son premier succès, Sofia Coppola est aux anges. A cet instant, Marrakech est la capitale planétaire du cinéma.
Bien sûr, le FIFM a célébré "Bollywood" qui occupe une place particulière auprès du public marocain. En mettant à l’honneur l'actrice indienne Madhuri Dixit, trois ans après l’incroyable moment d’émotion avec la star Shahrukh Khan, les caciques du Festival poursuivent leur histoire d’amour avec une des plus grandes industries cinématographiques.
Les qualités de comédienne et de danseuse de Mandhuri Dixiten en ont tôt fait une vedette au début des années 1990. A tel point que certains voient en elle une réincarnation de l'actrice Madhubala. Elle a été à l’affiche de nombreux films à succès comme Ram Lakhan, Hum Aapke Hain Koun, Raja, Pukar, le chef d'oeuvre Devdas mais aussi dans des films plus exigeants comme Mrityudand ou Gaja Gamini. Et si sa carrière a été couronnée de cinq prix de la meilleure actrice décernés lors des Filmfare Awards, elle a également reçu la Padma Shri dans le domaine artistique, quatrième plus haute distinction attribuée par le gouvernement Indien.
Bien sûr, le cinéma canadien était l’invité d’honneur pour souffler la 15e bougie du FIFM. Président de la délégation canadienne, Atom Egoyan a merveilleusement endossé le costume de porte- parole d’un cinéma iconoclaste, militant, créatif. S’il est arrivé avec, dans ses valises, son dernier bébé Remember, projeté hors compétition, c’est le souvenir de son chef d’œuvre de Beaux Lendemains qui a escorté ses pas à Marrakech et Ouarzazate où le petit génie - 8 prix Génie décernés par l'Académie canadienne ! - est allé visiter les spectaculaires studios de cinéma, nichés aux portes du désert. De beaux lendemains, c’est sans doute ce qu’espèrent les professionnels de l’industrie cinématographique de Ouarzazate où Atom Egoyan a promis de revenir travailler.
Bien sûr, les talents marocains, ceux qu’on peut appeler les régionaux de l’épate, ont eu droit à leur fenêtre médiatique, leur halo de reconnaissance. Le cinéma du Royaume a été brillamment représenté par Insoumise de Jawad Rhalib, en compétition officielle, Isla d’Ahmed Boulane, programmé dans la section Coup de cœur, La Marche Verte de Youssef Britel en hors-compétition, L’orchestre des aveugles de Mohamed Mouftakir, en auto-description et par le directeur de photographie Kamal Derkaoui qui a bénéficié du zoom d’un grand hommage. Enfin, cette 15e édition s’est ouverte sur Rock the Kashbah de Barry Levinson. Ce n’est évidemment pas un hasard si ce film, étonnant, a été tourné, à Marrakech, notamment Rue de la Liberté, dans le quartier de Gueliz.
Mais, au delà du palmarès, des hommages, des honneurs et des fulgurances artistiques, c’est par sa dimension politique que la 15e édition du festival du film de Marrakech laissera une empreinte indélébile. Parce que son calendrier imposait un voisinage avec les tragédies de Paris et des Etats-Unis, parce que Marrakech est la seule ville du monde arabe a accueillir semblable Festival, les acteurs de cet événement majeur sont entrés dans une forme de résistance et de militantisme. Ça tombe bien, résister, militer, c’est l’essence même du cinéma, témoin de notre temps.
Francis Ford Coppola a fait ça toute sa carrière. Il n’a pas fait autre chose lors de la cérémonie d’ouverture, déclarant sa flamme à l’Islam. «Quiconque connaît vraiment cette splendide religion qui a représenté le sommet de la civilisation au XIIIe siècle, la civilisation arabe qui nous a donné les mathématiques et les sciences, sait pertinemment que ses fondements sont la clémence et la miséricorde de Dieu» a dit le réalisateur de la trilogie du Parrain et d’Apocalypse Now. «Et nous croyons en ce Dieu, en sa capacité à nous délivrer de ce malentendu, de ces horreurs qui blessent. Dieu ne veut du mal à personne, Dieu est clément et il est miséricordieux. Plus que jamais il est temps de parler avec ses amis, ses voisins du monde entier. Nous sommes unis dans l’amitié et la créativité, quelque chose que le cinéma a toujours encouragé.»
Coppola a remis ça, le lendemain, lors de la conférence de presse. Alors que le jeu des questions-réponses touchait à sa fin, le président du jury a pris le micro, à la surprise générale, pour citer le Coran, plus précisément la Sourate Al Fatiha en mettant l’accent sur le message de tolérance et d'amour que véhicule le Livre Saint. Un témoignage d’autant plus étonnant, poignant et émouvant que Francis Ford Coppola n’a pu retenir quelques larmes.
Entre-temps, Bill Murray avait enflammé Jemaa el-Fna sur le son de sa comédie SOS Fantômes dans un élan qui tenait plus au message d’amour et de paix qu’à la simple volonté de faire le show. D’ailleurs, son hommage appuyé, en langue française, à Sa Majesté le Roi Mohammed VI - «Vive le Roi du Maroc, vive le peuple marocain» - entrait autant dans le cadre du protocole et de la révérence que dans la reconnaissance et la considération de sa Majesté comme un des plus grands hommes politiques sur la scène inernationale.
Et son discours a davantage pris des accents politiques qu’artistiques après avoir loué son bonheur d’être là au milieu des souks. «Je suis triste, j'ai le coeur lourd à cause des derniers attentats de Paris, à cause de la fusillade aux Etats-Unis» a-t-il confié. «Je me demande pourquoi tout cela....»
Jean-Pierre Jeunet, membre du jury, s’interroge également sur le rôle du cinéma dans le contexte international. Il a répondu, lors de la conférence de presse. «Si mon scénariste m’avait proposé un film sur Charlie Hebdo, je lui aurais dit : je crois qu’on ne va pas faire ça» a avoué le réalisateur d’Amélie Poulain. «Et, quelque part, c’est renoncer, c’est avoir peur, et donc la kalashnikov est plus forte qu’une caméra, malheureusement. »
Francis Ford Coppola, - dire que ce n’est pas une surprise est un euphémisme -, ne partage pas le regard de Jeunet. Il l’a confié dans le dernier numéro de l’Officiel Homme: «La kalashnikov est un instrument de mort. Le cinéma véhicule la vie. Et la
vie gagne toujours.»
Quand Festival du Film de Marrakech gagne, c’est le Maroc qui brille, surtout après une édition aussi noble et vertueuse, sorte de main tendue du peuple marocain au monde. «Cette quinzième édition, si elle devait porter un nom, porterait celui d’Humanité partagée...» a joliment écrit Driss Jaydane, conseiller éditorial du FIFM, dans le journal Ecran. « Elle apporte la démonstration que le cinéma est un langage universel, une ‘fabrique du Commun’, qui ne retire rien à la beauté des différences... Ici, à Marrakech, nous célébrons ce que le cinéma produit de plus beau, le voir-ensemble. Le Vivre- Ensemble. Quel merveilleux spectacle !»
Avec des messagers comme Francis Ford Coppola, sa fille Sophia Coppola, Bill Murray, Mandhuri Dixiten, Atom Egoyan, Park Chan-Wook, les membres du jury, Amal Ayaouch, Sergio Castellito, Richa Chadda, Anton Corbijn, Jean-Pierre Jeunet, Naomi Kawase, Olga Kurylenko, Thomas Vinterberg et Sami Bouajila, sans oublier Leonardo Di Caprio qui a profité de la cérémonie de clôture pour exprimer, dans une vidéo, son souhait de participer à nouveau à cette grande fête marocaine du cinéma, le Royaume peut aborder l’avenir avec beaucoup de force, d’espoir et de confiance.
Tous ces grands noms du cinéma ne sont plus seulement des stars ayant participé à la 15e édition du festival du Film de Marrakech, ils sont devenus d’authentiques ambassadeurs de Marrakech, une des villes les plus connues au monde pour sa propension à célébrer les différences culturelles, le partage, l’amour. Ils sont devenus de vrais parrains du Maroc, cette terre bénie qui se nourrit avec le même bonheur de tradition et de modernité, de tolérance et d’ouverture. Ils sont devenus de grands témoins de la stabilité d’un Royaume qui est la signature de sa grandeur.