Christophe Lambert : je suis pudique et romantique
Janvier. 2010 \\ Par Jérôme Lamy

A la ville comme à l’écran, Christophe Lambert fait un retour à l’essentiel et tord le cou au superficiel. Dans l’Homme de chevet, aux côtés de Sophie Marceau, et prochainement dans White Material de Claire Denis, l’acteur revient à la lumière. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Christophe Lambert tombe le masque.

Pile-poil. Christophe Lambert est exact au rendez-vous qu’il nous a fixé. S’il est venu dans le quartier Montorgueil, rue Saint-Sauveur - au Klay, la nouvelle salle de sport des frères Benzaquen - pour réaliser la photo de couverture, c’est au bar de l’Hôtel Crillon qu’il a souhaité répondre à nos questions.
Longtemps dirigé par la famille Taittinger, le Crillon est un havre de paix et de raffinement qui tranche avec l’affolement de la Place de la Concorde.?Il est onze heure ce matin. Les oranges sont davantage pressées que les clients lovés dans des fauteuils du XVIIe. L’heure est aux cafés et aux macarons. A la nostalgie.
Solaire et débonnaire, magnétique et charismatique, Christophe Lambert arrive avec un agenda aussi rempli que le bottin et une pile de dossiers. Businessman respecté, l’acteur né à New-York il y a 52 ans, prend autant d’avions qu’il lit de scénarios. D’entrée, il brise la glace. Très animal, Christophe Lambert vous regarde, vous scrute, vous touche le genou, le bras à maintes reprises pour marquer son territoire et jauger son interlocuteur. D’entrée, on parle...?lunettes, son accessoire favori. Au bout d’une heure d’interview, on aura parler de tout. Sans tabou, ni concession, la star du cinéma, l’homme de Sophie Marceau s’est confié à Clin d’Oeil avec une franchise et une profondeur assez rares pour un homme aussi pudique.
A l’affiche de l’Homme de chevet, le premier film émouvant d’Alain Monne, et prochainement dans White Material, aux côtés d’Isabelle Huppert, Christophe Lambert tombe le masque et illumin l’écran avec une sensibilité qui sonnent comme un retour aux sources.

Clin d’Oeil.- Est-ce que le rôle de Léo dans l’Homme de chevet a marqué un tournant dans votre carrière?
Christophe Lambert.- Ce n’est pas un tournant, c’est un moment de ma vie. Un instant où j’ai eu envie d’aller vers autre chose avec un rôle iconoclaste, un personnage que l’on n’attend pas. Pour tout dire, je n’aime pas employer le mot carrière. Et pour être tout à fait franc, il faut préciser qu’il ya des rôles évidents qu’on accepte sans aucune hésitation. L’Homme de chevet, c’était évident. Il fallait faire ce film. Il fallait devenir ce personnage. Clairement néanmoins, j’ai envie de me diriger, aujourd’hui, vers des personnages plus sensibles, plus romantiques et moins superficiels. Ceci dit, j’ai toujours essayé d’amener à mes personnages de films d’action une palette humaine et sensible. Dans Greystoke, Highlander et même Subway, j’ai humanisé les rôles. Je ne suis pas un dur, je ne suis pas un gros bras. Je suis juste un sensible. Dans l’Homme de chevet, le romantisme est la base de tout. Cette femme, elle a plus de couilles que lui, ça ça lui donne l’espoir et l’envie d’une introspection. Elle se dit: ce mec est spécial, sa démarche un peu balourde est spéciale. Mais, à l’intérieur, il a un raffinement qui correspond à cette femme.

Ce n’était pas difficile de tourner avec votre compagne, Sophie Marceau?
La difficulté, c’est que dès le début, il y avait une connexion entre Sophie et moi. Alain me disait : ‘Christophe, ne regarde pas Sophie comme ça. On croit que tu l‘aimes’. Je lui répondais: ‘Mais Alain, je l’aime...” Et Alain me disait : “mais tu n’es pas Christophe, tu es Léo. Un acteur a besoin d’être dirigé. Je tiens donc à féliciter Alain pour sa direction d’acteur ainsi que pour son choix des seconds rôles...

On vous sent encore habité par le personnage de Léo....
Avant de faire le film, j’étais habité par la pudeur et la sensibilité du scénario d’Alain Monne. Aujourd’hui, je le suis encore par ce film, en effet, par ces deux personnages cassés d’une manière différente, l’un au physique d’acier et au mental en coton, l’autre en mental de fer et au physique brisé. Ces deux personnages ne font qu’une personne. Chacun amène à l’autre ce dont il a besoin. A deux on est plus fort, à deux, on peut avoir de l’espoir, à deux, on peut rêver, à deux, on peut s’évader. Je suis habité par ce message, oui.
Existe-t-il des points communs entre vous et le personnage de Léo?
J’ai touché du doigt et approché des choses par rapport au personnage de Léo. Grâce à Léo, j’ai compris des choses sur moi. Léo m’a poussé dans la réflexion sur moi. Mais contrairement à lui, je ne suis jamais allé aussi loin, je ne suis jamais descendu aussi bas. J’ai toujours sû m'arrêter au moment où il fallait s’arrêter. J’ai toujours été comme ça depuis que je suis enfant. Léo est tombé dans tous les poncifs de l’éphémère célébrité et de la vie brisée. Il sait le mal qu’il a fait et il le fuit dans l’alcool.
Avez-vous connu l’alcoolisme?
J’ai connu des mauvais moments, des nuits trop longues et trop arrosées mais je n’y suis jamais tombé réellement. Il y a toujours eu un matin où je me suis dit ‘stop, c’est fini’. J’ai toujours fait cette démarche seul...

Sans aucune aide?
Il ya toujours de l’aide, celle des amis, celle des médecins. Mais pour s’en sortir vraiment, il faut que la décision vienne de soi, du plus profond de soi. C’est comme la décision d’arrêter de fumer.
Est-ce que vous avez beaucoup d’amis?
Non, sinon cela n’aurait aucune valeur. j’ai des amis d’enfance que je connais depuis plus de 35 ans. J’en ai réellement un, en fait, il s’appelle Dominique. Sinon, j‘ai quelques amis. Quand on erre dans l’adolescence, on a ses critères. On a envie de plaire à tout le monde. Mais on se rend compte très vite que ce n’est pas le plus important. L’important, en amitié comme en amour, c’est de plaire à une seule personne, à sa femme, à son meilleur pote, et de tout lui donner. Dans l’amitié comme dans l’amour, il faut avoir une liberté d’expression totale. C’est le plus dur et le plus rare. Quand on a bu, on peut dire beaucoup de conneries à des inconnus. Ce n’est évidemment pas ça l’amitié.

Etes-vous un séducteur?
La séduction en elle-même n’est pas le paramètre qui m’intéresse dans la vie. La séduction ne m’intéresse pas, au contraire de la connexion qui guide ma vie. Je ne suis pas un séducteur, un play-boy. Je n’ai pas la manière, je suis plutôt timide et effacé. Je suis trop pudique et trop caché pour être un séducteur. Je suis romantique. Quand on rencontre quelqu’un, en amitié ou en amour, on sait tout de suite s’il y a une connexion. C’est le sel de la vie et des rencontres. J’ai trop besoin de me cacher pour être un séducteur...

Derrière vos lunettes?
Oui... Lors de mes premiers castings, je me disais toujours que si je gardais mes lunettes, je n’aurais jamais le rôle.

Est-ce que vos lunettes sont l’objet le plus important de votre vie?
C’est un objet que j’aime. j’aime voir, je n’aime pas forcément qu’on me voie. Mes lunettes, c’est aussi la barrière entre le cinéma et ma vie privée. Entre ce que je suis obligé de montrer et ce que j’ai envie de montrer.

Est-ce que vous attachez de l’importance à votre image?
L’image que les gens ont de moi est celle que je projette. Quand je suis solaire, sympathique, ils reçoivent une image positive. Quand je suis sombre, c’est différent... Je n’essaye pas forcément d’être toujours sympathique. Je suis comme je suis. Mais je suis d’un naturel optimiste et positif. Quels que soientt les problèmes, je pense qu’il y a toujours une lumière pour espérer. Donc, je pense que les gens ont de moi une image plutôt positive.

L’Homme de chevet est-il un film optimiste?
C’est un film très solaire. A partir du moment où on s’accroche à l’amour, la vie change. On ne voit jamais le physique cassé de Muriel, ni le mental détruit de Léo: ce film n’est fait que d’espoir. Allons de l’avant. Allons-y à deux...

Est-ce que l’amour cérébral est plus fort que l’amour physique?
L’amour physique, c’est génial. Mais l’amour physique sans l’amour mental, c’est zéro. On s’est tous réveillé un matin en espérant que son ou sa partenaire nocturne s’en aille très vite. En latin, on dit : ‘Post coitum triste omni est’. Sans sentiment, on se rapproche des animaux. L‘animal n’est là que pour procréer, nous on est là pour aimer. J’ai besoin d’être fou amoureux, que mon amoureuse soit ma femme, ma meilleure amie, ma confidente, qu’elle soit partout dans ma vie. C’est cette femme que j’aime. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais c’est elle. C’est au dessus de l’amour. C’est une vraie drogue.Je suis prêt à crever pour elle.
Etes-vous cérébral?
Etre cérébral, c’est être dans l’analyse permanente. Donc, je ne suis pas cérébral. Je ressens seulement des choses en regardant quelqu’un ou en lui serrant la main. j’ai un ami, en Argentine. Je le connais depuis plus de 20 ans. Je savais, au premier regard, que ça serait mon pote grâce à ce qu’il dégageait, ce qu’il donnait, sa sympathie, sa générosité. Je ressens plus que j’analyse.
En moyenne, on a 60 80000 pensées par jour. Et dans toutes ces pensées, je suis plutôt dans l’intuition que dans l’explication.

Vous avez beaucoup de mauvaises pensées?
Il peut y avoir des pensés destructrices, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont mauvaises.

Est-ce que vous êtes arrivé à un moment de votre vie où donner aux autres, rendre aux autres est essentiel?
Ma vie n’est faite que de ça, depuis toujours. C’est comme ça que j’ai toujours vécu. L’important, c’est de donner sans concession et de savoir prendre avec parcimonie pour se nourrir. Celui qui prend tout, partout, ne saura jamais donner...

Est-ce vous croyez au destin?
La vie n’est jamais une coïncidence ou alors une suite de coïncidences. Je ne crois pas aux rencontres fortuites, aux choses qu’on me propose par accident. Je peux sortir d’ici et être emporté par un raz de marée. Ce n’est pas écrit, c’est comme ça. Je suis fataliste. C’est pourquoi j’aime l’instant présent. Ce sont les cinq minutes présentes qu’il faut apprécier. Je suis un épicurien. Si je vois une porte ouverte, j’ai envie de l’ouvrir et de faire mon petit scénario. Je n’aime ni la sécurité, ni le cocon. J’aime la nouveauté. Pourtant, et c’est assez contradictoire, je suis quelqu'un de très structuré. J’aime préparer les choses: je n’arrive jamais en retard. J’aime mettre de l’ordre dans la banalité. Comme elle n’a aucune importance, autant la préparer pour ne pas perdre de temps avec. Le pire, c’est d’entendre quelqu’un dire: ‘je reste avec ma femme car il y a les enfants. Quelle perte de temps !

Vous êtes forcément un éternel insatisfait...
Je ne suis qu’un bloc monolithique d’insatisfaction. Pour moi, les choses ne sont jamais abouties. Dans l’amour, il y a une permanence d’insécurité, de souffrance, de questionnement qui me plait.

Est-ce que vous aimez cultiver la souffrance en amour?
J’aime plutôt les caresses: c’est mon côté animal.

Vous vivez entre Paris et les Etats-Unis. Vous vous sentez où chez vous?
Je me sens chez moi là où je me sens bien et surtout là où je suis bien entouré. Se sentir bien, c’est ne pas être déstabilisé par des choses profondes, ne pas être dans la confrontation.

Est-ce que votre filmographie a été dictée par des choix commerciaux?
Ces choix commerciaux, je les assume. Ils me permettent de faire aujourd’hui ce que j’ai envie de faire.

Pour autant, vous avez quand même pris des risques très tôt dans votre carrière, notamment en acceptant de jouer dans I love you de Marco Ferreri, en 1986...
Le moins que l’on puisse dire, c’est que I love you n’était pas un choix commercial (rires). J’avais simplement envie de tourner avec Ferreri. Tous mes choix n‘ont bien sûr pas été motivés que par l’argent. Aujourd’hui, c’est seulement l’envie de m’amuser qui me guide et me porte. Lors du tournage de l’Homme de chevet ou celui de White Material, j’ai ressenti le plaisir unique de me lever le matin, et de me dire que j’ai envie faire du cinéma. Ce plaisir, je ne le trouvais plus dans un cinéma d’action que j’ai trop visité. Il fallait que je revienne à la source. la source pour moi, c’est l’affectif, l’émotion...

Quel a été votre rôle le plus compliqué à apprivoiser?
Incontestablement, le sicilien de Michael Cimino. J’ai eu beaucoup de difficulté à maîtriser le rôle d’un personnage aussi torturé. mais je ne me souviens plus de tous mes films: j’en ai fait beaucoup ! (rires)

Vous avez fait trop de films?
Peut-être. Ce n’est qu’avec l’expérience qu’on acquiert progressivement une forme de liberté. Le plus dur, c’est de savoir dire : ‘ non’. Malheureusement, dans ma carrière, je n’ai pas dit assez souvent : ‘non’ ! Je me disais : ‘ je peux pas faire ça à un copain ‘. Du coup, ma filmographie ne reflète pas toujours une attention extrême au niveau de ces choix.

Avez-vous des regrets?
Non, ce qui est derrière, on ne peut pas le rattraper...

Est-ce que faire la promotion d’un film vous agace?
J’aime défendre mes films avec sincérité et essayer de transmettre l’émotion ou la flamme que j’ai ressentie.

Vous ne vous êtes pas ennuyé avec moi, alors...
Non, au contraire... Sinon, déjà je n’aurais pas accepté cette interview. je ne fais que les choses que j’ai envie de faire. Au pire, j’aurais trouvé une excuse pour partir au bout d’un quart d’heure...