Et si on essayait le 93 Montmartre ?
Septembre. 2009 \\ Par Jérôme Lamy

Avec ses rideaux de velours bronze, ses hautes baies vitrées, ses canapés en cuir capitonnés et son acoustique exceptionnelle, le 93 Montmartre est une invitation à l’abandon, d’autant que sa cuisine inventive confine au voyage.

Déjà, le nom - le 93 - est une équation à plusieurs inconnues. On pense bien sûr à la célèbre émission de Thierry Ardisson, “93 Faubourg Saint-Honoré”, mais aussi à la Seine-Saint-Denis, au fameux 9-3, d’où sont originaires les deux tauliers, Rodolphe et Stéphane. A l’évidence, les deux amis d’enfance ont créé un lieu plus proche de la rue Saint-Honoré que du nord du périph’. Rodolphe et Stéphane sont également à la tête du bar mythique Le Cœur Fou, au 55 rue Montmartre. Avant d’en devenir propriétaire, Rodolphe organisait chaque année la fête de la musique devant le Cœur Fou avec d’énormes sound systems. C’est parce qu’il a racheté ce bar branché “sans avoir jamais servi une bière” que Rodolphe a débauché son ami Stéphane, figure du quartier Montorgueil et ancien directeur du célèbre Bar du Marché à Saint-Germain-des-Prés.
Au 93 Montmartre, c’est le royaume du noir profond, symbole de l’esprit club cosy et feutré, marié avec succès et goût à un mobilier de style d’époque. En fait, le 93 Montmartre, c’est un peu New York et Londres à Paris. C’est d’ailleurs de l’autre côté de la Manche que Rodolphe a puisé son inspiration après être tombé sour le charme d’un café-concert londonien. Sa passion pour les brocantes et les salles de vente lui a permis de chiner la décoration qui fait aujourd'hui sa réputation. Londres pour les miroirs et pour les célèbres canapés Chesterfields, Marseille pour le piano, la Bourgogne pour les tables, Moutiers pour les lustres à la fermeture d’une usine désaffectée... Rodolphe a imaginé le 93 au hasard de ces réveils matins et de ses sorties brocantes. “Le lieu n’est pas encore totalement terminé” dit-il. “Je me donne encore deux ans pour le finaliser complètement au gré de mes rencontres.”
Et si Rodolphe est davantage présent chez Drouot qu’à Rungis, c’est en cuisine qu’il faut chercher l’explication du succès du 93 Montmartre. Au fourneau, le chef Olivier Benoist, formé chez Maxim’s et à La Closerie des Lilas, rivalise d’ingéniosité pour prolonger le voyage dans l’assiette. D’inspiration française, la cuisine innovante et nouvelle ne manque ni de couleurs ni d’épices. On flirte avec les frontières de l’Asie et de l’Inde. La carte change chaque saison pour donner vie aux produits du moment, frais et travaillés minute. Et si les tubes indémodables demeurent le cheeseburger bacon - les enfants “kiffent” - et l’énorme entrecôte au poivre vert de Madagascar, il ne faut pas oublier le risotto de gambas au saté, tuile de parmesan et le moelleux choco-caramel avec sa glace vanille.
Déjeuner d’affaires, dîner à deux en amoureux ou soirée entre amis - grandes tables de ferme pour les groupes - dans une ambiance tamisée par des appliques années 50, le 93 séduit ses convives jusqu’à l'acoustique car le son est une vraie marque de la maison. Normal, Rodolphe est un ancien DJ, qui égrenait les clubs. Entre son label et ses chroniques radio, son atelier d’artiste et sa jolie réputation, le garçon a roulé sa bosse. Le grain, la fibre, la couleur musicale du 93 Montmartre ont été soigneusement choisis et imaginés pour réchauffer l'impressionnant volume de l'établissement. “La musique est un sens qui n’est pas forcément perceptible mais quand on dîne dans un restaurant où la qualité sonore est mauvaise, on bâcle son repas en moins d’une heure” dit Rodolphe. Une fois les rideaux tirés, les merveilleux cocktails d’Alex, le barman, et le son invitent les clients à s’affaler longuement au fond des fauteuils clubs.
Rien d’étonnant donc que chaque vendredi et samedi, le 93 passe en mode club, avec un mini dancefloor éphémère. Imité, mais jamais égalé, Rodolphe n’est pas nostalgique du temps qui passe. Il est seulement gourmand et curieux du monde qui s’ébroue. Sûr que quand il en aura fini de chiner et de suer pour le 93, il prendra son sac à dos et s’inventera de nouveaux rêves. “L’Asie me tente” dit-il, mystérieux.