Paris: Le Manège de Monsieur Paul
Décembre. 2007 \\ Par Joseph Leddet,

Avant même qu’on l’aperçoive, ses airs surannés échappés d’un vieil orgue de Barbarie nous caressent l’oreille. Situé à quelques coudées de l’escalator qui chaque jour engloutit et déglutit des dizaines de milliers de personnes rue Pierre Lescot, coincé entre les « parapluies de Willerwal » (ces immeubles modernes construits à la fin des années 70 à proximité du Forum) et les plates-bandes fleuries qui surplombent les galeries marchandes, flanqué d’une petite troupe de jongleurs amateurs, le manège Loisel ne passe pas inaperçu. Si vous vous promenez dans le coin le week-end, vous apercevrez derrière sa guérite la silhouette bon enfant du patron. Né juste après la guerre, Paul Loisel est tombé tout jeune dans la grande marmite des Halles, où son grand-père l’emmenait se promener lorsque les pavillons Baltard abritaient encore ce concentré de vitalité vieux d’un millénaire. Les manèges? Il y travaille depuis l’âge de dix ans, car son père animait les fêtes de villages du Val d’Oise (atmosphère d’ailleurs magiquement restituée par le film « Jour de fête » de Jacques Tati) ; c’est ainsi que tous les jeudis et aussi pendant les vacances, le petit Paul lui donnait un coup de main pour le montage et le ramassage des tickets.
A cette époque, vers les années 60, les manèges de chevaux de bois commençaient à tomber en disgrâce au profit des auto-tamponneuses (dites également « auto-camor ») : c’est alors que Paul décide de faire revivre le vieux manège de son père. Après quelques années passées à animer les stands de tir et de confiserie de ce dernier ; il passe ainsi des mois à restaurer lui-même ce manège centenaire à l’origine hybride ; en effet certains de ses chevaux sont une création de limonaire, alors que d’autres sont dus à l’artisan allemand Heyn ; les peintures de plafond, légèrement délavées, sont l’œuvre de Marius Coppier, qui sur la foire d’Annecy au début des années 1900, après des études au grand séminaire, tomba amoureux d’une jolie foraine qu’il épousa. Marius se consacra ensuite à la décoration picturale des manèges dont il devint l’illustrateur attitré.
L’impeccable vieux moteur rouge à essence, datant lui de 1910, qui a remplacé la machine à vapeur initiale, demande de son côté un entretien très régulier, et les chevaux et autres vaches ou cochons sont amoureusement bichonnés chaque semaine. Aujourd’hui, outre une grande fille de 34 ans, Paul a deux jeunes jumeaux de dix ans, Adrien et Julie, qui sont scolarisés dans le quartier, et qui ont bien su profiter de l’instrument de travail de leur père... 
Comment le manège est-il arrivé à cet endroit ? C’est une longue histoire : Jean-Paul Favand, propriétaire du musée d’art forain à Bercy (un endroit à connaître), habitait à l’époque le quartier où il possédait la boutique d’antiquaire « Tribulum » rue Saint Denis. Pour l’inauguration de la galerie commerciale du Forum des Halles, il organisa en 1980 une exposition d’art forain et le manège de son ami Paul fut installé place des Innocents, près de la fontaine. Comme à l’époque les manèges n’avaient pas bonne réputation (à cause des troubles potentiels), la Mairie commanda une étude d’impact, qui conclut au contraire au rôle positif de sécurisation des lieux de cette machine ludique ; il fut alors remonté l’année suivante place des Innocents, pour s’installer ensuite définitivement en 1985 à son emplacement actuel.
Pour mieux connaître le personnage, il faut savoir, qu’au départ, Paul Loisel vivait dans une roulotte placée juste à côté du manège... Il connaît donc parfaitement le quartier des Halles. “L’Express Bar et le Tambour sont les deux derniers lieux qui respirent l’atmosphère des anciennes Halles” lâche Paul. “L’Express est un des derniers bistrots familial de Paris et le Tambour vaut pour la personnalité d’André Camboulas et toutes les histoires de comptoir.”
Paul, aussi, récite ses classiques. En 1980, l’auteur de BD Fred, pour la sortie de son album « Manège », fut interviewé par des journalistes sur la plate-forme tournoyante... Un journaliste connu, qui y amenait sa fille, aimait qualifier l’endroit de « un peu de douceur dans ce monde de brutes »... Le chapiteau rayé vert et blanc qui coiffe l’appareil se rabattait autrefois le soir après la fermeture ; voyant cela, un petit garçon dit à son père : « Papa, le manège a mis son pyjama ! »... Certains parents qui y amènent aujourd’hui leurs enfants étaient déjà, petits, de fervents amateurs du manège...
En pratique, celui-ci est ouvert tous les jours de 11 heures à 20 heures ; Paul y exerce le week-end, secondé en semaine par Bernadette ou Michel. Le tarif est de 2 euros le tour ou 5 euros les trois, et si vous venez avec Clin d’Orgueil sous le bras, pour l’achat d’un billet, votre enfant aura droit à second  tour gratuit : cela mérite bien un petit détour !