Schapira met ses pas dans ceux de Delanoë
Juillet. 2008 \\ Par Jérôme Lamy

Intime de Bertrand Delanoë, qu’il a rencontré lors de l’élection Présidentielle de 1974, Pierre Schapira est le collaborateur indispensable du maire de Paris pour les questions internationales. Il met également toute son énergie et son sens politique pour porter Delanoë à la tête du PS. En attendant plus...

Pierre Schapira est un homme politique à l’ancienne. Non pas que ses idées soient dépassées ou éculées. Loin s’en faut ! Sur la forme, il est resté un homme simple et ouvert, marqué par son enfance dans un petit village près d’Alger, où il naît en décembre 1944. «Comme tous les enfants du soleil, on vivait dans la rue et j’ai retrouvé avec bonheur le sens de la tchatche à Montorgueil » dit-t-il. Des toiles d’Yvonne Thivet (Village sud-algérien) et de Robert Génicot (Femmes au Maroc) ornent le long couloir, qui mène à son bureau et confirment l’empreinte indélébile du Sud et du Maghreb chez Pierre Schapira.
Point besoin de passer par une attachée de presse ou un chef de cabinet pour prendre rendez-vous. Un simple coup de téléphone sur son portable et deux jours plus tard, vous vous retrouvez, sans aucune manière, ni protocole particulier, à l’Hôtel de Ville, dans son vaste bureau avec vue sur l’Ile de la Cité et la Seine. “Il y a deux choses que je n’arrive pas à banaliser malgré le temps qui passe: c’est la beauté de Paris et le fait que la gauche dirige la Capitale depuis 2001” dit-il. “Il ne faut  jamais oublier l’honneur que nous ont fait les Parisiens afin de ne pas les décevoir.”
La réélection de Bertrand Delanoë et surtout la victoire triomphale de Jacques Boutault dans le 2è arrondissement, qui a permis à la gauche de remporter les trois sièges de conseillers de Paris, lui ont offert la possibilité de poursuivre sa mission auprès du maire de Paris, comme adjoint, chargé des Relations Internationales et de la Francophonie.
C’est une fonction qui lui colle comme un gant pleine peau, d’autant qu’il est député européen, membre titulaire de la délégation interparlementaire pour les relations avec Israël, depuis juin 2004. Incollable sur le conflit israëlo-palestinien autant que sur les commerces qui se font et se défont dans le quartier des Halles, Pierre Schapira est habité par ses fonctions autant que par sa relation quasi fraternelle avec Bertrand Delanoë, son ami de trente ans, rencontré dans la section PS de la Goutte d’Or où ils formaient la bande du XVIIIe avec Lionel Jospin, Daniel Vaillant et Claude Estier.
Rien d’étonnant donc, qu’il roule pour Delanoë avant le congrès du PS, à Reims, qui se déroulera du 14 au 16 novembre prochain. “Bertrand Delanoë est l’homme de la situation pour occuper le siège de Premier Secrétaire du PS” dit-il. “Il faut que la gauche règle ses divisions et donne la même confiance au niveau national qu’au niveau municipal.”

Clin d’Oeil: Le 13 juillet, se déroule à Paris, le premier sommet des Pays de l’Union pour la Méditerranée. Après la Lybie et la Syrie, c’est l’Algérie et Bouteflika, qui ont exprimé leurs réticences au projet de Nicolas Sarkozy. Est-ce que vous soutenez l’initiative du Président de la République?
Pierre Schapira: Je suis réservé sur la question au même titre que Jean-Pierre Jouyet, d’ailleurs. On peut même dire que je ne suis pas très chaud. On ne peut pas lancer un projet d’aussi grande ampleur sans davantage de concertation. Quand on connaît les problèmes du gouvernement européen, c’est illusoire de penser que ce sera plus simple avec les pays du Sud. Plusieurs pays européens préfèrent s’en tenir au processus de Barcelone et son partenariat euro-med mis en place en 1995 entre l’Union européenne et différents pays méditerranéens. En fait, le vrai problème, c’est de savoir avec qui on fait l’Union des pays pour la Méditerranée. Ce serait une erreur de faire une politique de voisinage et de penser que cela n’intéresse que les Pays de la rive sud. Pourquoi l’Allemagne, qui sait de quoi elle parle en terme d’immigration, ne serait pas autour de la table? Qui plus est, il faut de l’argent pour mener un tel projet et il est plus au nord qu’au sud.

Comment jugez-vous la politique étrangère du gouvernement?
Elle est faite de coups sans réelle cohérence. C’est à l’évidence une politique de rupture. D’ailleurs, le rapprochement de la France avec l’OTAN et les Américains  inquiète même les Gaullistes. Sur l’Europe, le Président est volontariste mais on ne comprend pas toujours très bien où il veut aller. Enfin, j’ai été vraiment heurté et choqué par le discours prononcé par Nicolas Sarkozy à l’Université de Dakar. Son refus de condamner le passé, sa nostalgie coloniale ne correspondent pas à la tradition française des droits de l’homme.

Nicolas Sarkozy a invité le président syrien Bachar el-Assad en France pour assister au traditionnel défilé militaire du 14 juillet. Que pensez-vous de la main tendue à la Syrie?
La paix ne peut se faire qu’avec des ennemis militaires. Et c’est en parlant avec la Syrie que l’on peut, peut-être, trouver une solution à la guerre civile au Liban. La Syrie peut permettre de faire sauter un verrou important. Il faut un Liban libéré des ingérences de ses voisins et cela passe par un dialogue avec  Bachar el-Assad. Il faut faire tous les efforts pour aboutir à la paix dans un Liban que les chrétiens ne cessent de fuir. Et la Syrie peut être la clef de ce processus de paix, un peu comme la médiation turque pour un retrait israélien du Golan.
Le dalaï-lama a été fait citoyen d’honneur de la ville de Paris par le Conseil de Paris. Avez-vous voté pour cette nomination?
Oui bien sûr, j’ai même fait partie de ceux qui étaient à l’origine de cette idée. A gauche, certains se sont émus de cette décision en évoquant la laïcité. A droite, le souci était de ne pas avoir d’ennuis avec la Chine. Bertrand Delanoë a seulement dit ‘j’ai des valeurs et je veux apporter un soutien fraternel au peuple du Tibet’. En 2003, nous avions reçu le dalaï-lama à Paris: il ne veut pas l’indépendance, il veut seulement une autonomie culturelle.

Fallait-il boycotter les JO de Pékin?
Non, évidemment pas. Cela aurait été ridicule. Il faut plutôt tendre la main aux Chinois. D’ailleurs, j’ai rencontré récemment le numéro 2 de l'ambassade de Chine et le dialogue est renoué. Il faut profiter de la caisse de résonnance des Jeux Olympiques pour avancer sur la question des droits de l’homme en Chine.
Depuis le 1er juillet, la France a pris la présidence de l’union européenne. Quel sont les enjeux après le “non” irlandais?
Sarkozy a été l’architecte du traité de Lisbonne avec Angela Merkel. Cela permet donc de souligner l’importance de la présidence française. L’Europe souffre d’un déficit de communication et de pédagogie qui nourrit la peur, chez les peuples, d’avoir moins. C’est une paranoïa anxiogène. C’est une des explications des “non” français, néerlandais et irlandais. Paris va profiter de la présidence française pour montrer ce qu’est l’Europe aux Parisiens. On va essayer de faire comprendre aux gens, grâce à la culture, qu’on est européens. Paris-Plage sera décoré aux couleurs de l’Europe et on va organiser une nuit espagnole au Grand Palais. On va également lancer une grande campagne d’affichage pour que les Parisiens s’inscrivent sur les listes électorales avant les prochaines élections européennes. Reste que l’Europe est toujours un chantier énorme. Par exemple, c’est totalement aberrant que TF1 n’ait pas de correspondants permanents à Bruxelles.

L’Europe est-elle une question qui divise toujours  le PS?
Oui, bien sûr, rien n’a été réglé sur le fond. Mais le plus important, sur cette question, ce n’est pas les divisions du PS, c’est que 80 000 Irlandais bloquent 490 millions d'européens.

Quel bilan dressez-vous des dernières élections municipales dans le 2è arrondissement?
La candidate socialiste, Sylvie Wieviorka, est arrivée en tête au premier tour mais son score a été décevant. En revanche, j’ai été étonné par le très bon score des Verts qui ne correspondait pas au résultat parisien. Cela s’explique par la bonne campagne de Jacques Boutault, qui a néanmoins profité du bilan et de la popularité de Bertrand Delanoë, mais aussi d’une prime incontestable au candidat sortant. Il faut aussi et surtout retenir la très belle victoire de la gauche réunie qui a envoyé 3 élus au Conseil de Paris.
Comment expliquez-vous la disparition des électeurs de droite dans le 2è arrondissement?
Ils n’ont pas disparu. Seulement, le candidat de droite, Christophe Lekieffre, n’était pas assez implanté dans le 2è arrondissement. Beaucoup d’électeurs de droite ont voté Sarkozy à la présidentielle et Delanoë à Paris. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai voulu faire signer une pétition en faveur de Ségolène Royal dans le quartier avant le second tour de la Présidentielle... Il y a aussi une explication sociologique. Quand l’ancienne maire, Benoîte Taffin a créé une zone piétonne à Montorgueil afin que les personnes âgées puissent marcher tranquillement, elle a bouleversé la composante du quartier. J’étais dentiste à l’époque et ma clientèle a complètement changé. Je me souviens avoir dit à Delanoë en 1996 qu’il y avait de nouveaux résidents dans le 2è, qui devraient logiquement habiter dans le XVIe ou dans le VIIe et qui épousent notre idéologie humaniste. Aujourd’hui, on les appelle les bobos.
Quels sont vos projets pour le 2è arrondissement?
Il faut déjà conforter notre position dans l’arrondissement afin de ne pas décevoir les Parisiens: leur rendre la vie plus facile et plus simple dans le centre de Paris. On doit être innovant. Je ne citerai que deux projets. Premièrement, on doit créer une navette de transport pour les personnes âgées qui relierait les quatre premiers arrondissements. Elle pourrait passer par la rue Léopold Bellan et la rue Saint-Sauveur. Il n’y a pas assez d’escalators dans le métro et ce n’est pas normal que les personnes âgées soient obligées de remonter jusqu’à la rue Réaumur pour prendre le bus. Deuxièmement, je voudrais qu’on transforme la place des Petits Pères en une vraie place de village avec la proximité de la mairie et de l’église. Il suffirait de créer une nouvelle entrée de la mairie du 2è sur cette place, qui donnerait sur la cour, qui accueille déjà des brocantes, des vides greniers. On pourrait aller encore plus loin en organisant des concerts, des expositions; attention, je ne dis pas qu’il faut supprimer l’entrée par la rue de la Banque mais seulement qu’il faut en créer une seconde plus séduisante pour les Parisiens. Cela permettrait de rapprocher davantage les résidents et les élus mais aussi de résoudre la dangerosité du carrefour entre la rue de la Banque et la rue Notre-Dame-des-Petits-Champs.

Autant, le PS est crédible au niveau municipal, autant il apparaît en miette au niveau national? Comment expliquez-vous cette dichotomie?
La clef, c’est que le PS doit être fidèle à lui-même. Il doit se rassembler sur les valeurs plus que sur les hommes. On doit reconquérir l’électorat des classes moyennes et des ouvriers tout en assumant la modernité de la société et la mondialisation. On ne doit pas être opposé à la concurrence, à la compétition. Je ne trouve pas anormal que des gens gagnent de l’argent mais il faut faire un effort important sur la redistribution. La droite dit qu’il y a trop de fonctionnaires. Je dis qu’il n’y en a pas assez pour offrir des services publics encore plus fiables.

Vous soutenez Bertrand Delanoë dans l’optique du prochain congrès du PS?à Reims. Le maire de Paris est-il l’homme idoine pour transformer le PS?
C’est l’homme de la situation. Pas parce qu’il a gagné deux fois la bataille des Municipales à Paris mais parce qu’il donne un visage nouveau au personnel politique et que ses convictions d’un socialisme libéral et social épousent la société actuelle. Au PS, je suis celui qui connaît le mieux Delanoë. Je l’ai rencontré avant l’élection présidentielle de 1974. Bertrand est un homme de valeurs qui dit toujours ce qu’il pense. Il bénéficie aujourd’hui d’une vraie popularité qui dépasse les frontières du périphérique et les clivages politiques.

Bertrand Delanoë n’a-t-il pas commis une erreur en se présentant “libéral et socialiste “ dans son livre “De l’audace”?
Si erreur il y a, c’est seulement une erreur de communication. Mais être socialiste et libéral, cela a un vrai sens. Je me considère aussi socialiste et libéral. C’est ma culture, le fondement de mon engagement politique. Lors de la guerre d’Algérie, des soldats sont morts pour la cause du libéralisme. C’est libéral d’avoir voté le PACS. Delanoë est libéral quand il municipalise l’eau à Paris. C’est libéral de défendre l’école libre face à l’école publique.

Pourquoi le libéralisme fait-il peur aux électeurs de gauche?
Le mot libéral sert de bouc émissaire à toutes les injustices car la droite l’a adopté pour ne plus parler de capitalisme. C’est comme le drapeau français: ça me ronge qu’il ait été confisqué par le front national. En 1968, c’était une faute historique  de mettre le drapeau français à la poubelle.?Je suis patriotique, député européen et citoyen du monde.
Le prochain congrès de Reims est déterminant pour l'avenir du PS et de la gauche...
On a besoin d’un congrès clair. On a avalé trop de couleuvres et de synthèses communes pour se contenter d’un congrès de témoignages sans débats sur notre identité. On doit jeter les bases d’une ligne politique claire et s’y tenir. On doit aussi parler des élections présidentielles de 2012 et définir un calendrier. Notre candidat devra être nommé suffisamment tôt avant le scrutin pour éviter les scories des primaires que nous avons connues entre Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius et Ségolène Royal.

Faut-il changer le nom du PS?
Je suis étonné que l’idée vienne de Manuel Valls car ce serait une erreur. En Espagne, le parti socialiste s’appelle parti socialiste ouvrier espagnol sans que cela ne gêne Zapatero. Le Congrès de Reims accouchera d’une majorité et d’une minorité. Ceux qui seront dans la minorité seront libres de quitter le PS, à l’image d’Oscar Lafontaine en Allemagne, qui a quitté le PSD en 1995, pour créer Die Linke (la gauche) en partenariat avec l’ancien PC de l’Allemagne de l’Est. Cela fait partie de la vie d’un parti, de la vie démocratique et cela permet de gagner en lisibilité.