Richa Chadda:
Mars. 2016 \\ Par Jérôme Lamy

star à bollywood, richa chadda a été une grande attraction du FIFM. membre du jury, la brillante actrice indienne a affiché une grande proximité avec le peuple marocain.

Elle l’a dit avec une franchise déconcertante et avec un humour qui transpire d’une grande intelligence et d’un esprit très aiguisé. Si elle avait le pouvoir de changer quelque chose dans son physique, Richa Chadda aimerait être plus grande. «Je mesure 1m56» précise-t-elle. «Si je pouvais faire 1m57 sous la toise, ce serait mieux. Je serais la plus heureuse.»

Elle n’est pas déprimée pour autant. D’ailleurs, elle assume sa taille qui est une signature de son charme. Au rendez-vous que nous lui avons donné sur la terrasse du restaurant marocain de La Mamounia, elle portait des sandales très plates qui dévoilaient des pieds soignés  et un raffinement de la pédicure. Elle attendra notre séance photo pour se percher sur des talons de 15 cms qu’elle portera comme des chaussons.?«Il y a beaucoup de similitude entre la culture indienne et la culture marocaine» assure-t-elle. «La beauté du corps est un souci permanent pour la femme indienne comme pour la femme marocaine.»

Et si elle regrettait n’avoir pas encore eu l’occasion, ni le temps, de vivre l’expérience du rituel des soins orientaux et du hammam traditionnel marocain - «je le respire partout» dit-elle -, elle présente quelques excuses recevables. Richa Chadda n’est pas venue à Marrakech pour profiter des délices qui s’offrent aux touristes. Membre du jury du FIFM, elle est venue faire le job.

Révélée dans Masaan, réalisé par Neeraj Ghaywan, récompensé lors du dernier Festival de Cannes par le Prix spécial du Jury et le Prix Fipresci dans la sélection Un certain regard, Richa Chadda a étalé son talent évident d’actrice, à la palette très large, dans ce long-métrage aux antipodes des comédies musicales de Bollywood. «Masaan, c’est l’histoire d’un amour impossible sur fond de lutte des classes, à Bénarès, en Inde» explique Richa. «L’idée, c’était de montrer la vie de jeunes gens en quête d'amour dans une société qui se vit entre tradition et modernité.»

C’est aussi cet équilibre qui tisse la toile de la société marocaine. C’est forcément ce rôle de Devi, femme moderne dépositaire d’un fort vent de liberté qui explique sa présence dans le jury. «Il y a un fort mouvement féministe au sein du cinéma indien» confie Richa. «Ma présence, ici, a donc une forme de symbole. On pourra vraiment parler d’émancipation de la femme quand on ne parlera plus de discrimination. Pour tout dire, je me sens très proche des femmes marocaines. Néanmoins, les vrais critères sont le cinéma, l’’art et la culture. Je ne suis pas une féministe mais une artiste.»

L’envie d’aspirer les regards, Richa Chadda l’a découverte dès l’âge de 4?ans, lorsqu’elle faisait rire toute la famille en imitant son « gros papa » avec un coussin sur son estomac. Et si elle est entrée dans la lumière très tôt grâce à l’énorme machine Bollywood, elle participait à son premier Festival comme membre d’un jury. Et elle n’a pas masqué sa joie. A grands coups de selfies, de vidéos, lors des conférences de presse, sur le tapis rouge, ou lors de notre interview, elle a partagé son bonheur sur les réseaux sociaux. «Je n’ai jamais imaginé aimer autant le peuple marocain» confie-t-elle. «Les Marocains sont spontanés et excessifs. Quand ils aiment, ils le disent, et ça fait du bien. Outre la relation humaine, j’apprécie la gastronomie, l’architecture, les vieilles pierres. Si je deviens riche, je produirai un film indien-marocain.»

Les Marocains ne lui en demandent pas tant. Ils la remercient d’être devenue une  merveilleuse ambassadrice du Royaume et d’incarner Bollywood, ce cinéma qu’ils chérissent tant. «Bollywood n’est pas une histoire de talent, c’est l’histoire de la vie de tous les indiens» dit Richa. «Danser, chanter, jouer, c’est comme un rituel religieux que j’ai appris à l’école. Ça fait partie de ma culture.»

Et Racha de saluer l’émergence d’un nouveau cinéma indépendant à Bollywood. «Cela fait très longtemps que l'Inde produit des films indépendants, qui n'ont rien à voir avec Bollywood» explique-t-elle. «La différence, c'est que le public indien est en train de s'ouvrir progressivement au cinéma grâce à Internet. Les Indiens savent qui est Kieslowksi, qui est Marion Cotillard, qui est Jean Dujardin... Et leur goût s'est également affiné. Avant, quand on allait au cinéma, on avait seulement le choix entre des films de Bollywood, mais c'est en train de changer. Et les acteurs se tournent de plus en plus vers les films indépendants. Moi, par exemple, j’essaye d’équilibrer ma carrière entre les deux. Ma notoriété contribue à faire connaître les films indépendants auxquels je participe. Les metteurs en scène ont ainsi davantage de moyens pour mieux s’exprimer... Et inversement, les films de Bollywood dans lesquels je joue gagnent à leur tour en crédibilité. C’est pourquoi la ligne entre ces deux genres disparait.»

Les médisances à l’endroit des actrices sont, en revanche, toujours un sujet d’actualité, en Inde. «Ce n’est pas considéré comme un métier respectable» confirme Racha sans laisser poindre une forme de résignation. «Je fais partie d'une élite : j'ai bénéficié d'une éducation libérale et je suis issue d'une famille ouverte qui me soutient dans ma carrière. Ma mère a appartenu à la première génération d'Indiennes entrées sur le marché du travail, et cela m'a justement permis de faire le métier que je voulais. Et si ma famille éloignée a tenté de me dissuader de devenir comédienne, je me suis battue pour continuer. Mes parents m’ont beaucoup aidée même si au début cela n’a pas été simple. Mais si je veux être honnête, je dois reconnaître que c’est surtout le succès qui m’a aidée.»

En tout cas, à 26 ans, Richa est toujours un cœur à prendre. «Je ne pense pas me marier bientôt» avoue-t-elle. «Je vais continuer à privilégier ma carrière. Pour la majorité des hommes, en Inde, c’est impossible de tomber amoureux d’une actrice qui danse devant le public. Peut-être devrais-je chercher un mari, en Suède ! Si je faisais un enfant, là où les hommes ont des congés parentaux, je pourrais poursuivre ma carrière…»

Richa Chadda quitte rarement son humour qu’elle invite régulièrement dans la conversation. ça ne l’empêche pas d’être en phase avec les enjeux d’aujourd’hui. «Aucune violence dans le monde ne peut trouver une justification» dit cette adepte du Mahatma Gandhi. «Il ne faut pas oublier qu’en Érythrée, au Nigeria, au Kenya, il y a des drames depuis de nombreuses années».  Elle est également très sensible au réchauffement climatique. C’est la raison pour laquelle elle a prêté une oreille attentive à la COP 21 et qu’elle se passionne pour les produits bio. «Pour me nourrir, m’habiller ou choisir mes produits cosmétiques, je me dirige exclusivement vers l’offre bio» dit cette militante végétarienne dont les cheveux ont changé de texture depuis qu’elle a proscrit la viande.

La beauté a donc ses secrets que la raison n’ignore pas. Richa confie boire beaucoup et utiliser l’huile sous toutes ses formes notamment l’huile d’argan qu’elle s’est promis de mettre dans sa valise. Elle aime les plats marocains qu’elle compare aux saveurs indiennes. «Le Zalouk aux aubergines ressemble à notre Samoussa» assure-t-elle. «Et le mélange des épices est un point commun entre nos deux cuisines.»

Elle dit préférer le blanc, considère la marche comme le meilleur moyen de transport et Delhi comme la ville la plus géniale au monde. Elle avance sa bonté comme sa qualité principale en regrettant de ne pas maîtriser ses colères. «Dernièrement, je ne me souviens plus la raison pour laquelle j’ai cassé un bouteille au sol dans un excès d’énervement» confirme-t-elle.

Elle est séduite par la compassion qui sommeille chez un homme. «Il ne doit pas seulement avoir envie de prendre soin de moi mais des autres aussi et surtout». Forcément, l’égoïsme chez un mâle est un élément rédhibitoire.

Elle rêve d’une grande carrière avec de grands rôles auprès de grands réalisateurs. On l’a trouvée très complice avec Francis Ford Coppola lors de la semaine marrakchie. Elle saisit la balle au bond. «J’ai découvert une humanité qui force le respect» dit-elle. «Il m’a promis de penser à moi pour un prochain film... Mais j’aimerais aussi travailler avec Lars Von Trier, Pedro Almodovar, Emir Kusturica, Paolo Sorrentino, Michael Haneke, et bien d'autres encore. Je veux vraiment travailler avec les plus grands.»

Elle dit que ses yeux sont la partie de son corps qu’elle préfère. C’est sans doute pourquoi elle regarde le monde avec un regard aussi pur.