Aziz El Badraoui : De la galère à la lumière
Août. 2019 \\ Par Jérôme Lamy

PARTI DE RIEN, AZIZ EL?BADRAOUI A CRÉÉ LE GROUPE OZONE ENVIRONNEMENT ET SERVICES SANS ARGENT, NI RELATION MAIS AVEC DES IDÉES NOVATRICES ET LES VALEURS DE SES PARENTS QUI LUI ONT DONNÉ LA FORCE  DE RENVERSER DES MONTAGNES. LEADER AFRICAIN DE LA COLLECTE DES ORDURES, LE GROUPE OZONE A SURCLASSÉ, EN MOINS DE DIX ANS, LA CONCURRENCE NATIONALE ET INTERNATIONALE. RENCONTRE AVEC UN HOMME HONNÊTE ET DROIT, UN SELF MADE MAN QUI A DECROCHÉ LA LUNE EN GARDANT LES PIEDS SUR TERRE.

Quand on lui demande si le Groupe Ozone Environnement et Services possède un capital 100% marocain, Aziz El Badraoui a cette drôle de réponse: «Ozone est une société 100% Aziz     Badraoui». Qu’on ne s’y trompe pas, le Président du leader africain de la collecte des ordures, du tri, du recyclage, du nettoyage et de la valorisation des déchets n’est pas pris en flagrant délit de crise égotique ou de nombrilisme aigu. Loin s’en faut ! Ses mollets de footballeur n’ont pas enflé et sa tête, bien remplie, passe toujours entre les murs du magnifique siège d’Ozone niché dans le quartier huppé de Hay Riad, à Rabat. Chez Aziz El Badraoui, l’humilité et la simplicité invitent seulement la timidité et la générosité au bal des gens bien.

100% Aziz Badraoui ! Avec ce trait d’humour - une autre qualité miroir d’une intelligence rare , Aziz El Badraoui témoigne surtout combien son histoire personnelle et celle de sa société sont intimement liées. L’incroyable réussite du Groupe Ozone Environnement et Services a changé la vie d’Aziz El Badraoui dans des proportions qui confirment qu’il faut parfois dissocier la règle de l’exception. Et qui donnent de l’eau au moulin de ceux qui se complaisent dans les contes de fées. Ceux qui aiment les destins binaires et les vies extraordinaires. Ceux qui sont épris de success stories où s’entremêlent le pouvoir et la gloire, les blessures et les morsures, la rage et le courage, la souffrance et la reconnaissance, la misère et la lumière. Ceux  qui raffolent des chemins sinueux menant du rêve à la réalité.

Chez Aziz El Badraoui, le rêve a dépassé la réalité. De la noirceur du quartier Takaddoum, considéré comme un des derniers ghettos de la Capitale, au firmament de la reconnaissance, sa vie est une légende. Il aurait pu en faire un film. Il a décidé d’être l’acteur de sa réussite. Difficile de lui donner tort. Aziz El Badraoui est aujourd’hui un capitaine d’industrie qui force l’admiration. On peut le comparer à feu Miloud Chaâbi (Ynna Holding), Tahar Bimezzagh (Koutoubia) ou El Hachmi Boutgueray (Anwar Invest), autant de self-made-men partis de rien, qui ont planté le drapeau de la victoire en gravissant toutes les marches de l’échelle sociale. 

Il appartient au cercle très restreint des mastodontes de l’entreprenariat marocain. En moins de dix ans, il a réussi à surclasser la concurrence nationale et internationale et briser le monopole de Suez, Veolia ou autre Pizzorno dans la collecte des ordures non seulement sur la scène domestique mais aussi à l’échelle continentale. Avec Aziz El Badraoui, les chiffres donnent le vertige. Ils ne disent pas tout mais ils dévoilent l’essentiel. Ozone Environnement et Services, c’était 20.000 dirhams de capital social, 4 salariés et 540.000 dirhams de chiffre d’affaires, en 2008. Dix ans plus tard, en 2018, c’est 100 millions de dirhams de capital social, 8700 salariés et 800 millions de dirhams de chiffre d’affaires.

Aziz El Badraoui côtoie les grands de ce monde. Cet hiver, il a été reçu, à Monrovia, par George Weah, ancien footballeur, 40e Ballon d’or et actuel  président de la République du Liberia. Homme de valeurs au grand cœur, Aziz El Badraoui fait l’unanimité. Et compile les récompenses. En début d’année, il a été élu par l’Agence Maghreb Arabe Presse (MAP) parmi les  12 personnalités marocaines ayant marqué l’année 2018 de leur parcours professionnel et leurs initiatives citoyennes. Forcément, c’est dans la catégorie Environnement, énergie renouvelable, développement durable que le boss d’Ozone a obtenu le titre pour la contribution de son entreprise à la protection de l’environnement. Surtout, Aziz El Badraoui a été classé, lors du concours G2T Global Awards (voir page 24), 8e président manager sur les 100 meilleurs dirigeants au monde Arabe, lors d’une cérémonie organisée, en mars dernier, à l’hôtel Marriott Charles de Gaulle, à Paris.

Aziz El Badraoui a tout: le succès, l’argent, le luxe, la reconnaissance. Mais il lui manque l’essentiel, la présence de son papa, Feu M’hamed, décédé en 1994. Il est orphelin du regard de ce père aimant qui aurait été si fier d’être un témoin privilégié du chemin parcouru par son fils adoré. «C’est le grand regret de mon existence» confie Aziz avec une voix qui s’étrangle et des yeux noyés d’émotion. «Mais la vie ne nous donne pas tout.» Il a décroché la lune. Mais il donnerait n’importe quoi pour offrir à son père un plaisir simple: un café crème dans un lieu paisible où le temps figerait leur complicité.

Son père militaire, vrai chaouia de Benslimane, lui aurait raconté ses souvenirs de la guerre d’Indochine (1946-1954) où il a défendu les intérêts de l’armée française. «Mon père était heureux de posséder la carte française des anciens combattants» avoue Aziz. «De retour au Maroc, il a intégré la Garde Royale avec le petit grade basique de caporal.»

M’hamed avait une ambition pour son fils Aziz dont il mesurait le potentiel intellectuel. Il rêvait de le voir intégrer l’Ecole Nationale Forestière des Eaux et Forêts, à Salé. «Les Sergents ingénieurs bénéficient d’une petite maison de fonction dans la forêt» explique Aziz. «Quand ma mère lui demandait de faire des travaux dans la cuisine, à la maison. Il disait :  «Attends qu’Aziz finisse ses études dans les Eaux et Forêts». Cette petite maison, c’était le rêve de mon père.»

Il a réalisé tous ceux de sa maman, Zazia. «C’est mon ange gardien» dit joliment Aziz. «Avant d’être un ange gardien, c’est tout simplement un ange» rectifie Mohammed Bennis, son actuel conseiller et ami fidèle, avant d’ajouter: «Sans elle, il n’y a rien...» Elle est tout. Elle est partout. Elle est même sur la photo du profil WhatsApp de son fils. Elle est encadrée sur papier glacé à la droite du fauteuil du Président d’Ozone, lovée sous le portrait de Sa Majesté.

Même malade, Zazia escorte son fils qu’elle couve du regard lors de chaque grand événement. «Pour l’inauguration du centre de tri sélectif des déchets à Fès, je suis allé la chercher à la clinique, à Rabat, après sa dialyse pour qu’elle m’accompagne...» précise Aziz qui entoure sa maman d’une tendresse infinie et d’un amour éternel. «Avec la mort de mon père, j’ai compensé» confie-t-il.

Témoin des signes extérieurs de la réussite de son fils, Zazia ne mesure pas pour autant vraiment son ascension sociale. Elle pose sur son fils les yeux d’un amour protecteur. Ses mots sont ceux  de la sagesse. Une sagesse excessive... Quand son fils laisse un pourboire qu’elle juge démesuré, elle le gronde. Et le met en garde: «Attention Aziz, tu gaspilles ton argent.» Quand il lui donne une enveloppe qu’elle juge trop épaisse, elle s’inquiète. «C’est trop, je ne sais pas gérer ça. Je crains qu’un matin, tu te réveilles et tu ne trouves plus rien.» Elle se fait encore du souci pour son enfant comme lorsqu’il partait seul, la nuit tombée, dans les ruelles sombres de Takaddoum taper le ballon de football avec les copains du quartier. «C’est touchant et émouvant» souligne Mohammed Bennis. «C’est le coeur de la maman qui parle. Zazia est le modèle absolu pour Aziz, sa référence. Le point d’ancrage à la réalité et au passé.»

Zazia est une femme solaire, lumineuse. Encore aujourd’hui, quand elle rentre dans une salle aux côtés de son fils, elle attire le regard. On devine un coeur aussi pur que son regard. Rarement une personne n’a autant incarné les valeurs de courage, de dévouement.

Au Collège Talha Ibn Oubaid Allah, au Lycée Allal El Fassi, Aziz occupe toujours la première place. Zazia a aussi compris très vite que son fils avait un don peu commun pour les études. Du coup, la maman est en mission: elle s’est toujours battue pour qu’Aziz puisse suivre les meilleures études possibles. «Pour ma mère, c’était une manière de tordre le cou au destin» dit Aziz. «Elle s’est sacrifiée pour que je continue les études. Pour que je ne choisisse pas la mauvaise direction ou les mauvaises fréquentations.»

Elle est prête à tout pour que l’avenir de son fils bascule du bon côté. Elle ne se contente pas de mots ou d’incantations. Elle le prouve avec force et courage. Pour aider Aziz à étudier dans les conditions optimales, elle aurait été capable, si besoin était, de travailler comme ouvrière dans la zone industrielle Douar El Hajja où on confectionne des jeans. On comprend pourquoi Zazia représentera toujours pour Aziz les valeurs de  sueur, de travail, de don de soi et d’une abnégation qui confine au sacrifice.

Elle dévoilera encore son sens du dévouement lors des années passées au Collège Talha Ibn Oubaid Allah. Là, rue Zouara, dans le quartier Souissi, les bourgeois sont majoritaires. Seuls deux ou trois élèves par classe sont issus des quartiers défavorisés pour ménager une mixité sociale. Aziz est de ceux-là. La chance s’invite dans sa vie d’adolescent. Car l’éducation prodiguée est réputée. Il est éloquent, comme toujours. Son intégration ne pose aucun problème. «Tous les élèves cherchaient mon amitié dans l’espoir de copier lors des contrôles» dit-il. «Ils se disputaient pour s’asseoir à côté de moi. C’est pourquoi, je n’ai pas souffert d’exclusion sociale.»

Seulement, pour se fondre dans le moule, il demande à ses parents de lui acheter un polo Lacoste et un pantalon assorti de la marque au crocodile. «Les bourgeois s’habillaient comme ça» dit Aziz. «C’était la grande mode. J’ai dit à mes parents que j’en avais besoin. Que j’étais le premier de la classe. Qu’il y avait la fille du colonel... J’ai insisté mais c’était hors budget.»

On imagine la souffrance de Zazia de dire non à son amour de fils, si brillant et si aimant. Quand Aziz revient à la charge pour l’achat d’une tenue de théâtre pour la pièce du collège programmée en l’honneur de la Fête du Trône, sa maman n’a pas le coeur de s’opposer une seconde fois. Elle trouvera la solution pour le bonheur du petit. «Elle n’avait pas assez d’argent» précise Aziz. «Elle a décidé de vendre des boucles d’oreilles à Takaddoum. Puis, nous avons pris un petit taxi bleu, avec mon père et ma mère,  pour nous rendre au centre ville de Rabat. C’était une Fiat 500. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous avons acheté cette fameuse tenue. Vous vous rendez compte, ma mère vendait tout ce qu’elle avait pour moi. Elle me redonnait tout ! Quelle émotion j’ai ressentie... Quelle reconnaissance aussi. Puis, j’ai vu un tableau représentant un lac avec des fleurs. J’ai dit à maman : Parle à mon papa, je veux ce tableau pour exposer dans la salle des invités, à la maison. Mon père me l’a offert. Il coûtait 50 DH. J’étais aux anges. C’était le plus beau jour de ma vie. Encore aujourd’hui, c’est un jour qui compte pour moi. Je ne l’oublierai jamais.»

Les copains de Takaddoum n’oublieront pas non plus, Aziz. Lui, c’était le meneur, le chef. «Si tu n’as pas ça dans le sang, tu ne peux pas réussir» avoue-t-il. Après l’école, les enfants du quartier imitaient les acteurs de la série culte des années 70, Mohamad Rassoul Allah. «Nous remplacions les épées des soldats musulmans par des bouts de bois» se rappelle Aziz. «C’était moi le héros, le caïd des soldats.» Au football, c’était encore Aziz le capitaine. Lors des sorties de camping sauvage, c’était toujours Aziz l’organisateur. Il donnait même des cours aux élèves en difficulté en écrivant à la craie sur le compteur d’eau. Déjà, il aimait être écouté. Il aimait prêcher la bonne parole. Il aimait être le premier.

On n’est pas inquiet pour Inès (11 ans) et Ilies (5 ans), ses magnifiques enfants. S’ils grandissent dans le luxe des quartiers cossus et privilégiés, ils connaissent tout du parcours de leur père. Ils savent d’où il vient. «C’était fondamental pour moi de leur transmettre ces valeurs, mes valeurs qui sont aussi celles de mes parents» dit Aziz. «Parfois, je laisse la voiture et le chauffeur. Et je marche, à Takaddoum avec eux. Ce sont mes origines. J’en suis fier. C’est une forme de trait d’union entre mon père et mon petit dernier, Ilies.»

L’éducation est stricte. Pas question de manquer de respect au personnel. «Impossible pour mes enfants d’appeler leur chauffeur par son prénom, c’est tonton Hassan» confirme Aziz. «Le jardinier, c’est tonton Amo. Les gouvernantes, c’est tatie Ania, tatie Halima, tatie Arissa. Récemment, Ilies a été impoli avec le chauffeur, je l’ai obligé à lui embrasser la main afin qu’il se souvienne que le respect est le meilleur guide dans la vie.»

Les études sont aussi un bon compagnon de route. Cela a été la boussole et la bouée d’Aziz El Badraoui. Pas seulement parce qu’il avait une force de travail qui fait encore la différence aujourd’hui. Surtout parce qu’il a compris que c’était la chance de sa vie. «C’était le seul moyen de changer ma condition, sauver ma peau et ma famille» confirme-t-il. «C’était mon moteur pour avancer. Très tôt, j’ai porté le poids des responsabilités de ma famille.» C’est dans cette optique qu’il suit un Master spécialisé dans l'Environnement et dans l'aménagement du territoire, à la faculté des sciences de Fès. Il bénéficie d’un partenariat avec le Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du développement. A l’instant d’opter pour un stage avec son chef de projet, Aziz jette son dévolu par pur hasard sur la collecte des ordures. Son seul souci: savoir si le stage est rémunéré?

Il pose la question, tout de go. La réponse fuse: «Monsieur, c’est rémunéré, me dit le chef de projet» se souvient Aziz. «Immédiatement, j’ai levé le doigt pour montrer mon intérêt. Il faut préciser que je n’avais aucune concurrence. Les étudiants étaient dégoûtés par le secteur des ordures et déchets. Il n’était pas question pour eux de choisir ce domaine. Ils se demandaient pourquoi j’avais fait un tel choix... Eux, ils se battaient pour accéder à des domaines plus glamour. Mon objectif était de gagner des sous en parallèle des études.»

Sans surprise, Aziz obtient facilement un doctorat couronné par la soutenance d’une thèse ô combien documentée sur l’environnement et la protection de l’écosystème. «A l’époque, on ne pouvait imaginer que l’environnement serait le créneau d’avenir du 21e siècle» précise Aziz. «Je n’ai jamais vraiment rêvé de faire des études supérieures, de trouver des inventions pour la science ni même de devenir patron. Je voulais seulement survivre.»

Naturellement, Aziz El Badraoui force sans problème les portes du monde professionnel. Il se taille une jolie réputation lors de ses passages chez Veolia, Pizzorno ou Tecmed. Déjà, il étonne ses collègues avec ses qualités d’organisation et ses choix stratégiques. En faisant ses armes dans ces grandes multinationales qui aujourd’hui souffrent de sa présence, il attend son heure. Il franchit un palier supplémentaire chez GMF, à Fès. «Aziz était considéré comme le grand patron» confie Mohammed Bennis, rencontré chez GMF et un partenaire indispensable depuis les premières heures d’Ozone. «Il faisait tout du coursier jusqu’à la tâche de directeur d’exploitation, en passant par la communication. Cela lui a permis d’apprendre tous les métiers de l’entreprise, de dénicher les failles et de se familiariser avec les rouages du secteur.»

C’est à cette époque que naît l’aventure Ozone. Le nom Ozone, une fulgurance, c’est son épouse Siham qui l’a trouvé, un mois avant la naissance de la petite Inès. «Je voulais un nom composé avec des lettres comme SMD, SFD ou SMMC mais c’était refusé» précise Aziz. «Mon épouse est allée au Centre Régional d’Investissement de Rabat. Là-bas, on lui a conseillé d’éviter les noms composés. Elle a proposé Mozone puis Ozone. Ça passait sur l’ordinateur ! Je lui ai seulement demandé d’ajouter Environnement et services. L’idée, c’était de commencer par les services et de faire de l’environnement plus tard.»

Une des plus étonnantes réussites de l’économie marocaine depuis le début du XXIe siècle était en marche. Directeur chez GMF, Aziz El Badraoui laisse la gérance d’Ozone à son beau-frère, Younès.

La première activité d’Ozone, c’est le nettoyage ! Le premier beau contrat est signé avec le Ministère chargé des marocains résidant à l'étranger. Aziz El Badraoui débute son activité avec quatre femmes de ménages... dont sa soeur Saïda. «Vous êtes les premiers à avoir cette information» sourit Aziz. «Je n’étais pas d’accord. Mais Saïda m’a demandé de la laisser faire. Elle voulait s’occuper du bureau du Ministre pour ne prendre aucun risque et n’avoir aucun souci de vol.»

Très vite, Aziz démissionne de GMF pour se consacrer à Ozone. Mohamed Bennis, alors expert chez GMF, lui emboîte le pas. «La fidélité est un mot important pour moi» dit Aziz. «J’ai la chance de pouvoir compter sur un collaborateur comme Mohamed qui me protège et veille sur moi. J’ai besoin d’être en confiance.»

Il affronte les doutes, les scepticismes. Et les moqueries. «A la fin des rendez-vous, quand je tournais le dos, j’entendais certaines personnes dire : «c’est quoi cette société avec 20.000 DH de capital?» se souvient Aziz. «Je n’oublierai jamais ceux qui ont tenu ces propos péjoratifs. Je suis poli mais j’ai une grande mémoire.»

Il n’oubliera jamais non plus son premier contrat, à Bouznika. «C’était stressant comme un entretien d’embauche» dit Aziz. «On m’a bombardé de questions sur mon projet pour Bouznika, sur le matériel nécessaire pour cette zone géographique, sur la pollution, l’atmosphère, les taxes....»

Aziz El Badraoui passe le test ! Bouznika est le premier grand marché pour le Groupe Ozone Environnement et Services. Il ne sera pas le dernier. D’autres marchés tombent dans le giron d’Aziz El Badraoui. Ce dernier ouvre la boîte de Pandore. Il a de jolis contrats en poche mais ses poches sont vides. «J’avais plusieurs contrats mais je n’avais pas d’argent pour acheter des machines indispensables à notre développement» assure-t-il. «Je ne possédais aucun bien. Je n’avais rien.»

Ce n’est pas tout à fait vrai. Il avait une idée à chaque seconde et une vision d’avenir de la protection environnementale qui sera la clef du succès. Ce n’est néanmoins pas assez pour attiser l’intérêt des banquiers qui ne prennent même pas le temps de lui répondre au téléphone.

A l’époque, il quémandait sans succès des rallonges de lignes de crédits de 5.000 dirhams. Aujourd’hui, ce sont les Présidents des grandes banques qui se déplacent jusqu’à son bureau pour le séduire et lui proposer des lignes de cautionnement de 20 millions de dirhams ! Il trouve mieux qu’un banquier. Il rencontre un ami de la famille qui croit en cette aventure un peu folle. «J’avais besoin de crédits et de leasing pour investir dans de nouvelles machines très coûteuses» explique Aziz. «Cet ami m’a proposé d’hypothéquer une maison dont la valeur était estimée à 6,5 millions de dirhams. Il a dit au banquier que je si je ne remboursais pas le crédit, il pourrait vendre sa maison.»

Aziz El Badraoui a un autre atout. Il possède un incontestable réseau grâce à un carnet d’adresses bâti patiemment depuis ses premières expériences professionnelles.

Le contrat avec la ville de Fès, signé dans un premier temps, le 11 septembre 2011,  pour une durée de 7 ans, a été prolongé jusqu’en 2023. C’est un des plus juteux pour le Groupe Ozone  avec une enveloppe annuelle de 130 millions de DH. Surtout, Fès est la vitrine de la qualité du travail d’Ozone. «Fès, c’est ma carte de visite» résume Aziz El Badraoui. «Fès, c’est aussi notre première marche dans la cour des grands.»

Fès, avec 1,8 million d’habitants et mille tonnes de déchets par jour, est, en effet, considérée comme la ville la plus propre du Maroc. C’est aussi la première ville du Royaume à se doter d’une unité de tri automatique pour le traitement des déchets. «Il s’agit du premier centre du genre en Afrique» précise Aziz. «La valorisation énergétique consiste à transformer les déchets en électricité et en chaleur.»

Aujourd’hui, Ozone c’est 34 sociétés, 1.200 engins, 7 ingénieurs qui travaillent à plein temps sur les appels d’offres et plus de 57 contrats de gestion déléguée, au Maroc, avec les villes de Fès, Salé, Khouribga, Settat, Sidi Kacem, Essaouira, Youssoufia, Chamaia, Marrakech Tamansourt, Harhoura, Sefrou, El Hajeb, Saïdia...

Sans oublier Laâyoune, Guelmim, Boujdour et Khémisset dont il a appris le résutlat de l’appel d’offres lors de notre interview. Le groupe a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires de 800 millions de DH, dont 270 millions de DH... en Afrique.

Rien d’étonnant qu’Ozone soit numéro un en Afrique. Il a damé le pion aux cadors internationaux. Seul un tiers des marchés échappe au Groupe marocain. L’an dernier, alors qu’il souffrait d’une fracture à la jambe gauche, Aziz en a profité pour inviter Antoine Frérot, le PDG de Veolia Environnement, chez lui, à Rabat. Quand ils ont évoqué la possibilité de s’associer sur certains marchés, Aziz El Badraoui a parlé d’un réel honneur pour Ozone... Antoine Frerot lui a coupé la parole. Le Président du Groupe Veolia a dit : «ce serait surtout un honneur pour Veolia d’associer son nom à Ozone dans un secteur où vous avez réussi là où on a échoué...»

Seul groupe marocain à s’attaquer au marché de la collecte des déchets en Afrique, Ozone n’a pas musardé en chemin en signant des contrats à Khartoum au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Bénin ou en Guinée avec pas moins de 5 communes à Conakry, la capitale de la Guinée.

À Bamako, au Mali, le groupe Ozone est responsable du tri, de l’exploitation des déchets organiques et de l’assainissement liquide. Aziz El Badraoui a quitté le Mali avec un beau contrat annuel de 150 millions de DH et une délicieuse anecdote: «Le ministre malien de l’Intérieur m’a dit : «vos agents sont mieux vus que nos soldats» lance Aziz dans un éclat de rires nourris.

Et dernièrement, il a négocié, avec George Weah, le Président du Liberia, un contrat concernant  Monrovia, pour une durée de 10 ans, avec un chiffre d’affaires annuel de 17,4 millions de Dollars à la clé. «George Weah a été adorable» confie Aziz. «Avec un sportif, j’ai rapidement des affinités. On parle la même langue. J’ai été footballeur. C’est ce qui m’a sauvé dans mon quartier difficile.»

C’est aussi l’esprit sportif - Aziz a été coureur au Stade Marocain en minimes-cadets - qui a permis au PDG d’Ozone d’affronter les ragots et de les laisser glisser comme une olive sur une toile cirée.  «Au Maroc, les gens n’admettent pas qu’un gars simple issu d’une famille pauvre puisse connaître une belle réussite dans les affaires» confirme Aziz El Badraoui que la rumeur a tantôt associé à des membres de la famille royale, des conseillers de sa Majesté ou des responsables de partis politiques. N’en déplaise à certains, Aziz est bien l’associé unique d’Ozone.

Il affiche une authentique proximité humaine avec ses équipes. Et croit à un management à l’émulation plus qu’au bâton. «Quand nous avons commencé à travailler au Mali, en septembre 2014, Aziz El Badraoui a retroussé les manches de son costume et pris un balai pour montrer aux agents de propreté le geste parfait» se souvient Hanane Benamar, la très efficace directrice générale d’Ozone. «La scène se déroulait sous les yeux des dirigeants maliens qui était estomaqués par une telle simplicité. L’humilité, c’est sa force. Aziz El Badraoui est un caméléon. Il est comme une pâte à modeler. Il est aussi à l’aise avec une femme de ménage ou un agent de propreté qu’avec le Président d’un état africain ou un Ministre.»

Surtout, Aziz El Badraoui a le don de choisir ses collaborateurs. Rarement, il se trompe. «Je ne l’ai jamais vu rater un talent» assure Mohamed Bennis. «Il a du nez et de l’intuition. Quand il sent que le courant passe, il ne rate pas sa cible.»

Il échoue rarement même dans la conquête de ses rêves. Aujourd’hui, il n’en a plus. «Je ne rêve plus» confie-t-il. «Je rêve seulement pour les autres, en particulier pour mes enfants. Au-delà du confort matériel, j’espère qu’ils seront heureux, épanouis.  Personnellement, j’ai réalisé au-delà de mes rêves. Même en créant Ozone, je n’ai pas vu aussi loin. Je ne rêvais pas de cette vie-là. J’ai travaillé pour gravir l’échelle sociale mais jamais pour monter si haut. C’est pourquoi je n’ai jamais eu un esprit de revanche sociale. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin d’argent. J’ai besoin d’évasion, de nourrir mon cerveau. Peut-être qu’au fond, je ne suis pas à ma place. Je rêvais seulement d’un bon poste dans la fonction publique pour sauver ma famille et obtenir un crédit pour acheter une petite maison et une jolie voiture. En tout cas, je sais d’où je viens. Takaddoum est gravé en moi... Je suis le fils de mon père, de son histoire. Et j’ai le souci permanent de la redistribution.»

Redistribuer, c’est forcément aider la jeunesse de Takaddoum. Aziz El Badraoui compte déjà de nombreuses collaboratrices et de nombreux collaborateurs originaires du quartier de son enfance. «A Takaddoum, tout le monde veut travailler avec moi» avoue Aziz. «Je ne peux pas aider tout le monde mais je fais le maximum.»

Aziz El Badraoui apporte déjà un réconfort et un espoir par l’exemple. Dire que le fondateur d’Ozone est un modèle pour les jeunes issus des quartiers sans horizon est un euphémisme. Il leur montre que c’est possible. Il est d’autant plus crédible qu’il n’oublie pas ses origines. Chaque semaine, il revient jouer au football avec les anciens du quartier. Milieu de terrain, numéro 6 ou 8, il distribue. Et donne de la voix ! «C’est toujours la pagaille» raconte Aziz. «Parfois, la police doit même intervenir pour calmer l’énergie débordante de nos jeunes. Mais quel bonheur de retrouver le chemin de son passé.»

Signe de son attachement indéfectible à Takaddoum, il restaure avec passion la maison de son enfance, véritable musée de son passé. Cette bâtisse modeste est construite sur 3 niveaux qui possèdent chacun leurs lots de souvenirs. «Parfois, je ne dis rien à personne et je viens m’enfermer ici, chez moi» précise Aziz El Badraoui. «Restaurer est un grand mot. L’idée, c’est de construire un quatrième niveau spacieux et lumineux pour venir lire, réfléchir, se poser, se reposer. Concernant la partie existante, je veux juste rafraîchir, consolider. On ne casse pas à la masse ou au marteau. On découpe à la meuleuse avec précision, de manière presque chirurgicale. On ne peut quand même pas casser ma vie, l’histoire de ma famille. Dès que je suis entre les murs de cette maison, des émotions ressurgissent et m’envahissent. J’ai la chair de poule.»

Les émotions, il les trouve aussi avec les animaux dans son immense ferme de Benslimane. C’est forcément une manière d’être une nouvelle fois fidèle aux origines de son père, chaouia de Benslimane et à l’histoire de ses ancêtres producteurs de lait.

Il convient en effet de préciser que le nom Chaouia provient du mot berbère chaoui, qui veut dire « éleveur de moutons ». Aziz El Badraoui élève non seulement des ovins mais aussi des bovins. «Je me suis lancé dans la production de lait» confirme Aziz. «C’est une vraie passion puisque je ne gagne pas d’argent! ». On comprend mieux pourquoi Aziz a passé beaucoup de temps au Salon de l’Agriculture, à Paris, au SIAM (Salon International de l'Agriculture au Maroc), à Meknès et à Nantes où il apprécie la vache de Bretagne pour sa rusticité. Il s’est également déplacé dans le Sahara occidental, à Boujdour, dans la région de Laâyoune, pour choisir les meilleurs dromadaires. «Mon grand père avait des dromadaires» dit Aziz qui ne cesse jamais de tirer le fil qui le ramène à ses origines. Loin des reconnaissances, des business class et des espaces VIP...