Gallopin: Alexandre père & fils.
Mars. 2009 \\ Par Jérôme Lamy

A peine retouché depuis sa création en 1876, Gallopin témoigne de la belle et grande époque
des brasseries et d’un temps, où autour du Palais Brongniart, régnait une joyeuse effervescence. Aujourd’hui, c’est la famille Alexandre qui perpétue la tradition de cette place chargée d’histoire(s). Rencontre avec Georges (le père) et Sébastien (le fils)...

La Brasserie Gallopin est l’un de ses lieux figés dans le temps, mémoire d’une ville, d’un quartier, d’une époque. Si son impressionnant bar d’origine, une seule pièce en acajou de Cuba, pouvait parler, il raconterait comment l’animation du Palais Brongniart a fait battre le cœur et les gamelles de la célèbre brasserie parisienne. Il raconterait  les belles heures de gloire, celles où les courtiers achetaient leur propre table, où les commis courraient du Palais au restaurant, où une baignoire en Zinc, remplie de bouteilles de champagne, était installée en face du bar pour fêter les opérations financières réussies, où les lingots d’or s'échangeaient de table en table, dans l'indifférence générale, lors des grèves qui ont secoué le marché de l'or, à la mort du Président Pompidou, en 1974. Il raconterait aujourd’hui comment l’animation des théâtres perpétue la tradition.
A l’heure de s’installer devant cet illustre comptoir et d’entendre Monsieur Georges Alexandre, l’actuel propriétaire, nous raconter l’histoire des lieux, ce dernier pense davantage à mettre la jeunesse de la Maison en avant par le truchement de son fils, Sébastien, diplômé de la prestigieuse école hôtelière de Lausanne. Mais l’œil du fils ému n’autorise aucune tricherie et malgré ses brillantes études et son évident talent à reprendre doucement le flambeau, Sébastien est surtout très admiratif du parcours de ses parents et irrésistiblement fier d’œuvrer dans ce petit bijou de brasserie.
Si un tel endroit est d’ailleurs parvenu a conserver son âme et sa chaleur, c’est très certainement grâce aux différents propriétaires qui se sont succédés ici depuis l’ouverture du restaurant par Monsieur Gallopin. La légende dit qu’il s’agissait d’un « cadeau d’amour » à sa femme en 1876. La brasserie a ainsi traversé les décennies sous l’égide respectueuse des divers patrons, qui ont soigné les lieux sans trop y toucher. En témoigne la précieuse verrière créée par Madame Gallopin à l’occasion de l’exposition universelle de 1901, qui a à peine bougé depuis sa création ou le mystérieux chauffe-plat, dont personne n’a encore réussi à percer l’Histoire... “Ici, tout est d’époque sauf le personnel” précise Sébastien, d’une voix douce et posée. “D’ailleurs, on ne devrait jamais laisser partir un client sans lui raconter l’histoire de la Maison.”
C’est une véritable aubaine qu’une telle affaire ne soit jamais tombée entre les mains souvent ‘standardisantes’ de grands groupes de restauration. Son histoire est toujours restée familiale et la vie rebondissante de Monsieur Alexandre est à l’image de celle de la brasserie. Originaire de Bretagne, son père meurt précocement. A seize ans, poussé par sa mère à faire son apprentissage chez le chausseur J.B. Martin comme tourneur sur bois pour fabriquer des talons, Georges rentre un soir, définitivement lassé de ce futur métier et dit à sa mère qu’il met un terme à cette expérience. Elle joue le bras de fer, fait alors la valise de son fils et lui prend un billet aller. Sans retour. 
Il part. Sa première chambre chez l’habitant le voit s’installer rue Vivienne et il devient employé chez un célèbre coiffeur de l’époque, Maurice Franck, rue Daunou. « Je servais à boire, à manger, je faisais les courses des clients. Je m’approvisionnais dans un bar en face du salon tenu par le neveu de Gallopin. C’est un signe, presque un destin...?. J’ai appris à faire mon premier café là-bas» précise t-il, amusé. Il n’oublie pas de préciser qu’il faisait également des ménages le matin, dans l’immeuble de la rue Vivienne...
A 18 ans, le jeune homme décide de faire un apprentissage digne de ce nom et se fait engager dans les luxueux établissements des nouveaux aéroports d’Orly. « Les personnes qui prenaient l’avion dans ces années-là étaient très fortunées, c’était le grand luxe, nous faisions la plonge en boutons de manchettes et cols amidonnés. »
Fort d’une belle formation de barman mais toujours aussi ambitieux, Monsieur Alexandre veut désormais maîtriser les vins et la restauration. C’est pourquoi il zappe ses galons de chef barman et embauche comme simple commis à la Tour Eiffel, dont-il devient le premier écailler. “J’étais un vrai curieux et un vrai cumulard” dit-il. Un vrai ambitieux aussi, puisqu’il force très vite les portes des restaurants des grands hôtels parisiens. C’est au Lutetia que sa vie prend une tournure nouvelle et joyeuse. Chef de salon, il rencontre sa future femme, qui est responsable du salon de thé. Le 31 mars 1969, ils se marient et se lancent ensemble, pour le meilleur et le pire, dans leur première gérance, à deux, en reprenant un petit bar tabac.
En 1971, la naissance de leur fille, Nathalie, et quelques années plus tard, celle de Sébastien, éloignent la jeune maman de la restauration, laissant son époux à la direction de 7 bars du Groupe Maxim’s des aéroports d’Orly ouest. Pourtant travailler pour de grands groupes commencent à lui déplaire «Lorsque vous avez une bonne idée, elle devient vite celle du patron, quand il en a une mauvaise, elle ne tarde pas à vous retomber dessus », dit-il en plaisantant. Il trouve une place à Bel Epine puis reprend la direction d’un très fameux établissement à Strasbourg : l’Aubette entre 1976 et 1979.
Deux ans plus tard, exit l’Alsace, c’est le retour à Paris. Directeur de la première Taverne de Maître Kanter, il s’associe, en 1982, pour racheter la célèbre brasserie Bofinger, place de la Bastille et l’historique restaurant La Pérouse. Son exceptionnel expérience n’accorde aucune place au hasard et alors que la guerre du Golfe attriste les porte-monnaies parisiens, il développe le concept des ‘Petit Bofinger’ à Paris et au Japon. L’occasion est belle et tentante de revendre au Groupe Flo, qui leur fait du pied et Monsieur Alexandre se retire de l’affaire.
C’est l’heure des questions existentielles. Monsieur Alexandre hésite à remettre le couvert. Après Bofinger et la Pérouse, peu de challenges le font rêver. C’est sans compter sur Madame Alexandre, qui s’inquiète de l’oisiveté éventuelle qui semble poindre.
C’est alors qu’on leur propose place de la Bourse, la brasserie Gallopin. “On est allé visiter Gallopin et le lieu nous a parlé” confie Georges Alexandre. “Il nous a tellement parlé qu’on a oublié qu’il n’y avait plus la bourse, les groupes de presse dans le quartier et le marché. Donc, on a oublié qu’il n’y avait plus clients...” 
Mais l’endroit reste magique et le couple n’hésite pas très longtemps avant de se porter acquéreur. Monsieur Alexandre dépoussière cette belle au bois dormant en réveillant le service du soir, qui sommeillait tranquillement. Madame Alexandre, quant à elle, fait le tour des théâtres et des concierges des grands hôtels, et doucement, patiemment, Gallopin revit.
Aujourd’hui, si vous feuilletez le livre d’or, vous y trouverez les petits mots bienveillants d’Isabelle Adjani ou Nathalie Baye, passées cet automne, celui de Valérie Lemercier qui joue en ce moment au Palace et apprécie d’y souper, un dessin de Francis Huster, qui  y a également ses habitudes…
Un conseil pour terminer, commandez un gallopin puisque c’est ici qu’il a été créé, et dégustez une bière dans une élégante timbale en argent.

Gallopin - 40 rue Notre Dame des Victoires
75002 Paris - 01 42 36 45 38
www.brasseriegallopin.com