DANS LES PAS DE SCHAPIRA
Septembre. 2007 \\ Par Jérôme Lamy

Elu maire du 2e en 2001 avant de laisser son fauteuil à Jacques Boutault, au nom d’un accord avec les Verts, Pierre Schapira avance vers les prochaines échéances municipales avec détermination

Dix-huit mars 2001, soir du second tour des élections municipales. Pierre Schapira est élu à la Mairie du 2e arrondissement de Paris. Après des décennies à droite marquées notamment par les mandats d’Alain Dumait (UDF / 1983) et de Benoîte Taffin (UDF-RPR / 1989 et 1995), la liste du dentiste de Montorgueil a fait pencher l’arrondissement à gauche. Plus tard dans la nuit, la fierté personnelle et l’allégresse collective à gauche, née de la marche victorieuse de Bertrand Delanoë vers l’Hôtel de Ville, font place au tourment.
Le nouvel édile de la Capitale est contraint de demander à Pierre Schapira, son ami de trente ans, rencontré dans la section PS de la Goutte d’Or où il formait la bande du XVIIIe avec Lionel Jospin,  Daniel Vaillant et Claude Estier, de laisser son fauteuil à Jacques Boutault pour honorer l’alliance avec les verts scellée le soir du premier tour. Encore aujourd’hui, Pierre Schapira parle «d’une grave blessure». Il ne cache pas qu’à cet instant, il a eu envie de tout plaquer, de couper le cordon avec le monde politique et que c’est les larmes aux yeux qu’il a cédé sa place.
Les mauvaises langues diront que cette peine était feinte, et que le bureau offert à Pierre Schapira à la Marie de Paris comme adjoint chargé des relations internationales et de la Francophonie était une joyeuse compensation… «J’ai refusé le commerce, la sécurité. Quand on m’a proposé l’international, j’ai dit: c’est ça ou rien. Je n’ai jamais eu de plan de carrière.»
Schapira connaît, en revanche, le plan de son quartier sur le bout des doigts. Il n’a d’ailleurs jamais cessé d’arpenter ses pavés malgré ses nouvelles fonctions et malgré son mandat de député européen remporté en 2004, à la surprise générale. «J’ai toujours donné ma priorité aux habitants du 2e et trouvé du temps pour eux» confirme Pierre Schapira. «Comme tous les enfants du soleil, on vivait dans la rue et j’ai retrouvé avec bonheur le sens de la tchatche à Montorgueil » ajoute celui qui se souvient avec émotion de son enfance dans un petit village près d’Alger où il naît en décembre 1944. 
On ne peut pas comprendre l’histoire de Pierre Schapira sans évoquer celle de son père. Ce paternel militaire à Alger avec Georges Dayan, le père du fleuriste de la rue Montorgueil Jean-François Dayan, qui lui présente François Mitterrand après l’avoir côtoyé sur les bancs de la fac de droit avant 1939.  En juin 1940, le papa Schapira répond à l’appel de De Gaulle. Il s’embarque depuis Bordeaux sur un bateau pour rejoindre Londres mais une tempête l’entraîne vers le Maroc. Il rejoint alors sa sœur en Algérie et s’engage comme prof’ de lettres à la rentrée des classes. Mais, en décembre, les juifs sont chassés de l’Université. Forcément, la politique occupe une place encore plus  importance dans la vie de cette famille. «Mon père pensait que la meilleure issue était l’indépendance de l’Algérie, il n’était pas gaulliste mais il soutenait sa politique. A vrai dire, il n’était pas évident d’être juif et de gauche dans un petit village en Algérie à cette époque ! ».
En 1961, Pierre Schapira quitte l’Algérie. «Je perdais mon pays mais je ne pouvais pas condamner les pieds noirs». Il passe l’été à Issy les Moulineaux chez son grand-père maternel, maire radical socialiste d’Issy, rouge et juif, réélu en pleine affaire Dreyfus... Ce grand-père polonais contraint de finir la seconde guerre mondiale dans la Creuse après avoir échappé à la déportation grâce à un voisin bienveillant. 
En 1962, Pierre Schapira a 18 ans. C’est l’âge de toutes les craintes. Pendu à la radio dès 6 heures du matin pour quêter les nouvelles d’Algérie où ses parents demeureront jusqu’à juin 1962 avant de rentrer en France comme 1 million de français. C’est aussi l’âge de tous les rêves. C’est surtout le temps d’entamer des études dentaires et d’accompagner le mouvement étudiant. « Je n’ai jamais été gauchiste, je voulais seulement secouer le cocotier des dix ans de gaullisme. Pour moi, mai 68 était davantage un mouvement de libération culturel. J’ai participé aux manifs, pas aux barricades».

 

Pierre Schapira est
poignardé  en 1998,
rue Montorgueil

 

C’est en 1972, au lendemain du congrès d’Epinay, lorsque le PS et le PC font programme commun, que Schapira adhère au PS. En 1973, il fait  la rencontre de Lionel jospin, qui marque d’une trace indélébile son engagement politique. C’est un exposé de l’ancien Premier Ministre sur la politique américaine à l’aune de la situation du Chili qui rapproche les deux hommes. «J’étais sous le charme:  très vite, j’ai apprécié la probité et la justesse des analyses de Jospin» confie Schapira, qui a milité jusqu’au bout à l’intérieur du PS pour l’investiture de Jospin lors de la dernière élection présidentielle avant de soutenir DSK. «Quand il s’est retiré de la vie politique en 2002, j’ai bien sur eu en vie de tout plaquer. En fait, j’ai davantage été jospiniste que mitterrandiste.»
Aujourd’hui, il roule pour Delanoë à la mairie de Paris et à l’intérieur du parti socialiste. C’est Delanoë, élu député en 1981, qui lui a permis de gérer sa double vie entre la médecine et la politique. Il soigne pendant quelques temps les dents des pensionnaires de la prison de Fresnes mais surtout les quenottes des habitants du 2e arrondissement où il installe son cabinet dentaire, au 74 de la rue Montorgueil.
Il s’attache à ce quartier, fragilisé par le départ des Halles, repensé en 1991 autour de la rue Montorgueil qui devient piétonne.
A Montorgueil tout change, et Pierre Schapira entend enfoncer un coin du changement ! En 1995, il est élu Conseiller de Paris et enfin, en 2001, le grand changement qu’il attend a lieu, le 2è arrondissement bascule à gauche. «Quand j’ai commencé la politique, je n’aurais jamais cru que Mitterrand arrive  à l’Elysée et encore moins qu’un socialiste soit maire de Paris», dit Schapira dont la proximité n’est pas la dernière des qualités. «Par nature, je suis proche des gens, tous les hommes politiques n’ont pas cette démarche. Je m’expose beaucoup, c’est mon quartier, j’y vis tout simplement ».
Il est vrai que tous les hommes politiques ne sont pas aussi accessibles que Pierre Schapira. Il passe chaque semaine, souvent plusieurs fois, saluer les commerçants et habitants du quartier. Son bureau, c’est le marché Montorgueil. Et dans l’effervescence et le folklore de la rue, il reçoit tous les dimanche matin.
Mais cette accessibilité a un écueil: il s’expose. Et pas seulement aux critiques. En 1998, un homme s’en prend à lui rue Montorgueil et lui assène un coup de couteau. «Je lisais mon journal devant la boucherie Triboulet quand un homme m’a tapé sur l’épaule avant de sortir un couteau de boucher. J’ai raconté cette histoire des centaines de fois, cela m’a aidé à l’évacuer. Aujourd’hui je ne me sens pas menacé, ni traumatisé, je me souviens juste que Patrick des Jardins d’Anaïs était là et m’a aidé. Il a immobilisé mon agresseur. Il m’a sans doute sauvé la vie. L’homme habitait le quartier, il a été tout de suite été interpellé».
Pierre Schapira parle de ce douloureux souvenir aisément, sans amertume, sans haine, ni passion. Il passe sur les menaces de mort qui ont parfois gâché sa vie et celle de son épouse. En fait, la seule trace de cette agression tient dans la douleur récurrente aux adducteurs et dans la présence d’un un garde du corps, qui le suit sans discontinu encore aujourd’hui. C’est parfois lourd à porter pour cet homme pudique et discret, qui ne s’étend pas sur la réussite de ses enfants, Raphaëlle (28 ans) journaliste à Europe 1 et Antoine (30 ans) avocat, ni sur ses ambitions pour les prochaines municipales. Il préfère noyer le poisson en évoquant sa passion irréductible pour l’alpinisme et expliquer par le menu la voie qu’il a ouverte et qui porte son nom, à Chamonix, sur les contreforts de la mer de la glace.
Devenir maire du 2e arrondissement est aussi une forme d’ascension.

 

Pierre Schapira en bref.—
10 décembre 1944: naissance à Alger. mars 1995: élu conseiller de Paris du 2e arrondissement. mars 2001: Adjoint au Maire de la Ville de Paris, chargé des Relations Internationales et de la Francophonie. juin 2004: élu député européen. Membre titulaire de la commission du développement, Membre titulaire de la délégation interparlementaire pour les relations avec Israël. avril 2007: reçoit la Marianne d’Or des mains de Christian Poncelt, président du Sénat, pour son travail notamment à Phnom Penh et à Bethleem.