Le Kimmy'z: un gratin de Casa sauce bordelaise
Août. 2015 \\ Par Jérôme Lamy

LA RECETTE DU SUCCES DU KIMMY’Z, OU SE PRESSE CHAQUE SOIR LE TOUT CASA, TIENT FORCEMENT DANS LE SAVOIR-FAIRE DE DEUX BORDELAIS QUI FONT CETTE INSTITUTION UNIQUE, EDOUARD?MASSE, DEPOSITAIRE DE L’ART DE VIVRE FRANÇAIS ET KIM HARTMANN, GRAND PRODUCTEUR ECOSSAIS DE VINS ET COGNAC, EN GIRONDE.

Pour dire vrai, c’est Saïd Taghmaoui qui nous a pris par la main pour nous guider au cœur du quartier Gauthier de Casablanca, en direction du Kimmy’z. «C’est comme à Paris, peut-être même mieux...» avait prévenu la plus grande star internationale marocaine. Forcément, on a écouté ce citoyen du monde qui vit entre Los Angeles, Paris et Casablanca et fréquente les lieux les plus prisés là où il pose ses valises. On a eu raison.

Inclassable, ça c’est certain, indémodable, ça parait évident, indéfinissable, surtout, le Kimmy’z est plus qu’un restaurant et pas seulement un lounge raffiné et décalé. Ni populaire, ni mondain, un peu bon chic, beaucoup bon genre, c’est un lieu qui se vit plus qu’il ne se définit. «Notre cœur de métier, c’est la restauration» précise Edouard Massé, l’heureux directeur des lieux. «On donne la chance à notre clientèle de s’amuser follement autour d’un bon repas dans un lieu confortable. Mais, attention, le Kimmy’z n’est pas une boite de nuit.»

Pensé par des épicuriens pour des épicuriens, le Kimmy’z est un lieu de magie, d’alchimie, une table hors clous, hors clans, une sorte de miracle d’une époque qui classe, qui range, qui compartimente. «Chez nous, la classe sociale est un gros mot» glisse Edouard Massé. «En tout cas, nos clients laissent leurs voitures et leurs statuts professionnels, à la porte. C’est normal car tout le monde est reçu avec la même hospitalité, la même sympathie, le même respect.»

Et si, c’est surtout l'intelligentsia marocaine, la population hype, le gratin de Casablanca qui s’encanaillent, et si c’est également le milieu des affaires, la bourgeoisie rangée qui s’attablent, les bobines jamais vues et les trombines connues communient dans un même bonheur de la fourchette. Le quidam pousse du coude le mondain, l’Ambassadeur commande ses tapas à base d’anchois ou de sardines, dans l’arrondi du zinc années 1920, à côté du clubber, les stars de la télé, du cinéma ou du sport croisent les jolies starlettes de la capitale économique dans le grand escalier, enjolivé par la magnifique fresque murale dessinée à la main par l’artiste Belge monsieur Didier.

Les uns et les autres sont chez eux mais ailleurs: bienvenue au Kimmy’z, temple de l’alchimie et de la félicité. «Quand un client franchit la porte du Kimmy’z, c’est que son esprit épouse nos valeurs» dit Edouard. «Il doit avoir la sensation d’être en terrain connu. La seule distinction, chez nous, c’est celle du comportement, de l’élégance.» Le revers de la médaille, c’est qu’il faut le mériter pour entrer au club des hôtes choyés par Edouard et sa joyeuse équipe. Le meilleur conseil, c’est la rapidité. Il ne faut pas hésiter à réserver la veille pour le lendemain pour une table en semaine. Il faut s’y prendre dès le jeudi pour goûter l’ivresse du week-end. Les réservations ne sont ouvertes que pour le premier service entre 20h et 21h30. Ensuite, le premier arrivé est le premier servi.

En tout cas, il ne faut donc s’attendre à aucun passe-droit dans l’épreuve des réservations qui est un sport où tout le monde a ses chances. «On tient toujours nos promesses» dit Edouard. «Une table réservée est réservée et le restera quelque soit l’identité des clients qui pourraient la désirer à la dernière minute sans réservation. Jamais, on ne déplace un client. C’est un engagement que l’on prend»

Car si le Kimmy’z est devenu une table fétiche du Tout Casablanca, occupant sans doute la place de leader sur la tranche 19h-23h, il compte aussi ses tables fétiches au premier rang duquel trônent les deux tables hautes, à gauche, en haut de l’escalier, qui permettent d’être spectateur de l’animation du bar, au rez-de-chaussée et de profiter de la bonhommie communicative des barmen emblématiques de Casablanca, Aziz, dit «Barthez» et Saïd qui animent le bar de la mezzanine avec un talent évident. «On peut venir seul, on est certain d’être accompagné toute la soirée» confirme Edouard. «Aziz et Saïd font le tour du bar pour saluer tous les clients, ils sont incomparables. En tout cas, pour ces tables-là, il faut se signaler deux jours à l’avance.»

Ceux qui n’ont pas la chance de vivre une telle expérience exclusive au Kimmy’z pourront se consoler sur la grande table du Président, située au rez-de-chaussée, où pas moins de 15 personnes peuvent se lover dans les fauteuils clubs. «C’est aussi un must» avoue Edouard. «C’est surtout idéal pour les grandes tablées entre copains qui désirent partager un bon moment avec un bon produit. ça donne une impression d’être dans son salon.» Forcément, les happy fews et peoples de passage adorent.

Pas de concept extravagant, pas de déco délirante, pas de communication excessive: la recette d’un tel succès tient forcément dans le service - pas moins de cinq voituriers à disposition - et dans les hommes qui font cette institution unique. Il est aisé de situer la naissance de cette aventure à la rencontre entre deux Bordelais Edouard?Massé, héritier d’une longue histoire familiale de cinq générations trempées dans la bistronomie bordelaise, dépositaire de l’art de vivre la brasserie française et Kim Birkedal Hartmann, homme d’élégance et de goût, franco-norvégien, négociant en vins et producteur de cognac, en Gironde.

Né en 1988, à Bordeaux, Edouard Massé, beau gosse, bien dans ses baskets est tombé dans la marmite, tout petit. Restaurateurs respectés, ses parents Anna et Gilles lui transmettent très tôt le virus du savoir recevoir, des bons produits, des belles odeurs. Il grandit entre les tables des diverses affaires familiales. «J’essayais de récupérer des pourboires de 10 francs sur les tables pour acheter des bonbons» se souvient Edouard, un brin nostalgique. «Toutes ces odeurs, les images de mon grand-père reviennent...» Il ne le sait pas. Mais il apprend déjà le métier.

Rien d’étonnant qu’après des études réussies dans l’institution hôtelière, à Bordeaux, il trouve le chemin du Comptoir Cuisine, l’affaire familiale, située au cœur de Bordeaux, en face du grand théâtre. «J’ai suivi une formation de cuisinier» explique Edouard. «Mon père me disait que c’était le meilleur moyen de lutter contre la dépendance quand on tient son affaire. Mais très vite, j’ai préféré être en salle, sur le devant de la scène qu’en cuisine. Aujourd’hui, même si j’ai totalement confiance en notre chef Karim Assimi, je continue à jeter un œil attentif sur les assiettes.»

Il quittera le giron familial pour poursuivre son apprentissage au restaurant d’altitude, Le Panoramic Restaurant (2008), aux Deux Alpes, puis au Workship (2009-2011), à Londres, dans le quartier Old Street avant d’opérer un retour vers sa Gironde natale pour prendre les commandes de l’Avenue Carnot (2011-2013), une nouvelle adresse, située près du Parc Bordelais, qui fait rapidement son trou dan le paysage bordelais. C’est à l’Avenue Carnot qu’Edouard a fait la connaissance de Kim Birkedal Hartmann, négociateur de vins très connu sur les bords de la Gironde. «C’était un très bon client que j’appréciais particulièrement» confie Edouard. «Il m’a confié son idée de monter une brasserie française, à Casablanca et m’a proposé de l’accompagner dans cette aventure.»

Quand il débarque, à Casablanca, au crépuscule de l’été 2013, Edouard Massé pose pour la première fois les pieds, au?Maroc. Surpris par l’énergie et la folie de Casablanca, il découvre un quartier Gauthier feutré où s’ouvre la porte du futur Kimmy’z, en lieu et place du Kasbar, fusion asiatique orientale, sorte de Budhabar local, véritable institution historique des nuits casablancaises. Dans l’avion, Kim Hartmann lui a conté, par le menu, l’histoire énorme du Kasbar, sa clientèle étoilée et huppée, ses nuits endiablées, son rendez-vous incontournable, chaque jeudi soir, autour du chanteur Maxime Karouchi.

Pareil héritage impose davantage de devoirs qu’il n’offre de droits. «Il y a des petits avantages et beaucoup d’inconvénients à reprendre une affaire aussi renommée» dit Edouard. «La bonne nouvelle, c’est qu’on était certain de travailler les premières semaines afin de satisfaire la curiosité des habitués du lieu. La mauvaise, c’est qu’on devait réussir tout de suite à placer le curseur au niveau de nos ambitions. On savait qu’on aurait une seule chance de séduire et fidéliser cette clientèle exigeante. Et si on décevait ces gens, tous nos efforts et nos investissements n’auraient pas valu grand chose.»

La valeur ajoutée, c’est l’âme du lieu, ses volumes étonnants. «Dès la première seconde de ma visite, j’ai été sous le charme» confirme Edouard qui a accepté très vite la proposition de Kim Hartmann et a demandé à son épouse, Fleur, de le rejoindre de l’autre côté de la Méditerranée. «L’architecte belge Jean-Jacques Radelet était également présent, ce jour-là. On a discuté tous les trois, on a imaginé le lieu. Et on a commencé à rêver.»

Après six mois de travaux, le rêve deviendra réalité. Le 17 mars 2014, jour de l’inauguration, l’enthousiasme est général. Jean-Jacques Radelet a su conserver l’esprit du lieu en parvenant à le réinventer avec des matériaux nobles et simples comme le bois, les caisses de raisin, le fer des miroirs géants, le cuir des fauteuils clubs, les ampoules à l’ancienne. «La chaleur des matériaux de décoration a forcément joué sur l’atmosphère et le côté sympathique» explique Edouard.

Après deux jours de tests avec les amis de Kim et Edouard - «on a joué le premier épisode de Quand les Bordelais débarquent à Casablanca...» rigole Edouard, le Kimmy’z peut enfin s’ouvrir à l’extérieur et aux critiques qui ne viendront jamais.

C’est au contraire un concert de louanges. Cornaqué, durant les premiers mois, par Stéphane Iglesias, chef bordelais de renom qui a dirigé les cuisines de la Maison du Fleuve à Camblanes, bourgade posée sur un bras de la Garonne, le chef Karim Acimi maîtrise très vite sa cuisine et ses produits. On ne compte plus ses plats signatures, à l’image de l’entrecôte sauce bordelaise et son os à moelle, fond de boeuf, vin rouge et échalotes confites, des risottos, à la cuisson parfaite, qui varient en fonction des suggestions de saison, de la burrata fraiche et crémeuse qui accompagne les tomates, sans oublier le majestueux châteaubriant.

Les amoureux de douceurs ne sont pas oubliés tant le chef pâtissier Ayoub Elkaouti fait montre de diversité, de créativité. Résultat, l'assiette tout chocolat avec fondant, petit pot de crème, soupe de chocolat chaud, glace vanille, chantilly et la tarte au citron destructurée avec pâte sablée, sa crème de citron et sa meringue suisse sont des tueries.

Et comme le rapport qualité - prix est également un défi permanent, le Kimmy’z possède également tous les arguments pour s’imposer dans la tranche du déjeuner d’affaires où les formules (120 dhs), une entrée et un plat ou un plat et un dessert avec café et bouteille d’eau offerts pour les deux options, sont des atouts indéniables. «Le chef fait son marché chaque matin et on ne travaille que les produits frais» précise Edouard. «Il n’y a que la glace qui passe par le congélateur chez nous. Le surgelé n’existe pas au Kimmy’z. On doit défendre l’honneur des brasseries françaises».

Et porter le drapeau des vignobles bordelais, capitale mondiale de la viticulture. «Véhiculer notre tradition culturelle, notre art de vivre fait partie de nos ambitions» avoue Edouard. «Le vin joue une grande place au Kimmy’z, pas seulement au niveau de la décoration. Notre bar est clairement orienté autour du vin. Le vin, c’est la boisson des copains. Il ouvre la discussion et les cœurs.»

Avec 120 références de vins du monde entier, une dégustation tous les mercredis entre 19h et 20h, il y a forcément beaucoup d’amour au Kimmy’z. «On possède de belles petites étiquettes bordelaises» dit Edouard qui a l’art de la litote. Il dit peu. Son regard suggère beaucoup. Chaque jour, les appellations glissent sur l’ardoise dans une belle symphonie. Du petit Côte du Rhône de récoltant à un Saint-Emilion inattendu, aux plus grands crus classés comme le Saint-Estèphe ou le Saint-Julien, l’offre est très éclectique. «Kim Birkedal Hartmann nous aide beaucoup pour l’élaboration et la diversité de la carte» confie Edouard. «C’est un passionné et, surtout, un fin connaisseur.»

Un businessman aussi, puisque ses propres vins sont commercialisés au plus grand bonheur du palais des clients. Le Birkedal Hartmann Rouge et Blanc et le Notorius Pink rosé, primé aux Etats unis, léger et frais, travaillé sans soufre avec un petit grenage, sont promis à un bel avenir cet été d’autant que la venue du rappeur et acteur américain Ludacris, ambassadeur du cognac Birkedal sur le sol américain, est annoncée. «Si le Birkedal Hartmann rouge, millésime 2010, fait déjà l’unanimité, le Chardonnay blanc est également prometteur» poursuit Edouard qui ne manque pas de souligner la qualité des vins du Royaume. «Je dois avouer que j’ai été surpris par la qualité et le travail des vins marocains. Je suis même très fan du Volubilia, Eclipse Ithaque.»

Et du Maroc, en général. «Si on me donne la chance de pouvoir rester ici, je me projette sur le long terme» confie Edouard. «Jamais, je ne m’étais senti aussi bien intégré quelque part. Ici, on m’a accueilli à bras ouverts, avec un cœur énorme.»

Normal, c’est comme ça qu’il accueille, chaque jour, ses clients, au Kimmy’z...