Driss Jaydane installe son divan au Sofitel Jardin des Roses
Octobre. 2015 \\ Par Jérôme Lamy

EN POURFENDANT L’ILLUSION IDENTITAIRE, LES DISCOURS MORALISATEURS, LA SCHIZOPHRENIE DANS LAQUELLE EST LIGOTE LE PEULE MAROCAIN, DRISS JAYDANE LANCE LA CHASSE AU NIHILISME. «IL FAUT FAIRE ATTENTION DE NE PAS REMPLACER LA TRADITION PAR LE CONSERVATISME ET L’HISTOIRE PAR LA MEMOIRE» DIT-T-IL. MORCEAUX CHOISIS D'UN GENIE DES MOTS, PARLES ET ECRITS, A RABAT, AU SOFITEL JARDIN DES ROSES, LORS D'UNE ESCALE LITTERAIRE SUR UN DIVAN MAROCAIN.

Recevoir Driss Jaydane dans le cadre d’une escale littéraire est une chance unique. C’est aussi un piège authentique. Ses mots portent une érudition infinie, un humanisme permanent, une pensée cristalline, une sagesse ensorcelante, un raisonnement nourri, une omniscience sans fard. Et comme leur enchevêtrement résonne comme une douce symphonie de Mozart ou Monteverdi, il eut suffi d’une fausse note pour interrompre cette échappée si merveilleuse et joyeuse, si fulgurante et bienveillante, organisée à Rabat, au Sofitel Jardin des Roses.

Elle ne vint pas. Ni de Jihane Bougrine, parfaite dans son rôle de maitresse de soirée. L’enjeu pour la journaliste de Luxe Radio était de briller par son absence. Elle réussit à se faire oublier, relançant l’assistance souvent avec le sourire, toujours avec discrétion. Ni du public dont le défi était de voyager dans la même ivresse culturelle et intellectuelle que Driss Jaydane. Pari relevé d’autant plus aisément que de nombreux romanciers avaient garni Le Café La Galerie, à l'image de Salwa Tazi qui aura l'honneur de la prochaine escale littéraire, le 5 novembre prochain...

C’est que Driss Jaydane fait recette! En librairie où son dernier roman Le divan marocain s’est plutôt bien vendu. En réunion publique où le chroniqueur des matinales de Luxe Radio possède un capital séduction incontestable qui réhabilite le pouvoir des mots. Politologue, psychologue, professeur, essayiste, intellectuel, Driss Jaydane est un romancier dont la dernière œuvre est aussi utile qu’importante.

En pourfendant l’illusion identitaire, les discours moralisateurs, la schizophrénie dans laquelle est ligoté le peule marocain, Driss Jaydane ouvre le champ des possibles. «Les discours cicatrisants et culpabilisants appellent au populisme» prévient-il. «Ce n’est pas parce qu’on parle une langue et une autre, ce n’est parce qu’on passe d’un univers à un autre, ce n’est pas parce qu’on fait un grand écart permanent que nous sommes schizophrènes. La césure de la société divisée en deux parties opposées est un discours dépassé. Les gens sont plus intelligents et créatifs que ça. C’est avec des idées qu’on transforme la vie..»

Driss jaydane pointe deux écueils. «Il faut faire attention de ne pas remplacer la tradition par le conservatisme et l’histoire par la mémoire» glisse-t-il. «Nous devons absolument sortir de l’enfermement. Nous devons fabriquer du commun avec du différent. Hybridité doit rimer avec liberté. La société n’est pas bloquée, elle avance. On se constitue les uns avec les autres. Le problème n’est pas la langue dans la laquelle on parle, c’est la grammaire de l’être.»

L’humain est au centre de son discours. «Le danger, c’est de se dire que nous n’avons plus rien à nous dire» lance-t-il. «Le rôle des politiques, des intellectuels, de la société civile, c’est de créer un fonds commun pour se parler quelles que soient nos origines. Le gosse, qui a huit ans et qui est né dans un bidonville, n’est pas perdu. Il peut rencontrer le gosse de riches et faire de grandes choses avec lui. La force d’un pays, c’est de faire comprendre à ses citoyens qu’ils sont talentueux. Le Maroc est un pays de gens surdoués. Ça ne veut pas dire géniaux. Mais il n’y a rien de pire qu’un éducateur qui dénigre les rêves d’un enfant. Il n’y a rien de pire qu’un pédagogue qui prend son pied à voir les autres ne pas réussir à s’inventer.»

L’essentiel, selon Driss jaydane, c’est de ne pas se tromper de match. «Le vrai jihad, c’est de refuser le nihilisme» assure-t-il. «Le combat n’est ni entre les riches et les pauvres, encore moins entre les conservateurs et les modernistes, le seul combat est contre ceux qui ont intérêt à ce que le nihilisme perdure.»

Driss Jaydane a échangé avec un public conquis, près de deux heures, à travers des mots chargés d’une passion jamais démentie. Il a parlé de la capacité phonique des Marocains. «Converser en plusieurs langues est un miracle» dit-il. Il a tancé l’absence de confiance qui pollue la société marocaine. «On est pourris et intoxiqués très tôt au lait de la dépréciation maladive.». Il a joué les ethnologues avec la notion de possession. «Quand elle est drôle et esthétique, il faut se laisser prendre à son jeu» assure-t-il. «Il faut sortir de l’idée que ce serait une aliénation. On est tous enchainés les uns aux autres. Qu’est ce que c’est être soi-même? On n’est jamais soi-même. On est soi-même avec les autres...»